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son dernier voile, la main du profanateur, soudainement paralysée, serait impuissante au sacrilège. Les expres sions feraient banqueroute à sa pensée; bien plus, dans l'hypothèse même où il en trouverait d'adéquates, il s'expliquerait en une langue à toi inconnue. Trêve de métaphores. Écoute ce que présage l'un des maîtres de l'ésotérisme, à l'égard d'un tel adepte :

"Plus il s'élèvera (dit-il) dans la sphère intelligible, plus il s'approchera de l'Etre insondable dont la contemplation doit faire son bonheur, moins il pourra en communiquer aux autres la connaissance; car la vérité, lui parvenant sous des formes intelligibles, de plus en plus universalisées, ne pourra nullement se renfermer dans les formes rationnelles ou sensibles qu'il voudra lui donner. C'est ici que beaucoup de contemplateurs mystiques se sont égarés Comme ils n'avaient point assez approfondi la triple modification de leur être, et qu'ils ne connaissaient pas la composition intime du quaternaire humain, ils ignoraient la manière dont se fait la transformation des idées, tant dans la progression ascendante que dans la progression descendante; en sorte que, confondant sans cesse l'entendement et l'intelligence, et ne faisant point de différence entre les produits de leur volonté, suivant qu'elle agissait dans l'une ou l'autre de ces modifications, ils montraient souvent le contraire de ce qu'ils voulaient montrer; et que, de voyants qu'ils auraient été peut-être, ils devenaient des visionnaires (1). »

Ces lignes de Fabre d'Olivet sembleront péremptoires à quiconque possède bien sa théorie de l'homme tri-un. Comme exemple à l'appui de la démonstration ci-dessus transcrite, le théosophe invoque les égarements notables du plus génial voyant des temps modernes, ce vertigineux

(1) Vers dorés de Pythagore, p. 359-360.

Jacob Boehme que Saint-Martin, l'un des premiers maîtres de Fabre d'Olivet, n'hésite point à proclamer « la plus grande lumière qui ait paru sur la terre, depuis Celui qui est la Lumière même (1). » C'est qu'en effet il n'a reculé devant aucun arcane, cet artisan sans lettres • dont le regard audacieux (dit d'Olivet) a pénétré jusque dans le sanctuaire divin (2) ». Non content d'avoir plongé à l'abîme de Wodh sans en être anéanti, et vu la face fulgurante de Iod-hévê sans en mourir, le grand mystique, ivre du feu-principe, a tenté le Seigneur! Jacob Boehme a voulu tout dire, tout révéler à nu, tout, jusqu'aux racines anté-éternelles de la Nature et de Dieu même.... Alors, sa plume a été frappée d'impuissance et sa langue de bégaiement.

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Nous ne saurions disconvenir, au reste, que Bohme n'a pas payé trop cher sa témérité. Du moins nous semble-til ainsi, quand nous comparons ce Voyant à tant de pauvres visionnaires frappés d'aveuglement, de folie ou de mort, pour être descendus en un goufre bien méprisable au regard du divin abîme; pour avoir consumé leurs prunelles au flamboiement de l'Enfer; -- enfin, (s'il faut tout dire), pour avoir épuisé leur substance à évoquer un étre qui ne se manifeste point qu'on ne le crée de son désir, qu'on ne le pétrisse de sa chair et de son sang, qu'on ne l'anime et ne l'abreuve de sa propre vie puisque Satan n'existe pas, au sens où se l'imaginent les agnostiques de

(1) Lettres à Kirchberger de Liebistorf, page 9 de la Correspondance inedite de Saint-Martin, publiée par MM. Schauer et Chuquet (Paris, 1862, grand in-8°).

(2) Vers dorės, p. 360.

l'orthodoxie étroite, incurablement férus du manichéisme

officiel.

Cet art suicide autant que meurtrier risme évocateur du Néant fait diable

l'auto-vampirentre dans les

mystères que ce présent volume entreprendra de résoudre.

II

Mais avant d'éclaircir les œuvres coutumières du Mage noir, en précisant à quelles armes, à quels auxiliaires, à quelle tactique son vouloir opiniâtre sait demander la victoire dans l'iniquité, il importe de déblayer le champ des folles hypothèses et des préjugés populaires, afin de ne plus laisser prise aux malentendus.

Une distinction peut y suffire, mais cette distinction s'impose, et mal en a pris aux magistes qui ont cru pouvoir biaiser en face de la difficulté, trouvant sans doute moins compromettant de broder dans les teintes neutres leur canevas théosophique, sans avoir à débrouiller de prime abord un si délicat et si voyant écheveau. D'autres ont estimé plus commode de trancher ce noeud gordien par une affirmation ou une négation gratuites : mais, suivant qu'ils ont décidé dans un sens ou dans l'autre, ils ont vainement alarmé la conscience des simples, ou émis au gré des savants une allégation sans portée.

Cet insidieux point d'interrogation qui se dresse au seuil des sciences naturelles et même mathématiques, comme au seuil de la philosophie et de l'histoire, le voici nettement posé :

LE SURNATUREL EXISTE-T-IL?

Sous réserve de la distinction qui va suivre, notre réponse sera catégorique: non, le Surnaturel n'existe point.

Qu'on nous puisse objecter comme indéniables, et même expérimentalement vérifiés, des faits auxquels le langage courant accole l'épithète de surnaturels, c'est ce qui ne saurait soulever le moindre doute.

Le tout est de s'entendre sur les mots. Or celui-ci prête à confusion, et, qui pis est, contribue au discrédit des doctrines théologiques, en favorisant, sous leur garantie, une des opinions les plus choquantes pour la raison et injurieuses au sens commun lui-même, qui se soient répandues par le monde à la joie des fanatiques et des sots: la croyance à l'arbitraire divin, gouvernant l'univers en dépit et souvent à l'encontre des lois naturelles.

Lorsqu'un vocable comporte ou semble comporter plusieurs sens disparates, ne convient-il pas de fixer sa préférence sur celui qui se réclame de l'étymologie radicale, sans préjudice des significations figurées qui en dérivent, par une sorte non plus de filiation légitime, mais d'affiliation rationnelle, réglée d'après les lois invariables de l'Analogie? (Principe générateur de toute comparaison comme de toute synthèse, l' Analogie engendre en effet des séries successives de significations dérivées, qui sont, aux sens purement radicaux, ce que sont les fils d'adoption aux enfants nés dans le mariage).

Revenons au mot surnaturel, qu'on entend communément au propre, et non pas au figuré. Pressons-le; d'où dérive-t-il? Sans conteste, du mot nature (1).

(1) La racine de Nature est natus. En sorte que, si l'on voulait user

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Qu'est-ce done que la Nature? Une définition nette est moins aisée à fournir, qu'il ne peut paraître de prime abord.

Est-il au vocabulaire des penseurs un mot dont on ait fait un pire abus, nous en doutons fort. Chaque fois qu'un plumitif, s'égarant aux dédales de l'ontologie (sort commun à quiconque prétend à brûle-pourpoint disserter du principe des élres, ou de leur origine, ou de leur essence), chaque fois qu'un plumitif s'est trouvé dans l'embarras, c'est immanquablement au mot nature qu'il a fait appel, pour couvrir la déroute de ses idées, et, sous un semblant de profondeur, déguiser le vague ou l'insuffisance de sa conception. Nature! voilà qui répond à tout; à la faveur de ce substantif, on n'est jamais en passe de rester court. Aussi a-t-il perdu toute signification catégorique, tout caractère décisif, toute valeur précise; telles ces pièces de monnaie qui ont trop circulé: l'effigie n'en est plus distincte, à peine l'ébauche subsiste-t-elle d'un profil incertain.

Grâce aux phraseurs de la philosophie, Nature est une locution qui dit tout et ne dit rien. Dans l'ombre d'acception qui lui reste, on la qualifierait volontiers Ce qui existe, comme Dieu Celui qui est.

d'un raisonnement quelque peu suspect de paradoxe, on pourrait dėja scandaliser les partisans du surnaturel, en déduisant de cette étymologie la conséquence que voici :

La religion chrétienne elle-même est naturelle, puisque le Christ est l'incarnation du divin Fils, Né du Père de toute éteraité : « et er patre natum, ante omnia sæcula... Deum de Deo. . » Voilà donc un Dieu naturel? Mais nous ne comptons pas pousser plus avant cette argutie. Dieu seul est surnaturel, car il n'existe point, il est.

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