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Ceux qui ne veulent voir, dans l'usage, dans l'adoption d'un ymbole héraldique qu'une manifestation d'amour - propre, u'un tribut payé aux préjugés du monde, s'écrieront en regarant le titre de cet article:

Semel insanavimus omnes!

Cherchant ainsi à expliquer, en s'inclinant devant une preuve de la faiblesse humaine, comment l'un des types les plus purs de l'ancien puritanisme américain, a jamais pu consentir à se servir d'un hochet qu'il devait si fort dédaigner intérieurement.

Sans admettre la futilité puérile qu'on reproche à certains signes qui permettent aux hommes de se distinguer autrement que par leurs qualités morales, - le blason rend de tels services à l'archéologie, qu'il ne devrait certes pas être considéré comme une invention inutile, j'avouerai, cependant, que je fus trèssurpris en découvrant un livre dont la reliure était frappée d'un fer aux armes de Franklin.

Armoiries et Franklin! Quelle distance énorme sépare ces deux mots! Opposés comme ils le sont l'un à l'autre, ma plume n'a-t-elle pas l'audace de les réunir, ici, pour la première fois?

Mais, ce qui m'a paru étrange m'a semblé curieux; d'autant que je me disais le grand citoyen de Boston, appartenant à une famille d'artisans, n'avait sans doute pas d'armoiries héréditaires; peut-on supposer que Benjamin Franklin se soit composé un écusson; qu'il y ait seulement songé un instant?

Alors, il est vrai, j'avais oublié (lisez, je n'avais jamais lu) ses Mémoires (1); autrement il m'eût été facile de comprendre une chose aussi simple; car, Benjamin Franklin, entre autres mérites, à mes yeux, avait celui de s'occuper particulièrement des faits concernant ses aïeux. Un homme aussi vertueux ne devait-il pas être plus ou moins généalogiste? Aujourd'hui, je puis le dire en connaissance de cause, la lecture de cet ouvrage, où se révèlent la bonhomie, l'esprit, et la loyale finesse de l'auteur, est réellement très-intéressante.

La première partie, adressée à William Franklin, écuyer, gouverneur de New-Jersey, Amérique Septentrionale, est écrite << à Twyford, chez l'évêque de Saint-Asaph (le docteur Stripley), 1771 », et commence ainsi :

<< Mon cher fils,

« Je me suis toujours plu à recueillir quelques petites anecdotes sur mes ancêtres. Vous pouvez vous rappeler les questions que je fis à ce sujet aux parents qui me restaient lorsque vous étiez avec moi en Angleterre, et le voyage que j'entrepris tout exprès.

1. Mémoires sur la vie de Benjamin Franklin écrits par lui-même, Traduction nouvelle. Paris, Jules Renouard, libraire. M. DCCCXXVIII, 2 vol. in-18.

<< Un de mes oncles qui avait eu, comme moi, la curiosité de recueillir des anecdotes de famille, m'a autrefois mis dans les mains différentes notes qui m'ont fourni quelques particularités sur nos ancêtres, J'y ai appris qu'ils ont habité le village d'Ecton, dans le Northamptonshire, où ils possédaient, comme francs tenanciers, environ trente acres de terre, au moins depuis trois cents ans, et l'on ne saurait dire combien de temps auparavant (1) ».

Quand André Duchesne dressait une généalogie, s'y fût-il mieux pris pour placer devant les yeux de ses lecteurs un de ces nuages transparents qui laissent entrevoir un lointain horizon?

Franklin ne parle pas du tout de ses armes; mais, il est permis de penser que, parmi les détails domestiques à lui transmis traditionnellement, une légende quelconque sera venue l'aider et le fixer à ce sujet.

Après avoir vu dans la note étymologique du mot Franklin les variantes orthographiques qu'il relevait avec intention, je serais tenté d'en conclure que Benjamin Franklin avait découvert un lien qui rattachait sa famille aux rejetons d'une noble souche; peut-être aux Francklyn de Moor Park (comté de Hertfort) et, par extension, aux Frankand de Thirkelby (Yorkshire), créés baronets, les premiers en octobre 1660, les seconds en décembre de la même année.

Ce qui m'engagerait à le croire, c'est un rapprochement facile à établir entre les armes de ces deux maisons et les siennes.

En effet, les Francklyn portaient : d'argent à la bande d'azur chargée de trois dauphins nageants, du champ, et les Frankland portent encore: d'azur au dauphin nageant d'or, au chef de même chargé de deux flanchis de gueules; ceux-ci ayant pour devise ces quatre mots, que le héros de l'émancipation américaine eut sans doute inscrits aussi de bon cœur sur sa bannière Libera terra liberque Animus.

Or, les armes frappées au centre des plats de mon volume in-8°, relié en veau marbré, et doré sur tranches, sont: d'argent à la bande de gueules, chargée d'un dauphin accosté de deux papegais et accompagnée de deux têtes de lion arrachées; l'écu ovale posé sur un cartouche entouré de palmes, sommé d'une simple couronne ouverte, sans perle ni fleuron

I. « Franklyn, Franckling, était le nom des possesseurs de terres libres. Les Normands les appelaient les francs-tenans; les Anglais indigènes les nommaient franklings joignant à l'adjectif de la langue des conquérans la terminaison saxonne ling qui, dans les langues germaniques, indique ressemblance ou filiation. »

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(la modestie de Franklin se reconnaît bien là), surmontée, ellemême, d'une pomme de pin et de branches d'olivier formant cimier.

Pareil blason se retrouvant, à l'intérieur, dessiné à l'encre de Chine et ombré au pinceau, en tête de la dédicace, il se pourrait que nous ayons là un exemplaire de cadeau.

Ce lavis, placé ainsi, a été pour moi un indice révélateur, et m'a mis sur la trace de preuves qui me semblent irrécusables à présent.

L'ouvrage est intitulé: Des spécifiques en médecine, par M. Gastelier, Docteur en médecine, Avocat en Parlement, Médecin ordinaire de S. A. S. Monseigneur le Duc d'Orléans, Maire de la ville de Montargis, Médecin des Hôpitaux et des Prisons de cette Ville, Employé pour les maladies épidémiques et épizootiques de la Province, Associé régnicole de la Société royale de Médecine de Paris, Associé correspondant de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, Associé non résident de la Société royale d'Agriculture d'Orléans, etc. A Paris, chez Didot. Imp. de Monsieur, et Libraire, quai des Augustins. M.DCC.LXXXIII. Avec Approbation et Privilége.

Il est dédié à Monsieur Franklin, Ministre Plénipotentiaire des États-Unis de l'Amérique Septentrionale à la Cour de France, Docteur ès-Loix, Président de la Société de Philadelphie, de la Société royale de Londres, de l'Académie royale des Sciences de Paris, de la Société royale de Médecine de la même Ville, etc., etc.

Si le volume en question a été offert tout habillé à Benjamin Franklin, peut-être serait-il difficile d'en rencontrer un autre chargé des mêmes ornements héraldiques; mais, seule, leur composition me préoccupe, et l'on ne peut raisonnablement l'attribuer qu'au premier possesseur de l'ouvrage, qu'à celui pour qui la reliure fut exécutée. Voici comment j'expliquerais le fait :

Personne n'ignore l'enthousiasme qu'excita la présence de Franklin à Paris. La cour et la ville l'accueillirent avec un égal empressement. Louis XVI avait reconnu en lui la bienfaisance du génie; leurs cœurs se comprenaient. La reine Marie-Antoinette montrait pour l'ambassadeur du Nouveau-Monde une bienveillance extrême; très-touchée qu'Elle semblait être de l'hommage qu'il lui avait fait d'un harmonica de sa composition, le premier qui ait paru en France. Aussi voulut-Elle qu'on le conduisît jusqu'au Havre, dans sa propre litière, quand Benjamin Franklin, malade de la pierre, quitta Passy, après avoir passé huit ans sur notre continent, pour regagner Philadelphie, où il arriva le 24 septembre 1785.

Beaucoup de portraits font connaître la figure si sympathique du héros américain; aucun n'est orné de ses armes. Le plus fin, comme expression, est dû au crayon de Cochin. Une composi-, tion de Bligny représentant Diogène, la lanterne en main pour éclairer l'intelligent visage de Franklin, avec ces mots explicatifs Stupete gentes! reperit vicum (virum) Diogenes; rappelle une gravure de Cl. Roy, d'après le tableau peint par Autreau, offrant le même sujet, sauf le portrait qui est celui du cardinal de Fleury, que l'on devait à Rigaud (Rigaud pinxit effigiem).

Sous le portrait, dessiné et gravé par F.-N. Martinet, se trouve le quatrain suivant :

Il a ravi le feu des Cieux;

Il a fait fleurir les Arts en des Climats sauvages.
L'Amérique le place à la tête des Sages;

La Grèce l'aurait mis au nombre de ses Dieux.

Le poëte auquel on doit ces vers connaissait sans doute l'épigraphe suivante, attribuée à Turgot et placée sur le titre de la Vie de Franklin, suivie de son interrogatoire devant la chambre des Communes. Paris, an II. In-12:

Eripuit cælo fulmen sceptrumque tyrannis.

L'ovale du portrait de Franklin, peint par Labadie et gravé par Voyez, avec cette légende: L'amour de la Patrie et de la Liberté, étant surmonté d'une couronne d'étoiles, en forme d'auréole, et de deux branches de chêne, semble encore le dessin qui offrirait le plus d'analogie avec le fer de notre reliure.

Pour en finir avec les portraits, je ne citerai plus qu'une tête de Franklin, posée de profil, au-dessous de laquelle sont écrits ces mots, entourés de rayons et d'une couronne de lauriers : B.-J. FRANKLIN EST MORT. Dédiée au Caffé (sic) Procope."

Mais il est temps de revenir à mon sujet.

Franklin, comme ambassadeur, devait se rendre souvent chez le roi de France; il fut peut-être averti qu'à Versailles, aucun équipage ne pénétrait guère dans l'enceinte du palais, sans offrir un certain aspect en rapport avec les habitudes de l'époque. En admettant que l'étiquette, ce code des usages, fît une sorte d'obligation aux personnes qui fréquentaient la Cour d'avoir au moins un écusson sur les panneaux de leur chaise ou de leur carrosse, la plus grande difficulté disparaît, à mon sens, celle d'accepter l'idée que Franklin ait pris l'initiative dans une question de ce genre, et se soit, sans y être presque forcé, composé un blason, même en suivant des données par lui rassemblées, de façon à ne rien usurper et à rester l'honnête homme que l'on sait.

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