Page images
PDF
EPUB

Enfin, pour assurer plus d'indépendance à l'entreprise et la tenir en garde contre les revirements possibles de la faveur qui l'avait d'abord accueillie, Beaumarchais loua à Kehl une propriété appartenant au margrave de Bade, et il y installa les presses destinées à l'impression de cette colossale édition 1.

Il fit plus encore pour attirer les souscripteurs, il leur offrit des primes en réservant sur les premiers fonds engagés une somme de 200,000 livres qui forma une loterie de quatre cents lots au profit des 4,000 premiers souscripteurs.

Cette édition de Kehl fut tirée en même temps sur petit et sur grand papier. L'édition sur grand papier eut 70 volumes 2 in-8°, et celle in-12 92 volumes; le tirage fut fixé à 15,000 exemplaires pour chaque édition. Mais les souscripteurs vinrent lentement; l'édition annoncée dès 1779 ne fut en réalité sérieusement mise en train qu'en 1781; 2,000 personnes tout au plus prirent part à la souscription et les frais considérables de l'entreprise furent bien loin d'être atteints.

Les premiers volumes parurent seulement en 1783 ils étaient tirés sur cinq papiers différents, et les prix des volumes variaient de 2 à 9 francs pour l'édition in-8° et de 1 franc 4 sous à 6 francs pour l'édition in-12.

Beaumarchais avait fait graver, pour les exemplaires sur grand papier, une suite de 108 planches, d'après des dessins commandés à Moreau. Cette suite, qu'il est rare de trouver complète aujourd'hui, atteint encore dans les ventes un chiffre assez élevé; elle se paye ordinairement de 80 à 100 francs. Les épreuves avant la lettre sont devenues à peu près introuvables; leur collection complète arriverait facilement au chiffre de 1,000 francs. Enfin, les exemplaires eux-mêmes de l'édition sur grand papier, y compris les gravures et la reliure, montent encore facilement, en vente publique, aux enchères de 500, de 600 et même de 700 fr., selon leur plus ou moins bon état de conservation.

Un exemplaire de cette édition avait été réservé par Beaumarchais à l'impératrice Catherine II. Cet exemplaire, qui devait être offert en présent à la souveraine du Nord, fut l'objet d'un soin tout spécial. Le papier en fut choisi parmi les meilleures feuilles de l'édition sur papier vélin, qui se vendait 9 fr. le

1. Et ce ne fut pas là une précaution inutile, M. de Maurepas, le principal protecteur de Beaumarchais dans cette affaire, étant mort en 1781 avant le commencement de la publication.

2. Elle ne devait d'abord en compter que 60, mais la correspondance de Voltaire, plus considérable qu'on ne l'avait supposée au début de l'entreprise, nécessita dix volumes en plus.

volume. Il fut tiré à part, et après le rejet de nombreuses feuilles d'essai; enfin, pour le rendre tout à fait digne de son impériale des tinataire, on y joignit les 103 dessins origi. naux de Moreau dont nous avons ci-dessus parlé. Ces merveilleux dessins, un peu plus grands que leur reproduction, avaient moins de marge que les feuilles du livre même. Une magnifique reliure rouge, en maroquin plein, recouvrit ces splendides volumes, et chacun fut en outre enfermé dans un étui en basane marbrée d'une très-grande élégance.

Je ne sais pour quelle cause cet exceptionnel exemplaire ne fut pas envoyé à l'impéra trice de Russie. Il demeura entre les mains de Beaumarchais jusqu'en 1799, époque de sa mort, puis il devint la propriété de son gendre, M. Toussaint Delarue, qui, en 1797, avai! épousé sa fille unique. En 1849, M. Delarue voulut se défaire de ce superbe exemplaire, et il le fit mettre en vente au prix de 3,000 fr.; mais l'époque n'était pas favorable aux dispendieux achats de ce genre, et le Voltaire re trouva pas d'acheteurs. Un peu plus tard, cependant, un libraire de Paris, qui a la spécia lité des livres rares et des éditions de luxe. M. Auguste Fontaine, du passage des Panor mas, traita directement et à l'amiable, avec M. Delarue, de la vente de l'ouvrage. Il le revendit d'ailleurs presque aussitôt à un riche et érudit amateur, M. Double, moyennant 13,500 francs. Enfin, à la mort de M. Double, le Voltaire se trouva pour la seconde fois mis aux enchères en vente publique.

Georges D'HEYLLI.

(La suite au prochain numéro.)

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

CHRONIQUE

DU JOURNAL GÉNÉRAL

DE L'IMPRIMERIE ET DE LA LIBRAIRIE.

Paris, au Cercle de la Librairie, de l'Imprimerie et de la Papeterie, rue Bonaparte, 1. SOMMAIRE M. Ambroise Firmin Didot, membre de l'Institut.

création nouvelle de cartes postales, sur oposition de M. Wolowski, député de la , offrira de grands avantages à l'indust au commerce pour la simplification et nomie des correspondants. A cet effet, porte de connaître deux récents avis pupar la Direction générale des postes.

I.

'administration a été consultée sur la ion de savoir si l'expéditeur peut, à son Ecrire ou imprimer au verso de la carte e des annonces, réclames ou communis de toute nature.

Cette question a été résolue affirmativepar décision du ministre des finances te du 29 janvier. »>

II.

D'après un article récemment inséré plusieurs journaux, les cartes postales es par l'article 22 de la loi du 20 décemernier, et emportant libération, reçu ou dé, ne seraient pas assujetties, indépenment de la taxe postale, au droit spécial abre tarifé à 10 centimes par l'article 18 Hoi du 23 août 1871.

ette opinion est erronée. Elle est en contion formelle avec la lettre et l'esprit de le 18 de la loi du 23 août 1871. De plus, spositions de l'article 4 de la loi du rs 1872 ne laissent aucun doute à cet puisqu'il en résulte formellement que tres missives ne sont exemptes du timbre ittances, reçus ou décharge de toute e que lorsqu'elles constatent la remise de commerce à négocier, à accepter ou à ser. C'est la seule exception qu'il soit le d'admettre en faveur des cartes posqui ne sont autre chose que des lettres es à découvert. »

[ocr errors]

Variétés.

[blocks in formation]
[merged small][merged small][merged small][merged small][graphic][merged small][merged small]

sa famille et dont il a aidé à relever encore l'éclat par la part spéciale qu'il a prise à la conception et à la direction de quelques-unes des grandes entreprises de l'importante maison dont il est l'un des chefs.

Nous revendiquons donc hautement comme notre confrère le nouveau membre de l'Institut, et lui rendons hommage en cette double qualité.

Nous ne saurions retracer ici la carrière commerciale non plus que les longs et réels services administratifs de M. A. Firmin Didot, tant au Conseil municipal de la ville de Paris et à la Chambre de commerce que comme membre du jury de nos grandes expositions. Chacun de nous, pour le faire, n'a qu'à interroger ses propres souvenirs.

La compétence nous manque, d'autre part, pour louer dignement le savant helléniste qui fut l'élève et l'ami des Boissonade et des Koray, et dont Courier pouvait dire, dès 1810, que la Grèce fondait sur lui les plus grandes espérances.

Nous nous contenterons de rappeler ici le titre de quelques-unes des publications dont il est l'auteur ou auxquelles il a attaché son nom comme collaborateur :

Notes d'un voyage dans le Levant (1816-1817); Traduction de Thucydide (4 vol. in-8°, 1833); Essai sur la typographie, 1855 (extrait de l'Encyclopédie moderne);

Essai typographique et bibliographique sur l'histoire de la gravure sur bois, 1863;

L'imprimerie, la librairie et la papeterie à l'Exposition universelle de 1851 (in-8°, 1853); Note sur le Missel de Jacques des Ursins acheté par M. Didot pour sa bibliothèque en 1861, et cédé par lui à la ville de Paris;

Catalogue raisonné de sa bibliothèque avec 2 appendices (Classification méthodique des romans de chevalerie et Apocalypses figurées); L'Ortografie française; Etude sur Jean Cousin.

M. Didot a pris en outre une part active et directe à quelques-unes des grandes publications de sa maison, telles que le Thesaurus grecæ linguæ, dont il a rédigé les prolégomènes; la Nouvelle biographie générale, pour laquelle il a écrit les notices sur les Estienne, les Alde, et sur Gutenberg, etc.

Il nous annonce une étude importante sur Alde Manuce.

Bien qu'aucune gravure ne puisse donner une idée exacte de la physionomie fine et bienveillante de notre vénéré doyen, nous croyons être agréable à ceux de nos confrères qui n'ont jamais eu la bonne fortune de se rencontrer avec lui, en reproduisant ici un portrait qu'on a bien voulu nous confier.

Que M. Didot conserve longtemps encore cette activité de l'esprit qu'aucun travail ne semble lasser. Que le spectacle de cette famille, fidèle à ses traditions depuis quatre générations, soit pour nous un exemple et un puissant encouragement.

G. MASSON,

Président du Cercle de la Librairie.

wwwwwm

VARIÉTÉS.

HISTOIRE D'UN LIVRE.

LE VOLTAIRE DE L'IMPÉRATRICE.

(Suite el fin.)

M. Philippe de Saint-Albin, bibliothécaire intime des Tuileries, et chargé surtout de la bibliothèque de l'impératrice1, avait signalé à l'empereur, aussitôt que la vente de M. Double avait été annoncée, la mise aux enchères de ce merveilleux exemplaire. L'empereur le connaissait d'ailleurs déjà; l'achat lui en avait été proposé antérieurement et il avait refusé les 18,000 fr. qu'on voulait alors en avoir. Il en avait ensuite éprouvé beaucoup de regrets, et il s'empressa de donner à M. de Saint-Albin l'ordre de pousser pour lui les enchères, mais seulement jusqu'au chiffre de 15,000 fr., qu'il ne voulait pas dépasser.

M. de Saint-Albin était fort connu de tous les libraires, grands et petits, comme préposé au ravitaillement des bibliothèques particu. lières de l'empereur et de l'impératrice. S'il eût tenté d'acheter lui-même le Voltaire, le nom de l'auguste acquéreur pour lequel il agissait eût été bien vite dévoilé, et on lui eût fait payer d'autant plus cher la possession de l'ouvrage désiré. C'était, en effet, un exemplaire incomparable : les 108 dessins de Moreau, si on les eût vendus séparément, cussent facilement atteint, en vente publique, une moyenne de 500 fr. par dessin; ceux de la Henriade et de la Pucelle, au nombre de 36, plus particulièrement travaillés et développés, ne se fussent pas vendus moins de 1,000 fr. pièce. Il y avait là pour un spéculateur habile et un peu « en argent » une véritable affaire à tenter avec chance presque absolue de réussite.

M. de Saint-Albin était trop expérimenté, en ces matières de bibliophilie, pour risquer de pousser lui-même à la vente Double l'ouvrage que l'empereur convoitait. Il pria l'un de ses parents, le baron Fernand de Marescot,

1. Je tiens de M. de Saint-Albin lui-même les détails qui suivent.

[ocr errors]

jeune érudit à qui l'on doit déjà un certain nombre d'intéressants travaux littéraires, de le remplacer à la vente et d'acheter pour lui le Voltaire, en ne dépassant pas toutefois le prix fixé par l'empereur. Les enchères montèrent rapidement jusqu'à 9,000 fr., M. de Marescot restant surtout en concurrence avec l'éditeur Fontaine. Au moment où ce chiffre fut proclamé il y eut une légère discussion entre les deux rivaux, persuadés tous deux que la dernière mise à prix annoncée leur appartenait. Enfin, M. de Marescot trancha la difficulté en mettant une surenchère de 25 fr., et les soixante-dix volumes du Voltaire lui furent adjugés.

M. de Saint-Albin courut aussitôt aux Tuileries, emportant sa précieuse acquisition dans un fiacre, qui éprouva toutes les difficultés imaginables pour franchir le guichet de la grande cour d'honneur, ouvert seulement aux voitures de maître.

L'empereur fit étaler ces magnifiques volumes dans son cabinet, sur les canapés et sur les tapis, et, les ôtant de leurs étuis pour les mieux admirer, il les regardait l'un après l'autre, lorsque tout à coup la porte conduisant aux appartements de l'impératrice s'ouvrit et l'impératrice elle-même parut. Elle aimait les rares et belles choses, et sans être, en matière d'art, d'un raffinement bien pur el bien complet, elle avait cependant de grandes délicatesses de goût et savait apprécier et choisir, avec beaucoup de tact et de discernement, les objets de tous genres au milieu desquels elle vivait. A la vue de ces beaux volumes que l'empereur feuilletait, en s'extasiant à tous moments sur la splendeur de l'édition et sur la haute valeur des dessins qui l'ornaient, l'impératrice jeta une exclamation enthousiaste, et elle supplia son mari de les lui donner :

[blocks in formation]

autres pièces se trouvait ce qu'on pourrait appeler le « trop plein » de la première.

J'ai sous les yeux le catalogue des livres que possédait l'ex-souveraine : beaucoup de livres espagnols, la plupart des classiques français et même latins, et un grand nombre d'éditions modernes d'ouvrages de toutes les littératures et de tous les genres. Quelques volumes curieux et rares occupaient la bibliothèque particulière. A la vente de Rachel, l'impératrice avait acheté le Répertoire du Theatre-Français, trente volumes environ, reliés en maroquin vert avec le chiffre de la grande tragédienne sur le plat de la couver ture, entouré de la devise Tout ou rien dans un ruban noué, et sur le dos le R renversé et surmonté d'une couronne héraldique.

D'autres ouvrages provenant de la même vente, et particulièrement diverses pièces de théâtre qui avaient servi à Rachel pour étu dier ses rôles et qui portaient, dans leurs marges, quelques notes au crayon de sa main, avaient la même reliure ornée du même chiffre.

Mais les volumes les plus curieux, en ce genre, de la bibliothèque de l'impératrice, étaient quelques-unes des pièces d'étude ayant appartenu à Talma. Ces pièces étaient également annotées par l'illustre tragédien, mais d'une façon des plus intéressantes et des plus curieuses. En somme, l'impératrice avait à elle, dans les trois pièces dont nous venons de parler, environ 6,000 volumes composant une très-substantielle et suffisante biblio thèque.

Après la révolution du 4 septembre, tous les objets qui remplissaient les appartemen's privés des Tuileries furent mis sous le séques tre, puis un inventaire en fut dressé, à la suite duquel les livres de l'impératrice furent portés dans une pièce située au-dessus de ses anciens appartements et connue sous le nom de chambre des Atours. Ils y restèrent durant tout le siége de Paris et pendant le règne odieux de la Commune. Enfin tous ces beaux livres furent complétement détruits lors de l'incendie des Tuileries, et cet irréparable désastre eut pour témoins, hélas! forcément impuissants, divers employés supérieurs de la liste civile qui n'ont pu arracher aux flammes aucun des précieux objets dont ils se prépa raient, après la tourmente, à revendiquer la restitution.

Georges D'HEYLLI.

Le Secrétaire-Gérant, BLANCHOT.

Paris. Imp. Pillet fils aîné, r. des Grands-Augustins, 5.

« PreviousContinue »