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Beauté de la vie, de Fernand Gregh, poésie ingénieuse, non moins agréable; les Idylles antiques et l'Amour marin de Paul Fort. De ces deux recueils de ballades, le premier, s'il n'est le meilleur, est le plus séduisant. M. Paul Fort rythme admirablement sa pensée, son impression. Il a le don de chanter et, chantant toujours dans le même mètre, de n'être jamais monotone. Son antiquité est ingénue dans l'amour comme dans l'héroïsme; ses marins sont amusants, même quand ils sont tragiques, mais ils sont ceci ou cela avec un réalisme parfois excessif.

Il y a eu quelques débuts. L'un était attendu, celui de Louis Payen qui nous donne, avec A l'ombre du portique, des vers où il y a de la sensualité et de la pensée, du rêve et de la vie. L'autre nous prit à l'improviste. Et c'est à peine si nous sommes maintenant habitués à l'originalité dédaigneuse de Laurent Evrard. Il y a dans ses Fables et Chansons une manière très personnelle de voir, de sentir et de dire.

Le poème en prose, qui fut tant en faveur, n'a guère produit cette année que la Connaissance de l'Est, de M. Paul Claudel. Ce sont des paysages d'extrême orient, de Chine surtout, dont les couleurs sont admirables, des sensations exotiques rendues avec un art d'une singulière intensité.

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Et voilà ce que c'est qu'une année de littérature. Avec ce que j'ai dû négliger, et qui avait encore son intérêt, avec les utiles réimpressions, avec les revues, cela donne au lecteur de livres français plus de deux livres par semaine, qui valent la peine, les uns d'être lus, les autres d'être étudiés. C'est beaucoup. Et il n'a pas été parlé des traductions, des romans de d'Annunzio, de Serao, de Wells, de Stevenson, de Hardy, des dissertations de Tolstoï, des pièces d'Ibsen, des œuvres de Nietzsche, de toute cette littérature francisée, dont les amateurs sont nombreux.

Il y a certainement en France une grande richesse intellectuelle, et de bon aloi. C'est une fortune solide, bien assise en fonds de terre et de la culture la plus variée et la plus heureuse.

LA QUESTION LORIQUET

Si le nom de Loriquet a acquis une gloire immortelle, il n'est point prouvé que cela soit à juste titre. L'Histoire de France où le Père de la Foi (pseudonyme des Jésuites, sous la Restauration) appelle Napoléon « Monsieur le Marquis de Buonaparte » n'a jamais été vue par personne. C'est dire qu'elle n'a jamais existé, car un livre scolaire tiré à des milliers ne disparaît pas soudain. Je sais qu'il y a des ouvrages perdus; des éditions entières ont fondu jadis entre les mains de lecteurs trop fiévreux. Mais il s'agit de jadis. Depuis le dix-huitième siècle, il y a toujours eu un grand nombre de libraires et de collectionneurs, curieux même de babioles. Un livre s'absente, qui se retrouve dès que sa valeur est connue. Il n'est pas un illettré, à cette heure,

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qui ne voie, dans un livre datant d'un demi-siècle, un inestimable trésor. Hélas! car c'est dommage, le marquis de Buonaparte est une légende, - comme Charles IX arquebusant ses sujets pardessus la Seine (du Louvre à la rue Mazarine, avec des tubes portant à cent pas?) comme le << Fier Sicambre », comme le « Fils de SaintLouis », comme la « Seringue spirituelle pour les âmes constipées en dévotion », comme les << Lettres d'Héloïse et d'Abailard », comme la << Poule au pot », comme « le Vaisseau Le Vengeur », les « Volontaires de 92 », ou « le bon roi Dagobert ». En général toute l'histoire connue, approuvée, populaire, est apocryphe. Mais il est assez probable que celle que l'on met à la place n'est guère plus certaine. Tout est possible et rien n'est vrai,

Le Marquis de Buonaparte » est possible; le mot est bien dans l'esprit des régions basses de la Restauration. Il n'est pas vrai. Le P. Loriquet lui-même l'affirma dans une lettre à M. Passy qui, le 30 avril 1844, avait pris la phrase fameuse pour thème d'un discours contre les Jésuites. Ce genre de littérature, qui est ancien, a toujours attiré les imbéciles. Là où il y a, enfin! une bonne occasion de sourire en examinant une bête curieuse, l'imbécile se fâche. Voici le principal argument de Loriquet :

<< Sans doute il peut se trouver un faussaire capable de faire ce qu'on appelle un carton, de

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