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la civilisation, entre l'homme et les animaux, n'a pas toujours existé. Beaucoup de peuplades sauvages se croient issues d'un ancêtre animal et c'est même cette croyance qui explique les noms d'animaux que se donnaient les Peaux-rouges. En Egypte, le culte des animaux avait une origine analogue; les bêtes sacrées étaient sacrées, non comme bêtes, mais comme parents de l'homme, comme membres de la famille, et on ne devait pas les manger, parce qu'on ne se mange pas en famille. Tels cannibales, qui n'auraient pas mangé de lièvres, mangeaient fort bien les hommes d'une autre tribu. Règle générale quand un peuple s'abstient de la viande de telle bête, c'est qu'une tradition, souvent obscure, ou même oubliée, lui donne pour ancêtre cette bête ellemême.

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On comprend qu'avec un tel état d'esprit, la fornication ne fût pas rare entre l'homme et les animaux ; elle était peut-être plus fréquente que nous ne pouvons ou que nous ne voulons l'admettre : et personne ne doit affirmer que des êtres tels que les faunes et les sylvains, et tous les hybrides dont parlent les anciens poètes, n'aient jamais existé. Qui sait ce qu'ont pu produire, pendant des milliers d'années, les amours répétées des bergers et de leur troupeau? Qui sait? On avait tant raillé Hérodote pour ses pygmées et Stanley les a retrouvés.

En somme, des amours qui nous paraissent monstrueuses, à cette heure, furent, à une époque donnée, « toutes naturelles ». Aussi, sachant bien des choses et ayant lu bien des livres, n'irai-je pas me scandaliser d'un roman récemment paru, sous le titre de l'Animale (1) et où on nous raconte les amours d'une femme et d'un félin. Ce félin étant un chat (mon Dieu, quel homme, quel petit homme! comme dit la chanson), ces amours sont assez irréelles, et leur sensualisme assez vague. L'auteur, qui est une femme, Rachilde, est sans doute persuadée d'avoir écrit une histoire plutôt pimentée; je le veux bien, et aussi que l'histoire soit, d'un bout à l'autre, singulièrement malsaine, mais malsaine et pimentée à la surface seulement. La vraie perversité, comme le vrai sadisme, ne s'acquiert pas par un effort d'imagination. L'affreux marquis de Sade se racontait lui-même; il avait vécu ses « sadismes » avant de les écrire; il imaginait peu, et le peu qu'il imagina est fort médiocre. Il n'est pathologiquement intéressant que lorsqu'il hurle après la chair et après le sang, sans menteries et sans simagrées. Son livre fameux, la Philosophie dans le boudoir (que d'aucuns croient, sur son titre, une œuvre de galante perversité), est un manuel d'érotisme à la fois

(1) Rachilde: L'Animale. Edition du Mercure de France.

effroyable et dégoûtant, mais on y sent vraiment toutes les violences et toutes les audaces charnelles d'un exceptionnel mâle, d'un être tellement armé pour l'amour brutal, pour la sensualité qu'il a probablement été un phénomène unique en son genre.

L'AFFAIRE LA RONCIÈRE

En 1834, M. de Morell, commandant de l'école de cavalerie, à Saumur, ferma sa porte à un des jeunes officiers de la garnison qui, jusque-là, avait fréquenté chez lui. Cet officier, le lieutenant de La Roncière, était soupçonné d'être l'auteur d'une quantité de lettres anonymes injurieuses et menaçantes dont la maison du général était remplie tous les matins. On trouvait ces lettres épinglées au mur, cachées à demi sous les flambeaux des cheminées, sur les tables, jusque dans la chambre de Mme de Morell et dans celle de sa fille, Marie, qui avait alors à peine seize ans. De plus, Marie de Morell s'était plainte de propos dédaigneux et presque grossiers : « Votre mère était fort jolie, lui aurait dit un jour La Roncière,

vous ne lui ressemblez pas. » Enfin, La Roncière avait la réputation d'un débauché, d'un joueur; sa vie était irrégulière; ses camarades le mésestimaient. Il semble qu'il fût peu intelligent et d'un caractère faible, puisque, à un certain moment, pour sauver, à propos d'un duel, l'apparence de son honneur, il consentit, dans un billet qui, il est vrai, devait rester secret, à se reconnaître l'auteur des lettres anonymes.

Ces lettres, qui reproduisaient parfaitement son écriture, étaient des plus singulières et fort incohérentes. L'exaltation s'y montrait extrême. Il n'y était question que de haine, de vengeance, de crime: « Il me faudra la mort pour assouvir ma vengeance, disait une des lettres, adressée à un ami de la famille; dans quelque temps, cette jeune fille ne sera qu'une pauvre créature dégradée. Si vous en voulez comme cela, on vous la jettera dans les bras. Je l'aime comme un fou, c'est-à-dire son argent, et à ma manière : j'aurais voulu lui tourner la tête; son petit air dédaigneux m'a empêché de le lui dire. Aussi, je me vengerai sur elle de son amour pour vous. »

<< Comme on le voit, observe l'acte d'accusation (1), ces menaces pouvaient déjà faire pressentir de sinistres projets. » En effet, elles ne de

(1) Résumé dans : Drames judiciaires. Causes célèbres de tous les peuples. 1re livraison. Vers 1855.

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