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Eh bien, alors, elle ne peut pas parler comme l'un ou comme l'autre. Mais, un Français est-il un homme?

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Oui.

Eh bien, le diable m'emporte, pourquoi ne parle-t-il pas comme un homme? Répondez-moi à cela, vous.

Je vis, conclut Finn, que c'était perdre son temps. Il n'est pas possible de faire raisonner un nègre.

Il n'y a point pénurie de prétendants en France, et l'on en trouve cependant jusque dans l'Arkansas. Un aventurier qui se fait appeler le duc de Bridgewater (nous dirions duc du Bordde-l'eau) est abordé par un vieillard à barbe de fleuve, déguenillé, son pantalon dans ses bottes, qui se jette dans ses bras et lui dit :

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Oui, mon ami, ce n'est que trop vrai, vos yeux contemplent en ce moment même le pauvre dauphin disparu, Louis XVII, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Vous, à votre âge! jamais! Vous voulez dire défunt Charlemagne, vous devez avoir six ou sept cents ans, pour le moins.

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Ce sont mes malheurs, Bridgewater, ce sont mes malheurs. Ce sont mes malheurs qui ont fait blanchir ma barbe et tomber mes cheveux. Oui, messieurs, vous voyez devant vous, misérable, exilé, errant, méprisé, souffrant, le roi de France, le roi légitime.

Je ne donne point cela pour du très mauvais Mark Twain, car il y a pire; mais voici du meilleur, extrait du livre où il raconte ses expériences personnelles comme pilote du Mississipi :

La face des eaux devint pour moi un livre merveilleux,

non de ceux que l'on jette après qu'on les a lus, car il avait chaque jour une nouvelle histoire à conter. Tout le long des douze cents milles, il n'y avait pas une page qui fût sans intérêt. Jamais homme n'en écrivit de pareil. Le passager, incapable de le lire, y voyait une suite de jolis tableaux peints par le soleil et ombrés par les nuages, tandis que l'œil expérimenté n'y trouvait rien du tout que la lecture la plus mortellement sérieuse. Lorsque j'eus appris le langage du fleuve, que le plus banal détail de ses rives me fut devenu aussi familier que les lettres de l'alphabet, il se trouva que j'avais fait une importante conquête. Mais j'avais en même temps perdu quelque chose qui ne pouvait jamais m'être rendu. La grâce, la beauté, la poésie, avaient abandonné le fleuve majestueux... Un jour vint où je cessai de faire attention aux gloires et aux charmes que la lune, le soleil, l'aurore jetaient sur les eaux, Ce soleil signifie que nous aurons du vent demain; ces troncs flottants que la rivière va grossir, remercions-les; cette marque oblique sur la surface du courant, c'est un haut-fond où s'éventrera quelque vapeur, une de ces nuits, si elle continue à s'étendre; ces bouillons qui tournoient, c'est une barre qui se résout, un changement de chenal... Le fleuve n'avait plus pour moi d'autre intérêt que de me fournir d'utiles indications pour le pilotage. Depuis ce moment, j'ai eu pitié des médecins. Qu'est-ce que c'est pour eux que la beauté d'une femme!...

Plaignons le pilote du Mississipi, les médecins, si l'on veut, et aussi M. Clemens, qui, à force de rire de tout, n'a plus vu dans la vie que le côté comique des choses; et prenons ces lignes que nous venons de lire comme la confession d'un humoriste. Elle n'est pas sans amertume.

M. Holmes est très âgé, Browne est mort, M. Lowell fait de la critique où en sera l'hu

mour, où en seront les humoristes américains lorsque M. Billings et M. Clemens auront encore écrit pendant vingt ans ?

C'est un genre qui s'en va, peut-être, et par la faute même de ceux qui l'ont cultivé avec le plus de succès. Ils ont trop oublié que le véritable humour, c'est de rire, sans doute, mais non de rire toujours et quand même. C'est trop mépriser la vie que de la railler sans cesse ; elle peut être mauvaise, en soi elle n'est point ridicule. Dans une des dernières pages qu'elle ait écrites, George Eliot a fermement flagellé ces bouffons de la littérature (1). Son jugement est même un peu

morose:

L'art de détruire est à la portée des esprits les plus. bornés. Rien n'empêche un grossier butor de prendre un marteau et de faire sauter le nez à toutes les statues et à tous les bustes du Vatican, après quoi il pourra ricaner de plaisir devant son œuvre. Si l'esprit est le produit exquis de puissantes facultés, ce n'est pas une raison pour que nous soyons obligés de supporter les prétentions lamentablement désordonnées de monotones plaisantins à établir leur supériorité sur quiconque est doué de facultés moins facétieuses, à trancher dans tous les sujets qu'ils ne sentent, ni ne comprennent, et cela parce qu'ils n'ont de repos qu'après avoir brisé en mille pièces le miroir de la vérité dont ils se parent comme d'une verroterie bouffonne...

Les Tirynthiens, selon une ancienne tradition rapportée par Athénée, ayant reconnu que leur manie de rire de tout et du reste les rendait impropres aux affaires sérieuses, allèrent demander un remède à l'oracle de

(1) The impressions of Theophrastus such. Edimbourg, 1879.

Delphes. Le dieu leur prescrivit une forme particulière de sacrifice qui devait être absolument efficace s'ils étaient capables de l'accomplir jusqu'au bout sans rire une seule fois. Ils y firent leur possible, mais la sotte gaminerie d'un enfant suffit pour détruire leur gravité inaccoutumée. L'oracle avait ainsi montré que les dieux eux-mêmes ne sauraient trouver un remède à une altération invétérée du caractère, ni donner la force et la dignité à un peuple qui, au milieu d'une crise publique, est à la merci d'une misérable plaisanterie.

Ceci a visiblement été écrit pour les Français, il y a quelque quinze ans, mais l'application en peut être à la fois générale et plus particulière. Un genre littéraire est bien près de disparaître qui ne vit plus que d'une continuelle intoxication de bouffonnerie. C'est l'agonie exhilarante du protoxyde d'azote, mais c'est l'agonie, puis la mort. Hors cela, le criterium serait médiocre pour juger de la santé d'un peuple. Aussi bien le rire que ne comprenait plus le romancier devenu philosophe est encore un bien assez précieux, et il n'y a plus de Tirynthien que Mark Twain. Ma sagesse n'est pas aussi sombre; et, plus réservée, elle ne va pas interroger les dieux dans leurs temples, mais seulement La Bruyère, qui répond: << Il ne faut point mettre un ridicule là où il n'y en a point. C'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugement et celui des autres. >>

LA LITTÉRATURE DES JÉSUITES

Les jésuites eurent un art, une méthode d'édueation, une religion; ils essayèrent d'avoir une littérature, Leur art, qui se révéla principalement dans l'architecture, a quelque chose de pimpant et de mondain, sent la religiosité sucrée des gens qui veulent prendre les âmes à la glu des jolies choses. Telle église, qu'on attribue à leur inspiration, éveille l'idée d'un grand boudoir fané où des Jésus papillonnants donnent à la dévotion de discrets rendez-vous. Les anges y ont des airs de cupidons; les bergers adorants ont mis des rubans à leurs houlettes, et les calvaires sont adoucis par des Madeleines bien pomponnées. On s'imagine un scrupule d'iris dans l'encens, et dans la cendre du mercredi de pénitence un soupçon de poudre à la maréchale.

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