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avec les catholiques, il est très probable que cette proposition urgente et utile passera sans trop de difficulté.

Parmi les vieux libéraux aussi, il y en a quelques-uns qui, par une exagération de l'esprit doctrinaire, ne paraissent pas favorables aux projets du ministre de la guerre. Mais il est probable, pourtant, qu'ils finiront par le soutenir, afin de ne pas faire cause commune avec les cléricaux et de ne pas compromettre encore davantage l'union des libéraux.

Parmi les ministres il y en a deux, MM. Lely et Goeman Borgesius, qui sont en même temps députés; MM. Pierson et Cremer ayant déposé leurs mandats, dès qu'ils ont été désignés pour être ministres, les opinions sont très divisées sur l'opportunité d'une telle combinaison, que la Constitution toutefois ne défend pas (1).

Il y a dans notre histoire politique des précédents des deux côtés, mais il nous semble qu'un ministre député ne peut manquer de se trouver dans une position extrêmement délicate et facilement fausse. Comme ministre responsable, il peut être mis en accusation par un vote de la Chambre des députés et sa propre voix peut décider sur le sort de lui-même ou d'un de ses collègues. Il peut demander, comme député, des éclaircissements, qu'il peut refuser comme ministre. Il peut faire tomber, par un vote, le budget ou le projet de loi d'un de ses collègues ou sauver leurs propositions et il serait facile d'augmenter le nombre des exemples cités, à l'appui de la thèse de l'incompatibilité. En Angleterre, il faut bien que les ministres soient membres, soit de la chambie des Communes, soit de la chambre des Lords, parce que, sans cela, ils ne pourraient ni proposer, ni défendre dans le Parlement leurs projets, ni avoir avec lui le moindre contact immédiat. Mais, chez nous, où les ministres peuvent, de droit, assister aux délibérations des deux Chambres, le seul avantage du vote ne paraît pas assez grand pour contrebalancer tous les autres inconvénients de la combinaison mentionnée.

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LES PARTIS. Nous avons déjà parlé de la formation d'un nouveau parti, celui des chrétiens-historiques (Protestants modérés de toutes les confessions Calvinistes, Luthériens, Anabaptistes, etc.) et c'était là le grand événement, sur le terrain de la lutte politique. Pour le reste, la lutte électorale n'a pas apporté beaucoup de changements. Elle a eu pour effet toutefois de rapprocher un peu les fractions catholiques mais de séparer plus que jamais les fractions des antirévolutionnaires.

Dans le parti catholique, comme dans celui des antirévolutionnaires, il y a une fraction aristocratique et une fraction démocratique, mais, dans le parti catholique, la réconciliation a paru complète, quelques semaines avant les élections.

Les deux partis s'étaient réunis à Utrecht et les journaux ne parlaient que de la belle unité catholique. Si l'on pense toutefois que, dans la ville d'Amsterdam même, les démocrates, dans plus d'un district, ont refusé

(1) Les chefs des départements ministériels ont droit de siéger dans les deux Chambres. Ils n'ont que voix consultative, à moins qu'ils ne soient élus membres de la représentation (Constitution, art. 94).

péremptoirement le candidat, qui leur était proposé par les aristocrates, et dont le nom avait déjà été prononcé publiquement, pour mettre en avant un ouvrier sans personnalité mais président d'une société ouvrière, il semble établi que cette union était moins réelle qu'on ne le croyait.

Les démocrates antirévolutionnaires, sous la conduite de M. Kuyper, essayèrent d'abord de tendre la main aux aristocrates qui suivent la direction de M. de Savornin Lohman. Il les invitèrent à une réunion, qui devait se tenir à Utrecht, mais ces derniers ne vinrent pas. Il paraît que les conditions de la réconciliation étaient telles que les aristocrates ne pouvaient pas les accepter. Ils résolurent donc de suivre leur propre chemin, mais, dans la pratique, ils manquaient de fermeté et de résolution. Espérant du secours pour leurs candidats, tantôt des antirévolutionnaires démocrates, tantôt des catholiques et tantôt enfin des chrétiens-historiques, ils prirent une attitude, que personne ne comprenait, et qui fit croire à un manque de décision. S'ils avaient rejeté tout de suite toute idée d'une alliance avec les catholiques, ils auraient pu arriver peut-être à une entente avec les chrétiens-historiques, mais ce n'est qu'après les élections que leur organe a parlé en ce sens.

Ils sont en train maintenant de se réorganiser. Ils ont formé, après les élections, un programme autonome, tandis que, jusqu'ici, ils avaient encore le grand programme des antirévolutionnaires de 1878, qui servait aussi aux démocrates. Ils ont donc cessé d'être une fraction dissidente d'un parti, pour devenir un parti eux-mêmes; mais malgré tout cela, il reste à savoir s'ils pourront se tirer de la position fausse dans laquelle ils se trouvent. S'ils acceptent l'alliance des anti-révolutionnaires démocrates, ils reviennent sous la domination de M. Kuyper et une entente avec les chrétiens-historiques est absolument impossible, tant qu'ils ne sacrifient pas, résolument et publiquement, toute idée d'alliance avec les catholiques. Or, plusieurs députés, de la fraction de M. de Savornin Lohman, ou des antirévolutionnaires indépendants, comme ils s'appellent maintenant, doivent leurs places aux catholiques et l'un d'eux est un ami intime de M. Schaepman, l'homme d'Etat le plus distingué du parti catholique.

Ayant accepté autrefois un concours qu'ils auraient dû rejeter au plus loin, si vraiment ils avaient été de bons antirévolutionnaires, ils ne peuvent plus se débarrasser maintenant d'un passé, qui les honore peu, et ce passé peut-être leur fera manquer leur avenir.

Maintenant, voilà quel sera, probablement, le résultat du développement de la vie politique, pendant les prochaines années. Le grand parti libéral sera complètement dissous. Il disparaîtra comme a disparu autrefois le parti conservateur. Il a abusé du pouvoir. Il ne répond qu'aux besoins de la bourgeoisie, et point du tout aux aspirations des classes inférieures, qui sont appelées, maintenant, à prendre part aux élections. Il s'est cramponné à une neutralité fausse en matière religieuse, qui ne servait souvent qu'à cacher l'irreligiosité et l'antireligiosité, tandis que de plus en plus l'idéalisme gagne du terrain sur le matérialisme.

Il faut choisir maintenant et les libéraux du centre seront écrasés entre les partis extrêmes. Ce sera le parti chrétien-historique d'abord qui ralliera

et sauvera beaucoup de débris de l'ancien parti libéral, et, en premier lieu, les soi-disant « vieux libéraux », qui ont toujours gardé les véritables principes d'un libéralisme éclairé, modéré et religieux.

Il ralliera aussi beaucoup d'anti-révolutionnaires qui ne voudront pas d'une alliance avec les catholiques et il pourra compter, en dernier lieu, sur les voix de beaucoup de gens qui, tout en ne partageant pas ses convictions, lui savent gré du moins d'être un parti religieux et modéré, un parti de l'ordre et de partisans passionnés de la maison d'Orange, qui veut défendre le pays contre le cléricalisme, les ultramontains et les socialistes.

Les libéraux plus avancés, comme ils se disent, ce qui n'a rien à faire avec le progrès réel, mais veut dire seulement qu'ils sont moins modérés et qu'ils ont peu de patience, se confondront de plus en plus avec les radicaux, comme ceux-ci se confondent avec les socialistes et ces « ultra » seront. dans l'avenir, les ennemis les plus dangereux à combattre.

Les dernières luttes politiques ont donné naissance à une innovation. Jusqu'ici les programmes politiques ont été formulés par les associations d'électeurs, qui s'adressaient ensuite aux candidats, afin de savoir si ceuxci accepteraient un mandat sur la base du programme. Or, chez les catholiques, on a agi maintenant en sens inverse. Ce sont les députés de la seconde Chambre qui, inspirés par les évêques dont ils dépendent pour leurs sièges, comme ceux-ci sont inspirés, à leur tour, par les nonces et par le Pape, ont proclamé et imposé aux électeurs leur programme.

Cela nous paraît fausser absolument les rapports politiques et bouleverser les principes mêmes du droit de vote. Même, si l'on rejette la théorie de la souveraineté du peuple, on doit respecter la liberté des électeurs et souffrir que l'impulsion vienne de bas en haut, mais les catholiques sont encore tellement imbus des principes de l'absolutisme, qu'il leur faudra encore bien des années pour comprendre le droit constitutionnel.

-

LA REINE. On débat déjà à l'heure actuelle sur la question de savoir si, le jour du sacre, la reine sera couronnée. Il nous semble, cependant, qu'un couronnement n'a pas de sens pour une reine qui monte sur le trône par droit de naissance.

La Constitution (articles 51-53) (1) dit seulement, qu'aussitôt après avoir pris les rênes du gouvernement, la reine prêtera serment sur la Constitution et recevra l'hommage du peuple, représenté par les Etats Généraux. Cette cérémonie doit avoir lieu à Amsterdam, quoique le siège du gouvernement se trouve à La Haye, et, jusqu'ici, on s'est servi toujours d'un temple protestant, la Nouvelle Eglise au Dam, tout près du Palais-Royal. La cérémonie

(1) Voici la traduction de ces articles :

Art. 51. Le roi après avoir pris en mains le gouvernement prêtera serment (sur la Constitution) et recevra l'investiture aussitôt que possible dans la ville d'Amsterdam, dans une séance publique des deux Chambres réunies des Etats-Généraux.

Art. 52. Dans cette séance le roi prêtera le serment suivant ou fera la promesse suivante sur la Constitution.

« Je jure (promets) au peuple néerlandais, que j'observerai et maintiendrai toujours la Constitution.

Je jure (promets) que je défendrai et que je garderai de tout mon pouvoir l'indépendance et le territoire du pays, que je protégerai la liberté publique, la liberté privée et les droits

religieuse toutefois a été supprimée depuis 1848 et il est vrai que dans un pays où il n'y a plus d'église privilégiée de l'Etat, la cérémonie du sacre appartient entièrement au terrain du droit public. Il est probable toutefois que la reine demandera des prières publiques dans tous les temples la veille ou le matin même de son avènement au trône.

LÉGISLATION.

Malgré les luttes électorales, l'année politique a été assez fertile sur le terrain de la législation, mais peu des lois nouvelles présentent de l'intérêt pour le droit public.

Organisation industrielle.— La loi la plus importante, promulguée pendant la période que nous traitons, fut la loi du 2 mai 1897 (1), sur les chambres syndicales. La reine peut fonder ou dissoudre des chambres syndicales. Ces chambres sont destinées à favoriser les intérêts des patrons et des ouvriers et leur concours mutuel, à donner des avis, sur tout ce qui concerne l'organisation du travail, aux ministres ou aux intéressés, et à prévenir ou à concilier les questions qui peuvent surgir sur ce terrain. Ils favorisent, autant que possible, le jugement par arbitres. Les membres des chambres syndicales sont élus par un corps spécial d'électeurs. Les femmes peuvent être électeurs et élues, quoiqu'elles ne possèdent pas le droit de vote politique et qu'elles ne puissent être élues ni aux Etats-Généraux, ni aux Etats des Provinces, ni aux Conseils des Communes. C'est un pas considérable sur le terrain de la législation concernant le travail, un terrain qui jusqu'ici avait été un peu négligé. Nous avons déjà des lois qui protègent les enfants et les femmes travaillant dans les fabriques, qui tendent à prévenir les malheurs et les accidents, qui assurent la salubrité des ateliers; et les questions de la limitation du travail à quelques heures par jour, du salaire minimum, de l'assurance contre les accidents et les suites de l'infirmité attirent de plus en plus l'attention du public et du législa

teur.

Organisation communale.

Une autre loi très intéressante est celle

du 24 mai 1897 (2), qui règle les rapports financiers entre l'Etat et les communes et qui, en modifiant notre loi communale du 29 juin 1851 (3), établit des règles nouvelles concernant les impôts communaux.

Par une foule de lois, les autorités communales sont chargées, non seu

a de tous mes sujets et que j'userai de tous les moyens que les lois mettent à ma disposition pour maintenir et favoriser la prospérité publique et la prospérité privée comme cela est le devoir d'un bon roi.

Ainsi le Dieu Tout-Puissant me soit en aide (Je le promets). » Art. 53.

- Après que ce serment sera prêté ou que cette promesse aura été faite, le roi reçoit dans la même séance les hommages des Etats-Généraux dont le président prononce la déclaration solennelle suivante, qui après est assermentée ou affirmée par lui et par chacun des membres tête par tête :

« Nous vous recevons et nous vous rendons hommage comme roi au nom du peuple néer « landais et en vertu de la Constitution. Nous jurons (promettons) que nous maintiendrons

« votre inviolabilité et les prérogatives de votre couronne, nous jurons (promettons) de faire a tout ce qui est du devoir d'Etats-Généraux bons et fidèles.

« Ainsi le Dieu Tout-Puissant nous soit en aide (Nous le promettons) ».

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lement de l'administration des intérêts strictement communaux, mais en core de l'exécution des lois de l'Etat dans les communes.

Le Bourgmestre est, en même temps, un agent du pouvoir central et exécutif et c'est ainsi que les communes ont été chargées de beaucoup de dépenses, causées par l'exécution des lois de l'Etat et qui ne regardent pas directement l'intérêt communal. C'était là une injustice. Les frais des élections, de l'état civil, de la garde civique et plusieurs autres frais, qui écrasaient de plus en plus les communes et surtout les grandes villes, ne pouvaient plus être supportés par elles seules. Aussi la nouvelle loi a-t-elle fixé la somme, que chaque commune recevrait dorénavant, en rapport avec le chiffre de sa population, de la caisse de l'Etat. Ces sommes sont assez considérables et le législateur a tenu compte aussi de ce que la commune dépense pour ses pauvres. Quant aux règles nouvelles concernant les impôts communaux, elles servent encore à procurer aux communes des ressources nouvelles, surtout en les autorisant à frapper les forains, qui couchent dans les environs, mais tous les matins se rendent en ville pour y vaquer à leurs affaires. C'étaient ces forains qui jusqu'ici ne payaient rien, quoiqu'ils formassent la partie la plus riche de la population des grandes villes et qui pourtant étaient toujours les premiers à réclamer au sujet de l'insuffisance de la police, du mauvais état du pavé, ou de l'insalubrité de la ville. Cette loi nouvelle entraîne une dépense pour l'Etat de plus de deux millions, et ce n'est pas par la loi du 16 avril 1896 (1), qui a réformé l'impôt ancien dit « personneele belasting» (sur les cheminées, les meubles, les loyers, les domestiques et les chevaux), qu'il rentrera dans ses frais. Cette loi, qui ne frappe plus les portes et les fenêtres, n'a pas donné le nombre des millions qu'on en attendait et c'est de la loi nouvelle du 24 mai 1897 (2), réformant l'impôt sur les successions, mais qui n'est pas encore entrée en vigueur, que le gouvernement attend le rétablissement de l'équilibre. Cette loi est destinée surtout à supprimer les fraudes et les contraventions trop faciles sous l'ancienne loi.

Armée. En attendant que le ministre de la guerre prépare son projet de loi déjà annoncé pour introduire le service personnel et abolir le système du remplacement, nous avons, par la loi du 2 mai 1897 (3), pris des mesures pour établir, sur des bases légales et solides, la position des officiers, sous officiers et soldats de la réserve. Mais cette mesure à elle seule ne suffira jamais à faire disparaître notre infériorité, sous le rapport des forces militaires.

Droit international.

Sur le terrain du droit international, le grand événement a été le jugement prononcé par M. de Martens dans notre différend avec l'Angleterre au sujet du Costa-Rica-Packet, dont le capitaine avait été arrêté sur l'île de Java sous l'accusation de s'être emparé

(1) Bulletin des Lois, no 72.
(2) Bulletin des Lois, uo 154.
(3) Bulletin des Lois, no 117.

REVUE DU DROIT PUBLIC.

- T. VIII.

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