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actuelle et pour tirer parti des glorieux faits d'armes de nos troupes, il croit le moment venu de réaliser entièrement les promesses faites en 1896 dans les derniers discours de la Couronne, et de doter les deux Antilles d'une personnalité administrative et économique qui, tout en permettant l'intervention directe du pays dans ses affaires particulières, maintienne et fortifie les droits de la souveraineté, tout en sanctionnant d'une manière définitive l'autonomie coloniale.

<< Cette résolution a pour fondement, non seulement les promesses faites solennellement au pays dans le préambule du projet de loi du 20 mars dernier, mais encore les avantages obtenus par nos armes sur le terri- · toire cubain, tandis que la paix et la prospérité continuent à régner à Porto-Rico.

« Quel que soit le jugement que l'on puisse se former sur la possibilité d'obtenir la paix par la seule action de la guerre sans faire aucun appel à l'action politique ou internationale, il est une chose évidente, c'est que l'armée a obtenu sur le territoire de Cuba, non seulement tout ce que peut exiger l'honneur des armes, mais encore tout ce que raisonnablement on peut espérer de l'emploi de la force dans des différends de pareille

nature.

« La pacification doit se faire en ce moment à l'aide de l'action politique; car si l'armée continue à vaincre toujours et partout, parce qu'elle représente l'énergie de la nation, il n'en est pas moins vrai que tous les efforts du monde ne sont pas suffisants pour maintenir cette paix par le seul emploi des baïonnettes. D'ailleurs, aussi longtemps qu'il y aura un rebelle en armes, il faudra continuer l'effort militaire tout le temps qui sera nécessaire pour obtenir la soumission complète.

« Le gouvernement croit aussi que cette ère nouvelle doit être inaugurée par des procédés nouveaux qui n'aient rien de commun avec les anciens, ni avec les déférences dont ont fait preuve les autorités envers les divers groupes politiques; car l'unique manière d'arriver à ce résultat si désiré, c'est d'exercer l'action politique avec un grand esprit de droiture, sans préférences ni exclusions pour personne.

<< Pour juger de cette opportunité, il suffit de songer à l'impossibilité où l'on se trouve de distinguer avec certitude, au milieu des exigences de la guerre, ceux qui prennent la fuite pour ne pas mourir de faim de ceux qui vont renforcer l'insurrection, ou bien ceux qui ont renié leur patrie de ceux qui, victimes de la destinée, marchent malgré eux avec les insurgés qui ont causé leur ruine.

" Le gouvernement estime, en outre, que les réformes contenues dans le décret du 4 février et aujourd'hui en voie de préparation, sont insuffisantes pour atteindre le but désiré. Aussi, tout en prenant pour base la loi fondamentale de 1895, le Cabinet actuel croit que, de même que ses prédécesseurs ont pris sous leur responsabilité d'étendre les dispositions de ce document législatif parce qu'ils ne le considéraient pas comme approprié aux nécessités surgies dans la suite, il y a lieu, en présence des événements actuels et des difficultés du moment, de faire appel aux mêmes procédés pour réaliser ses vues et créer une organisation définitive qui

mette un terme pour de longues années à la période constituante; il rendra ensuite aux Cortès, qui ne tarderont pas à se réunir, compte de ses actes et leur proposera les moyens complémentaires que leur seule autorité peut sanctionner.

« Le ministre d'outremer est chargé de présenter lors des réunions ultérieures du Conseil des ministres les mesures propres à atteindre ce but ». Le rappel du général Weyler était le résultat d'un engagement contracté par le parti libéral envers l'opinion publique : aussi ne se fit-il pas longtemps attendre. Un des premiers actes de M. Sagasta fut la destitution du gouverneur général de Cuba, et la nomination au même emploi du général Blanco qui va appliquer dans l'île la politique du gouvernement et mettre en pratique les décrets tendant à la mise en vigueur de l'autonomie.

LA GUERRE de Cuba. La situation de la guerre de Cuba a changé fort peu depuis les faits que nous avons rapportés dans notre précédente Chro nique. Malgré le chiffre important de la nombreuse armée que nous entretenons là-bas, il ne s'est pas effectué, pendant ces derniers mois, d'opérations militaires qui prouvent que l'on ait obéi à un plan déterminé : à plusieurs reprises, le général Weyler est parti en campagne à la tête de fortes colonnes et a parcouru une grande partie des provinces centrales de l'île sans rencontrer de bandes d'insurgés et, par suite, sans avoir eu l'occasion de livrer de combats importants. La guerre a cessé d'être une maladie aiguë pour prendre le caractère de maladie chronique; et ce changement a pour résultat de rendre la pacification plus difficile; car l'ennemi se défend mieux dispersé qu'uni, alors surtout que nos soldats ont à souffrir des rigueurs du climat et que les maladies produisent plus de vides dans notre armée que ne pourraient le faire les plus sanglantes batailles.

L'ESPAGNE ET LES ÉTATS-UNIS. Le général Weyler, voyant que les insurgés évitaient de rencontrer nos troupes, pensa que le meilleur moyen de les combattre consistait à les empêcher de se procurer des subsistances et à détruire, dans ce but, tous les éléments de richesse du pays dont ils pouvaient faire usage. Cette détermination, dont nous n'avons pas à discuter ici l'opportunité et l'efficacité en pleine action militaire, produisit bientôt de funestes conséquences pour les habitants pacifiques qui eurent à souffrir, eux aussi, de la rareté des moyens de subsistance; ce fut le complément de l'œuvre de destruction et de ruine entreprise par les insurgés.

La presse nationale et la presse étrangère mirent en évidence les conséquences de ce plan; et les consuls des États-Unis appelèrent l'attention de leur gouvernement sur l'état malheureux dans lequel se trouvaient les sujets américains. Le président des États-Unis crut convenable d'envoyer à Cuba M. Calhoun et de lui confier la mission spéciale de le mettre au courant de la situation de l'île. On ne tarda pas à s'apercevoir que la mission confiée à M. Calhoun n'était ni très correcte, ni très amicale, d'autant

plus que Mac-Kinley devait nécessairement avoir reçu de ses consuls des renseignements précis sur les événements qui se passaient à Cuba. Cependant, notre gouvernement ne pouvait pas s'opposer à ce que le président des États-Unis se procurât toutes les informations qui lui paraîtraient nécessaires, pourvu qu'elles eussent un caractère privé. Mais la mission confiée à M. Calhoun, comme on s'en aperçut bientôt, avait un caractère agressif, sinon attentatoire, pour notre soveraineté, puisqu'elle avait pour but de se renseigner sur ce qui s'était produit dans le cas de Ruiz. Ruiz était un dentiste de Guanabacoa, fils de parents espagnols, né en Espagne et établi à Cuba depuis vingt ans, après avoir acquis, d'une manière plus ou moins problématique, la qualité de citoyen américain, dans le cours de ses études de dentiste, qu'il avait faites à New-York. Accusé d'avoir fait dérailler un train à l'aide de la dynamite, il fut arrêté et enfermé dans la prison de Guanabacoa où il mourut des suites d'une maladie cérébrale. Le consul des États-Unis à la Havane supposa qu'il s'agissait d'un assassinat et dénonça les faits aux autorités espagnoles de Cuba qui ordonnèrent sans perdre de temps une enquête afin d'éclaircir le mystère. On procéda à l'autopsie du cadavre de Ruiz en présence du consul, M. Lee; et le juge compétent, après qu'on eût rempli toutes les formalités nécessaires dans ce cas, déclara que la mort avait une cause naturelle et qu'elle n'était pas la conséquence d'un crime quelconque. Les choses s'étant passées ainsi, on ne comprenait pas ce que pouvait avoir à voir un agent américain dans un procès qui rentrait dans la compétence exclusive des tribunaux espagnols; sans quoi il aurait fallu admettre que M. Calhoun avait qualité pour reviser les sentences prononcées par nos tribunaux. Dans le cas spécial du dentiste Ruiz, il s'agissait uniquement de savoir si un crime, prévu et puni par notre loi pénale, avait ou non été commis; et, pour décider sur ce point, la seule autorité compétente était l'autorité judiciaire espagnole.

Sur le vu des renseignements envoyés par les consuls et par son émissaire spécial, M. Calhoun, le président Mac-Kinley adressa au Congrès des États-Unis, à la date du 17 mai, un message dans lequel il exposait que les citoyens des États-Unis, qui se trouvaient sur les territoires ruraux du centre et de l'orient de l'île, étaient privés de tous moyens de subsistance et avaient besoin d'être secourus sans perdre de temps. Le Président proposait d'employer immédiatement une somme de 50.000 pesos et de les distribuer conformément aux instructions que donnerait le secrétaire d'État, M. Sherman. Ce message reçut sur-le-champ l'approbation des

Chambres.

L'action du gouvernement de Washington se bornait donc à envoyer des secours en numéraire aux citoyens américains résidant à Cuba. Aussi notre gouvernement déclara-t-il, ne voyant aucun inconvénient à cela, qu'il ne s'opposerait pas à la mise à exécution de la résolution adoptée par les chambres des États-Unis.

Au mois de juin, M. Woodford fut nommé ministre plénipotentiaire des États-Unis à Madrid, en remplacement de M. Taylor. On mit en circulation en Espagne, touchant les instructions données par Mac-Kinley à son

nouveau représentant, des nouvelles très alarmantes: on affirmait que ce ministre avait reçu pour mission de donner à l'action diplomatique une marche plus rapide. En réalité, M. Woodford représentait une adminis. tration nouvelle considérée comme plus hostile à l'Espagne que celle de Cleveland et d'Olney; au surplus, on savait que, dans le cours de son voyage en Europe, avant de venir prendre possession de son poste en Espagne, le nouveau ministre avait cherché à sonder la pensée des principaux gouvernements européens au sujet de la question de Cuba.

M. Woodford arriva le 1er septembre à Saint-Sébastien; le 13, il présenta ses lettres de créance à la reine. Beaucoup croyaient qu'en présence des circonstances que traversait en ce moment notre politique intérieure, il attendrait jusqu'à la rentrée de la Cour à Madrid pour entreprendre sa mission. Mais il n'en fut pas ainsi; car, peu de jours après, il entra en pourparlers avec le ministre d'État. Divers correspondants de journaux nationaux et étrangers déclarèrent que, dans le cours de ces entretiens, M. Woodford avait cherché à démontrer que les grands préjudices soufferts par les intérêts américains mettaient le cabinet de Washington dans l'obligation de demander la terminaison prochaine de la guerre de Cuba; ils allèrent même jusqu'à affirmer que M. Woodford avait déclaré que. l'île n'était pas pacifiée à la fin du mois d'octobre, les États-Unis se considéreraient comme libres de faire ce qu'ils jugeraient nécessaire pour assurer la paix d'une manière complète et permanente.

si

On ne put pas croire que le représentant des États-Unis eût tenu un pareil langage, qui aurait eu tous les caractères d'un véritable ultimatum. Suivant une autre version, mise en avant également par la presse, M. Woodford s'était contenté de donner au ministre d'État copie des instructions de son gouvernement et avait demandé une réponse pour le 1er novembre, mais sans exiger que la guerre fût terminée à cette date. En d'autres termes, d'après cette opinion, le délai donné par les États-Unis ne se réfère pas à la pacification de l'île, mais bien à la réponse que le gouvernement de Washington désire recevoir de l'Espagne sur la nécessité d'en finir bientôt avec la guerre; il est à noter que ce gouvernement aurait indiqué à l'Espagne la concession de l'autonomie, comme un moyen d'arriver à ce but, et aurait offert la médiation de la République nord-américaine comme puissance intéressée à la solution du problème cubain.

Cette opinion paraît plus vraisemblable que la première; car il serait absurde de supposer que Mac-Kinley eût formulé en septembre une menace devant produire son effet au bout de trente jours comme s'il se fût agi de la chose la plus simple du monde. Et il ne faut pas croire que les hommes d'État de Washington fussent assez simples pour découvrir ainsi leur jeu aux yeux des gouvernements de l'Europe.

La presse de New-York s'est occupée avec un soin tout particulier de la question relative à la note présentée au gouvernement espagnol par le ministre américain. Les grands journaux ont assuré que, sous une forme polie, ce document avait un caractère comminatoire destiné à hâter la solution du problème cubain. Les journaux officiels et les organes officieux du Président ont rectifié ces impressions et ont assuré que la note

avait uniquement pour but d'obtenir que l'Espagne acceptât à titre amical l'intervention de l'Amérique, et qu'elle ne pouvait amener une rupture qu'au cas où le cabinet de Madrid aurait méconnu les motifs puissants qui poussaient le gouvernement de Washington à entamer des négociations, dont les premiers points doivent être signalés par le Message présidentiel des premiers jours de décembre.

Un des premiers travaux qu'aura à accomplir le gouvernement de M. Sagasta, ce sera de préparer la réponse qu'il doit faire à la note de M. Woodford.

LES CARLIStes.

L'agitation du Carlisme s'est montrée à découvert pendant cette derniére période ; et elle préoccupe à juste titre ceux qui voient en elle un péril très sérieux qui pourrait venir prochainement s'ajouter aux malheurs dont a à souffrir notre infortunée patrie. Il est hors de doute que les erreurs et les défaillances des partis au pouvoir et l'usage déplorable que l'on a fait du régime constitutionnel ont ranimé les espérances et fait renaître les illusions des Carlistes.

Les partisans de Don Carlos se font gloire de leur organisation; et bien que le péril d'un soulèvement carliste ne soit pas prochain, il est indubitable toutefois que ce parti se tient en éveil en prévision des éventualités qui peuvent le déterminer à ouvrir la guerre.

L'INSURRECTION des PhilippinES. On avait dit officiellement qu'aux Philippines, il n'y avait plus d'insurgés en armes et que la paix y était plus profonde qu'avant l'insurrection. Le pays, désireux d'apprendre de bonnes nouvelles, le crut facilement; et il était heureux de voir pacifiée l'une des deux colonies qui avaient pris les armes contre la mère-patrie. Aussi la déception fut grande lorsqu'on apprit, au milieu du mois de juin, qu'on avait eu à soutenir, dans d'importants combats, le choc des forces d'Emilio Aguinaldo qui avait réussi à passer de la province de Cavite dans celle de Bulacan et à y réunir sous ses ordres 4.000 insurgés. Ainsi se confirmaient les prévisions du général Polavieja qui avait déclaré qu'il était nécessaire de faire un nouvel effort après avoir vaincu la rébellion à Cavite, si l'on voulait que la victoire fùt complète et définitive.

Heureusement, les nouvelles arrivées plus tard sont plus satisfaisantes et font espérer qu'il ne sera pas possible aux groupes d'insurgés, qui existent encore, de se maintenir bien longtemps.

(Traduit par M. J. Gaure, avocat).

A. LOPEZ SELVA.

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