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liberté du Brésil; elle est par là la consécration de la Révolution de 1821. Néanmoins, en ces temps troublés où toute l'Amérique était soulevée, où, depuis Mexico jusqu'aux pampas du sud, les dictateurs, les constituantes et les décrets d'union ne se comptaient plus, il fallait laisser une porte ouverte aux agrandissements possibles de l'Etat. La loi ne répudie done que les fédérations qui compromettraient l'indépendance de l'empire; elle se montre, en principe, favorable à celles qui, au contraire, l'assurent en l'agrandissant.

La question de principe, au surplus, joue dans la Constitution de 1824 un rôle important. Les souvenirs de la Révolution française, l'écho des discussions constitutionnelles qui, en ce moment même, remplissaient la France et l'Espagne, le Portugal des Bragance, suffisent très largement à expliquer cette préoccupation.

Or la plus belle occasion d'affirmer ou de répudier un principe, pour des constituants, s'offre assurément au sujet de la séparation des pouvoirs publics La valeur pratique de la théorie est en effet des plus minces; mais assez de déclamations, depuis Montesquieu, l'avaient mise en relief pour lui donner une singulière importance doctrinale.

A ce point de vue, la Constitution de 1824 est originale. Elle abandonne le système presque universellement reconnu des trois pouvoirs et, sans tomber dans des exagérations théoriques qui firent admettre jusqu'à huit pouvoirs par certains juristes, elle en reconnaît formellement quatre : exécutif, législatif, judiciaire et modérateur (1).

L'empereur est le chef du pouvoir exécutif; il tient son pouvoir de la nation, qui le lui a délégué et dont il est le représentant. La Constitution prévoyait la possibilité d'organiser une régence; cette mesure ne devait pas tarder à être appliquée, quelques années plus tard, en avril 1831, pour la première partie du règne du jeune Pedro II. Ajoutons, simple remarque terminologique, - que l'empereur recevait le titre de « défenseur perpétuel du Brésil » ; c'était, sans doute, une innocente imitation des Etats voisins où les nouveaux dictateurs rivalisaient de titres pompeux (2).

(1) La Constitution du Portugal partage seule avec celle de 1824 ce « pouvoir modérateur » qu'elle reconnaît encore aujourd'hui.

(2) J'en relève cinq pour Bolivar de 1813 à 1821: dictateur-libérateur des provinces

L'empire était héréditaire et la dynastie régnante celle de don Pedro, descendant de la vieille famille des Bragance. La personne de l'empereur fut proclamée inviolable et sacrée ; l'influence de Pedro Ier avait évidemment inspiré ce principe, barrière bien fragile pour retenir les mécontents et détourner les révolutions!

Le pouvoir exécutif est délégué par l'empereur à ses ministres d'Etat ; il a le droit de les nommer et de les renvoyer à sa volonté, mais ils sont responsables vis-à-vis du pays.

De ces attributions du pouvoir exécutif, il n'y a en somme rien à dire. Elles n'étaient pas exagérées et l'on pouvait féliciter de sa modération don Pedro Ier qui, ayant eu le soin et l'attention d'organiser la Constitution de 1824, n'en avait que si peu abusé!

Il n'en faudrait rien faire cependant; et c'est surtout l'habileté de l'empereur qui mérite ici quelque éloge.

A côté de ce pouvoir exécutif si sage et si peu redoutable intervient, en effet, ce fameux « pouvoir modérateur » dont j'ai tout à l'heure signalé l'existence. Ce pouvoir est délégué à l'empereur; et ceci nous expliquera à la fois sa raison d'être, son but et son étendue. Tout ce que don Pedro Ier ne pouvait pas réserver au pouvoir exécutif, par crainte d'élever des récriminations ou des mécontentements, il le fit attribuer à cet ingénieux pouvoir modérateur, créé si à propos pour le sortir d'embarras. Et, par cette habile innovation, il doubla et il renforça, sans en avoir l'air, son propre pouvoir; tant il est vrai que tous ceux que l'on veut créer, de bonne ou de mauvaise foi, en dehors de l'exécutif, du législatif et du judiciaire, ne peuvent être qu'un démembrement de l'un ou de l'autre destinés à s'y rattacher en pratique.

Don Pedro avait si bien compris ce véritable but du « pouvoir modérateur » qu'à l'endroit où elle l'organise, la Constitution place précisément ces qualités d'inviolabilité et de respect sacré que nous avons vu appliquer à sa personne. Elle rassemble naïvement sur ce même point les plus hautes et les plus redoutables attributions du souverain.

occidentales, chef suprême et capitaine général des forces de Venezuela, libérateur de la Patrie, etc.

Quelle était donc, au juste, l'étendue du pouvoir modérateur? Il s'exerçait sur les trois autres.

Sur le pouvoir exécutif, pour le renforcer; c'est de lui que venait le droit, pour l'empereur, de casser aux gages ses ministres et de les renvoyer à sa volonté, prérogative dangereuse et bonne pour créer des conflits avec les Assemblées nationales, pour donner naissance à de redoutables rancunes. Cette arme, dont le souverain avait voulu se munir, exigeait un emploi bien prudent; en lui permettant de satisfaire parfois ses rivalités personnelles, elle l'invitait à le faire. Il n'est guère bon, pour un empereur constitutionnel, d'avoir une ingérence si directe dans la politique; il y recueille, en échange de sa tranquillité et de son indépendance, une responsabilité dangereuse. L'histoire devait bientôt le prouver le renversement de Pedro I en 1831 fut en partie amené par les partisans d'un de ses anciens ministres, Filisberto, qu'il avait disgracié brusquement et dont l'hostilité lui arracha la couronne deux ans après.

Sur le pouvoir législatif, le pouvoir modérateur avait une influence directe. Il est bien évident, d'ailleurs, qu'il était surtout créé quant à lui et contre lui. Don Pedro Ier se souvenait des tendances révolutionnaires, peut-être faudrait-il dire, plus simplement, libérales, affichées par l'Assemblée de 1821. Il se rappelait non moins bien du succès avec lequel son énergie avait remédié au mal et, craignant de se retrouver parfois en face du danger, il voulait avoir toujours en main le remède qui l'avait sauvé.

L'Assemblée générale, réunion des deux Chambres dont nous verrons tout à l'heure l'organisation, peut, en vertu du quatrième pouvoir, être convoquée extraordinairement par l'empereur; il peut de même la proroger ou l'ajourner, sans doute si ses décisions n'ont pas été conformes à ce qu'il espérait d'elle.

Mais c'est surtout vis-à-vis de la Chambre des députés que le « pouvoir modérateur » devient exorbitant. Le souverain a le droit de prononcer sa dissolution et d'en faire élire immédiatement une autre, s'il le juge à propos. Le droit de dissolution lui appartient à lui seul, sans intervention du Sénat ou d'aucun autre pouvoir. La Constitution de 1824, malgré son appa

rence libérale, en arrivait de ce chef à constituer un pouvoir exécutif extrêmement fort. Elle soumettait au bon vouloir du souverain la représentation nationale; cette facilité de << mettre à la raison » les députés récalcitrants érigeait en système gouvernemental la tentative de 1822; elle donnait la possibilité légale de se passer tant de l'Assemblée que de la Chambre pour prendre des décisions extrêmement graves. Dans les mains de Don Pedro Ier c'était une ressource sérieuse.

J'ajouterai enfin que l'empereur tirait du « pouvoir modérateur » selon la Constitution de 1824, le droit de grâce qui appartient généralement à tous les chefs d'Etat. On trouva par là le moyen d'en étendre la portée d'une façon absolue, même pour des attentats qui visent la sûreté publique et qui devraient échapper en partie, condamnations prononcées, au pardon exclusif du pouvoir exécutif.

Voyons donc quelle place restait au pouvoir législatif, devant une telle organisation de l'Etat.

On ne lui avait pas, du moins, marchandé le respect auquel il pouvait prétendre. La Constitution déclarait volontiers que l'Assemblée générale était, tout comme l'empereur, le représentant de la nation brésilienne dont elle tenait par délégation ses pouvoirs. Il est vrai que cette délégation devait recevoir la sanction de l'empereur ! Des deux « représentants du Brésil »>, si bien égalisés et pareillement honorés, l'un n'existait qu'avec la sanction de l'autre disons plus brutalement qu'il lui était soumis.

L'Assemblée générale, dit la Constitution de 1824, comprend deux Chambres, composées de membres distincts, une personne ne pouvant appartenir à la fois à l'une et à l'autre.

Le Sénat est composé de membres nommés à vie. La Chambre des députés, au contraire, est temporaire. Leurs membres sont d'ailleurs toujours élus; on peut prendre dans leurs rangs les ministres et les conseillers d'Etat, mais l'acceptation de toute autre fonction leur fait perdre immédiatement leur mandat électoral. Je passe rapidement sur les autres dispositions de discipline intérieure. Je noterai seulement une mesure libérale l'interdiction d'arrêter un député ou un sénateur pendant la durée de ses fonctions, et une mauvaise mesure fiscale: la variabilité des indemnités législatives qu'il fallait fixer de nouveau à toutes les législatures.

L'initiative des lois de finance et des lois sur le recrutement de l'armée est réservée à la Chambre des députés. C'est une mesure qui se retrouve dans plusieurs pays. Il fallait y ajouter l'initiative de choisir un nouveau souverain, dans le cas où la dynastie impériale se trouverait éteinte; mais ce point, qui n'eut qu'une importance historique très secondaire, se conçoit beaucoup plus mal ; et il me semble que l'intervention de l'Assemblée nationale se serait ici beaucoup mieux comprise.

J'arrive au mode des élections. Elles étaient indirectes et à deux degrés. Il ne faut pas perdre ici de vue qu'à cette époque (1824) le suffrage universel et l'élection directe n'étaient, même en Europe, même en France, qu'à l'état de théories. Aujourd'hui même, pour ne parler que des Etats américains, le suffrage à deux degrés existe encore dans les Républiques du Pérou et du Mexique.

Mais il faut songer surtout que le Brésil, à peine sorti de la domination portugaise, formait une association politique et sociale encore très rudimentaire. L'esclavage y était une institution fondamentale qu'on ne songeait guère à détruire. L'idée d'égalité était, par ce seul exemple, battue en brèche; Portugais et Américains, mulâtres, métis et hommes de race blanche, citoyens libres et citoyens affranchis formaient des castes multiples dont chacune avait son orgueil, ses préjugés et ses haines. Le suffrage universel et direct n'eut même pas été, dans cette société, une généreuse imprudence ; il fut devenu, par une erreur politique impardonnable, un instrument de dis

corde.

Les citoyens électeurs élisaient donc, dans des assemblées municipales, ceux qui devaient à leur tour choisir les membres de la Chambre et du Sénat.

Entre les électeurs et, les éligibles, la Constitution se borna à établir une différence de cens. Elle permit d'élire seulement les personnes dont le revenu était au moins de 4 millions de

reis.

Telle fut la Constitution de 1824. On l'a généralement trop bien ou trop mal jugée ; elle ne mérite ni trop d'éloges, ni tant de critiques. Il faut, pour la comprendre, tenir compte du temps où elle fut promulguée : elle pouvait certes être rangée parmi les plus libérales d'alors. Les intentions de Don Pedro Ier

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