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cite par les deux décrets du 24 octobre 1870 (1). Mais alors à quelle disposition faut-il se référer? Suivant nous, on doit appliquer par analogie l'article 1er du même sénatus-consulte, relatif aux indigènes musulmans. Voici le motif: l'annexion du M'Zab doit produire le même effet à l'égard de tous les indigènes originaires de ce territoire, quelle que soit leur religion. Dès lors, au point de vue de la nationalité, les indigènes israëlites doivent être assimilés aux indigènes musulmans (2).

Déduisons les conséquences qui résultent de cette règle générale.

a) Les indigènes israëlites sont sujets français.

Néanmoins, ils continuent à être régis par la loi mosaïque, spécialement en ce qui concerne la capacité, le mariage (3), les successions (4). Par application de cette idée, la Cour d'Alger a décidé que l'on ne pouvait prononcer la séparation de corps entre deux époux indigènes israëlites du M'Zab, parce que leur statut personnel n'admettait que la répudiation et le divorce (5).

b) Les indigènes israëlites ne sont pas citoyens français.

(1) Article unique du décret du 24 octobre 1870 sur la naturalisation collective des indigènes israëlites. Article 5 du décret du 24 octobre 1870 sur la naturalisation des indigènes musulmans et des étrangers.

Voyez sur ce point la note de M. Albert Tissier dans SIREY 1897. I. 97.

(2) Le gouvernement général de l'Algérie paraît adopter cette solution. Circulaire du gouverneur général en date du 28 décembre 1895. Revue algér, et tunis. 1896. III. p. 69.

(3) Dans sa circulaire du 28 décembre 1895, déjà citée, le gouverneur général de l'Algérie a insisté sur ce point.

(4) Antérieurement à la promulgation du décret du 24 octobre 1870, on s'était demandé si, au point de vue des successions, les indigènes israëlites de l'Algérie devaient être régis par la loi mosaïque. La jurisprudence adopta la négative. Suivant elle, les mots statut personnel, qui se trouvaient dans l'article 2 du sénatus-consulte de 1865, se rapportaient uniquement à l'état et à la capacité des indigènes. Cass, 5 décembre 1871 suiv. 1871. 1. 189. Cass., 31 mars 1874, SIR. 1871 1. 346. Alger, 22 décembre 1870, Sir. 1871. II. 196. - Alger, 20 novembre 1873, SIR. 1874. II. 166.

Cette interprétation étroite a été justement combattue par certains auteurs comme étant contraire à l'esprit même du sénatus-consulte de 1865. WEISS. Traité de droit international privé, T. I. p. 382.

(5) Alger, 25 février 1891. Revue algér. et tunis, 1891. II. p. 221.

D'après cet arrêt, les Israëlites du M'Zab seraient autorisés par leur statut personnel à pratiquer la polygamie. Cela est conforme à une ancienne décision de la même Cour, Avant 1870, la Cour d'Alger avait déclaré que « la loi mosaïque permettait ou, du moins, tolérait la polygamie ».

Alger, 25 mai 1865 SIREY. 1866. II. 85.

Par application de cette idée, le Conseil de préfecture d'Alger a décidé que les Israëlites, originaires du M'Zab et établis sur le territoire algérien, ne pouvaient pas prendre part au vote pour l'élection des adjoints ou membres français de la commission municipale d'une commune mixte, ni être élus en cette qualité. En effet, d'après l'article 7 du décret du 7 avril 1884, les adjoints et membres français d'une pareille commission doivent être élus par les citoyens français inscrits sur la liste électorale (1).

Du reste, quoique n'étant pas citoyens, les Israëlites du M'Zab peuvent être admis à servir dans l'armée et être nommés à certains emplois civils en Algérie (2).

c) Les indigènes israëlites peuvent acquérir la jouissance de tous les droits civils et politiques en se faisant naturaliser, conformément à l'article 1o, § 3 du sénatus-consulte du 14 juillet 1865 (3).

Cette naturalisation individuelle est soumise aux mêmes conditions et produit les mêmes effets que la naturalisation individuelle des indigènes musulmans (4).

Telle est, esquissée à grands traits, cette annexion du M'Zab dont l'importance politique et militaire ne saurait être contestée. Depuis cet événement, l'influence française a fait des progrès sérieux dans le sud de l'Algérie. Nous avons consolidé notre occupation à El-Goléah en construisant les forts de Miribel et de Mac-Mahon (5). C'est là un résultat considé

(1) Conseil de préfecture d'Alger, 11 août 1890. Revue alg. et tunis. 1891. II. P. 399.

Le gouverneur général de l'Algérie, dans sa circulaire du 28 décembre 1895, déjà citée, a pris soin de rappeler que les Israëlites du M'Zab ne pouvaient être inscrits sur les listes électorales.

(2) L'article 1, § 2 du sénatus-consulte du 14 juillet 1865 doit être appliqué par analogie. Dans sa circulaire du 28 décembre 1895 précitée, le gouverneur général fait allusion à l'admission de ces Israëlites dans les rangs de l'armée.

(3) Ce point n'est pas nettement réglé par les documents officiels.

Le gouverneur général, dans la circulaire du 28 décembre 1895 précitée dit simplement « Il est nécessaire qu'ils aient sollicité la naturalisation dans les formes imparties aux indigènes par le sénatus-consulte de 1865 ».

Le garde des sceaux, dans sa lettre du 7 novembre 1882, s'exprime en termes plus vagues encore il se borne à affirmer que les indigènes israëlites « pourront obtenir individuellement la naturalisation en se conformant aux règles posées par le sénatus-consulte de 1865. »

(4) En pratique, la naturalisation a été peu sollicitée par les lsraëlites du M'Zab. On ne relève que quelques rares décrets se rapportant à eux.

(5) Le fort de Miribel est à 140 kilomètres au sud de El-Goléah, le fort MacMahon à 160 kilomètres.

rable. Mais il nous reste à placer sous notre autorité le Touat, dont la possession nous est « indispensable aussi bien au << point de vue stratégique que dans l'intérêt de notre péné«tration future dans le Sahara (1) »

In-Sahal doit être désormais notre objectif! (2).

E. ROUARD DE CARD, (3)

Professeur de droit civil à l'Université de Toulouse.

(1) R. FRISCH. Le Maroc, p. 371.

(2) In-Salah et Tombouctou seront les deux bases d'opérations grâce auxquelles on pourra dans l'avenir opérer la jonction de l'Algérie et du Soudan français. Il convient de signaler à ce propos, le fait suivant: Au mois de juin 1897, un courrier porteur d'une trentaine de lettres, est arrivé de Tombouctou à Aïn-Sefra dans le Sud-Oranais.

(3). E. ROUARD DE CARD, né à Limoges, le 20 mai 1853; secrétaire de la Conférence, des avocats de Paris, 1878; chargé de cours à l'Ecole de droit d'Alger, 1880-1884; professeur agrégé à la Faculté de droit de Montpellier, 1885; à la Faculté de droit de Toulouse, 1886; professeur titulaire à la même Faculté, 1890; associé de l'Institut de droit international, 1895. Auteur de 1. L'arbitrage international dans le passé, le présent et l'avenir (ouvrage couronné par la Faculté de droit de Paris), 1877; 2. La guerre continentale et la propriété, 1878; 3. Etudes de droit international, 1890; – 4. Droits de l'époux dans la succession de son conjoint prédécédé, 1891; 5. Distinction entre la responsabilité contractuelle et délictuelle, 1891; 6. Les destinées de l'arbitrage international depuis la sentence rendue par le tribunal de Genève, 1832 ; — 7. La nationalité française, 1894 ; — 8. Un protectorat disparu, 1894 ;- - 9. L'Alsace-Lorraine et le projet de neutralisation, 1895; 10. Les Traités de protectorat conclus par la France en Afrique, 1870 à 1895; 11. Le différend franco-brésilien relatif à la délimitation des Guyanes, 1897.

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LA CONSTITUTION BRÉSILIENNE DE 1824

SOMMAIRE: La Révolution de 1821.

Réunion d'une Constituante pour élaborer la Constitution du Brésil. Dissolution de l'Assemblée par Don Pedro Ier. Il fait lui-même la Constitution. Le pouvoir modérateur.

Son analyse.

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Les quatre pouvoirs.
Le système électoral.

Conclusion.

--

Le

La Révolution du mois de février 1821 venait de séparer définitivement le Brésil du Portugal. Don Pedro, second fils du roi Jean VI, alors âgé de vingt-trois ans avait été d'abord proclamé prince-régent et « défenseur perpétuel de la nation » ; il avait enfin échangé ces titres contre celui d'empereur, et il résolut d'affirmer d'une façon certaine l'indépendance du nouvel Etat en le dotant d'une Constitution.

Ce devait être l'œuvre d'une assemblée constituante composée de députés de la capitale et des provinces, décidés, dans l'esprit du nouveau souverain, à travailler de concert sous sa haute direction.

Cette assemblée fut, en effet, réunie; mais elle ne tarda pas à se montrer trop indépendante et à dissimuler difficilement son ardent désir d'échapper à la tutelle impériale. Des tendances républicaines non déguisées s'y manifestaient; les Etats voisins de l'Amérique latine se montraient de plus en plus portés à répudier la forme monarchique pour des institutions plus libérales ; ils confiaient à des patriotes, souvent plus ambitieux qu'habiles d'ailleurs, le soin de leurs destinées. Ces exemples si voisins n'étaient pas sans frapper l'esprit des députés du Brésil; ils faillirent avancer de plus d'un demi-siècle la Révolution de 1889 et rompre, dès les premiers mois de l'indépendance, avec leur nouveau souverain.

Un coup d'Etat de don Pedro Ier les arrêta seul. La dissolution de l'Assemblée fut décrétée à l'improviste et cette décision fut soutenue par des mesures vigoureuses; l'exil des députés les plus influents ou les moins soumis débarrassa à propos l'empereur des personnalités qui le gênaient.

Don Pedro savait qu'il jouait gros jeu. Son caractère décidé

REVUE DU DROIT PUBLIC. -T. VIII

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et hardi ne redoutait sans doute guère d'engager une décisive partie. Elle lui fut favorable, et, bien qu'un mécontentement très vif suivit dans le pays sa mesure trop énergique, sa situation ne s'en trouva pas compromise. Elle parut même à ce moment consolidée, bien que beaucoup de rancunes suscitées par le coup d'Etat dussent reparaître plus tard et devenir en 1831 l'un des facteurs du mouvement qui devait renverser don Pedro.

L'apparente soumission du peuple en 1822, l'absence de tout chef politique capable de conduire réellement une opposition permirent à l'empereur de réaliser une de ses plus chères pensées en écartant une Chambre représentative de l'élaboration des lois constitutionnelles. Il est fort à prévoir, d'ailleurs, qu'une Assemblée réunie sous un gouvernement aussi peu to. lérant n'eût été que le reflet de ses volontés, sous peine d'être à son tour ramenée à la sagesse par quelque violente dissolution. Mais don Pedro savait que ces procédés usent souvent ceux qui les emploient; il préféra n'avoir pas à soutenir une lutte nouvelle et résolut de se passer de toute Assemblée constituante.

Il avait étudié lui-même un projet de Constitution qui était porté à la connaissance de chacun; on doit lui rendre cette justice qu'il était conçu dans les vues les plus sages et les plus modérées. L'empereur eut l'habileté de rendre ce projet populaire; des manifestations nombreuses que les municipalités ne lui marchandèrent pas suppléèrent largement à une ratification nationale. Une sorte de plébiscite officieux vint donner gain de cause au projet impérial et en imposer l'application.

Le 25 mars 1824 les fonctionnaires de l'Etat prêtèrent à la Constitution un serment solennel. Le lendemain, don Pedro Ier voulut bien accepter les lois fondamentales qu'il avait dictées. Et l'Empire se trouva doté, non sans une sanglante résistance de Bahia -, de la Constitution qu'il devait garder jusqu'à sa chute, en 1889 (1).

Ce rapide exposé des vicissitudes qui précédèrent sa promulgation permettra de la juger mieux et d'en comprendre plus facilement l'esprit.

La Constitution proclame tout d'abord l'indépendance et la (1) Modifiée en 1834 et en 1840.

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