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porte sur les questions de production; et celui des socialistes sur les problèmes de répartition.

En d'autres termes les orthodoxes sacrifieraient volontiers la justice à la richesse; et les collectivistes la richesse à la justice.

Ce n'est pas l'opinion de M. Jaurès.

Il ne veut pas admettre que le triomphe du socialisme puisse être payé d'une diminution de production générale. C'est, selon lui, tout le contraire qui aura lieu. Une fois de plus, les notions du Bien et de l'Utile seront confondues; et la justice profitera à la société, comme la vertu à l'individu.

Quand il faut arriver à la démonstration de cette séduisante proposition, M. J. s'appuie surtout sur deux idées principales: d'abord les iniquités de la société capitaliste sont paralysantes. L'effort qui doit être insuffisamment rétribué, se fait inconsciemment plus lâche, mais il retrouverait toute son énergie dans une organisation permettant à l'ouvrier de racheter son produit avec son salaire. D'autre part, il est des créations improductives que ne connaîtra pas la société collectiviste; il s'agit là des gaspillages qu'entraîne le luxe insensé de fortunes souvent trop nouvelles.

Chemin faisant, M. J. réfute quelques-unes des objections le plus souvent tirées contre le collectivisme de la théorie de la production: C'est ainsi, par exemple, qu'on a dit bien souvent que le premier jour de la révolution serait le dernier jour de l'épargne, cependant indispensable à l'accroissement de la richesse sociale. Cette idée n'est pas pour arrêter M. J. Les citoyens des sociétés collectivistes, nous dit-il, épargneront par moralité pure, parce que leurs enfants devront profiter, pour leur part, de l'augmentation du bien-être général. D'ailleurs un bon socialiste réserve toujours dans l'État une providence prête à toutes les vigilances. Ne sera-t-elle pas là, en cas de négligence des individus, pour faire sous forme d'impôt, les prélèvements d'épargne nécessaires?

En dehors de ces grandes lignes, l'article de M. J. est encore pour nous intėresser par quelques aperçus inattendus. L'auteur, par exemple, fait, avec une singulière facilité, le sacrifice de la journée de huit heures. Si elle apparaft aujourd'hui au premier plan des revendications socialistes, c'est parce que la tyrannie du capital se traduit par de véritables travaux forcés imposés aux ouvriers, au delà de toute mesure raisonnable. Un pareil danger ne sera plus à craindre, quand il n'y aura plus qu'un capital national; et dès lors ce serait aller contre des moulins à vent, que vouloir encore protéger l'ouvrier contre des abus devenus impossibles. Il travaillera donc au gré de son désir.

M. J. est-il bien certain qu'une pareille liberté ne fera pas réapparaître les trop longues journées de notre système industriel? N'a-t-il pas oublié non plus l'importance de la journée de travail égale pour tous, au point de vue de l'établissement d'une bonne monnaie collectiviste?

Dans

LEON WALRAS. Théorie de la propriété, (juin 1896, p. 668 à 682). la grande église socialiste, les chapelles se multiplient rapidement. Celle de M. Walras est d'un style quelque peu austère; et le « synthétisme » ne paraît pas à la veille de passionner les réunions publiques.

C'est, nous dit M. Walras, quelque chose d'intermédiaire entre le marxisme et le régime que nous subissons. La nature est à tous; l'intelligence et la volonté sont à chacun. Il faut en conséquence que la terre appartienne à l'État; mais que tout ce qui est profit du travail reste anx individus.

Dès lors, de tous les biens, la terre seule devra être socialisée

les fermages que paieront ses locataires,

ront objets de propriété privée,

et avec elle mais toutes autres richesses reste

Telle est, esquissée, d'une façon singulièrement sommaire ; et par là, forcément imparfaite, une thèse très curieuse; mais dont le développement tout entier se doit chercher dans le grand et récent ouvrage de M. W.

Le Devenir Social (Mensuel. Paris, Giard et Brière, édit., 18 fr. par an). BERNARD LAZARE. Histoire des doctrines révolutionnaires (janvier 1896, p. 1 à 15). C'est encore une leçon d'ouverture au Collège libre des sciences sociales, qu'il nous faut signaler tout d'abord, en commençant l'analyse des articles parus dans le Devenir Social au cours de l'année 1896.

M. B. L. s'est proposé de nous donner l'histoire des doctrines révolutionnaires ; et tout d'abord, il distingue, pour y arriver, les rêves utopiques des revendications pratiques. Ce qui caractérise les uns, c'est le dédain de toutes les contingences sociales; ce qui marque les autres, c'est, tout au contraire, leur intime liaison avec les faits.

De nos jours, l'utopisme paraît reculer devant les revendications pratiques chaque jour plus près du triomphe.

Aussi M. B. L. se propose-t-il seulement d'étudier les idées contemporaines ; et pour établir le lien, qui est entre elles et le milieu dans lequel elles se sont développées, il commence par nous parler de l'action des classes populaires dans la révolution de 1789.

Pour lui, cette révolution n'a été qu'un triomphe de vanité du tiers état, qui déjà privilégié et tout puissant en fait, à la fin de l'ancien régime, a voulu faire reconnaître, en droit, son immense influence.

Mais dès les premières heures, la puissance de la bourgeoisie se serait manifestée contre les classes ouvrières ; et M. B. L. en voit surtout la preuve dans la loi du 14 juin 1791, qui interdisait les coalitions ouvrières.

Aussi, la prétendue rénovation de 1789 est-elle venue aggraver encore, pour le prolétariat, un sort, qui avait déjà été misérable pendant tout le cours du xvi siècle, et c'est cette situation qui a permis le recrutement d'un parti révolutionnaire ouvrier dont M. B. se proposait d'étudier, dans son cours, l'action sociale. GABRIEL DEVILLE. I. Socialisme contemporain (février 1896, p. 97 à 109). Le prétexte de l'article de M. D. est dans le livre de M. Villey sur le socialisme contemporain, ouvrage récemment couronné par l'Institut. C'est avec une violence toute parlementaire que M. D. traite un auteur, auquel il faut bien reconnaître le crime de n'être pas collectiviste.

Cependant, il y a pour M. D. de plus grands coupables encore ; et ceux-là sont particulièrement indignes de toute pitié, qui, d'ailleurs socialistes, ont voulu cependant rabaisser la doctrine de Marx, et insinué qu'elle fait surtout appel aux instincts matériels des hommes. Benoît Malon s'est égaré dans les rangs de ces irrespectueux; et M. D. met quelque cruauté à rappeler combien il était loin de la taille d'un véritable chef d'école.

G. SOREL, II. La science dans l'éducation (1896, p. 110 à 141 ; - p. 208 à à 239: p. 339 à 365; - p. 424 à 461). · L'éducation classique, nous dit M. S. a vécu; et elle fait place, chaque jour davantage, à l'éducation moderne ; ou, en d'autres termes, à l'éducation scientifique. Mais ce n'est pas là encore le dernier terme de l'évolution. En somme, ce que nous appelons l'éducation scientifique, n'est qu'une étude de formules. Elle ne donne pour la vie aucun élément de force; et est bonne tout au plus à préparer quelques mandarinats bourgeois.

L'avenir fera justice de ces vanités ; et remplacera nos méthodes actuelles par l'éducation industrielle. Là, les théories se méleront à la pratique ; et les changements, qui sont sans cesse dans les modes de la production industrielle, défendront les maîtres futurs contre les tentations d'immobilité dans l'esprit.

Ainsi résumée, la thèse de M. S. ne correspond d'ailleurs que de fort loin à son article. C'est qu'il greffe sur son sujet principal, quantités d'aperçus sociolo giques, sans lien bien sérieux avec lui.

Au milieu de ce beau désordre, il y a cependant à relever un passage assez curieux sur l'influence du socialisme et de l'anarchisme au point de vue du développement intellectuel des individus. Qui dit socialisme entend en même temps altruisme organisé ; favorisant les divisions de travail, et avec elles les fécondes spécialisations. Qui dit, au contraire, anarchisme, implique par là l'isolement des intelligences, et partant, la nécessité pour chacune d'une intégrale mentalité. Or, dans nos sociétés complexes on ne peut espérer tout comprendre qu'au prix d'un dilettantisme stérile. La doctrine de l'anarchie, dans laquelle nous voyons volontiers la formule la plus excessive de toutes les protestations populaires, se trouve ainsi liée aux formes d'intelligence les plus luxueuses.

GABRIEL DEVILLE. Historique du 1er Mai (Avril 1896, p. 289 à 309). L'article de M. D. nous montre tout d'abord qu'il ne suffit pas d'être marxiste pour être, en même temps, au-dessus de toute vanité nationale. L'auteur, tient, en effe; beaucoup à établir que les manifestations du 1er mai sont d'origine française. Il est vrai que certaines associations de travail américaines avaient, les premières, célébré à cette date la journée de huit heures. Mais c'étaient là des faits particuliers; et c'est seulement le congrès de Paris de 1886 qui a donné à la fête ses véritables caractères internationaux.

Ces précisions peuvent paraître d'un intérêt secondaire, même pour l'histoire des idées socialistes. Il n'en est pas moins, que dans une livraison voisine, celle de mai 1896, M. Appens, consacre encore, dans le Devenir social, un nombre respectable de pages à l'histoire du fer mai en Angleterre ; et cette insistance est à signaler, comme la preuve de l'importance que les docteurs socialistes, mettent encore à une idée qui ne semble cependant pas être devenue particulièrement populaire.

P. LAVROFF, II. Quelques survivances dans les temps modernes (1896, p. 310 à 338; p. 404 à 424 ; p. 517 à 547 ; p. 632 à 657). Les hommes ont toujours aimé les erreurs simples; et ils n'ont pas changé de goûts, depuis

qu'ils étudient la sociologie.

Nous nous figurons par exemple, volontiers, que les sociètes passent successivement par des types très nets, et se transforment en bloc, de façon à nous aider dans nos instincts de classification. Mais, en réalité, les choses vont autrement : le monde est plein de revenants, et le passé, sous mille formes diverses, vit dans le présent. C'est ce qu'a voulu montrer une fois de plus M. D. en étudiant les phénomènes de survivance dans les sociétés modernes.

Peut-être aurait-il mieux valu, pour l'intérêt scientifique de sa démonstration, un recul de quelques siècles. C'est qu'il ne nous est pas permis de nous tromper sur le sens des évolutions du passé. Sachant, à peu près, où nous sommes, nous en pouvons conclure où allaient nos devanciers. Il n'en est pas de même pour les courants qui nous emportent actuellement. Chacun leur attribue la direction de ses désirs; et M. L. n'y manque pas. Il nous donne pour des certitudes des idées qui lui sont personnelles ; et ne paraît pas, par exemple, douter un instant que nos sociétés marchent à la fois vers le socialisme et vers l'athéisme.

L'auteur est ainsi conduit à considérer comme des épaves du passé des faits sociaux, où d'autres peuvent voir des germes de l'avenir; et l'idée de « survivance» tend par là à descendre des régions scientifiques, pour prendre un regrettable aspect d'injure politique.

Cette critique laisse cependant à la thèse de M. L. un intérêt, ou plutôt des in

REVUE DU DROIT PUBLIC.

T. VIII

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térêts considérables, car l'auteur touche en passant, et dans un ordre d'ailleurs un peu sybillin, à toutes nos grandes préoccupations contemporaines. Il est mal heureusement impossible dans un compte-rendu, forcément très rapide, de le suivre partout où sa fantaisie voudrait nous entraîner.

M. KOVALEWSKY, Coup d'œil sur l'évolution du régime économique ; et sa division en périodes (1896, p. 482 à 499). L'évolution que nous retrace M. K. a été bien souvent signalée. C'est celle, qui résulte, en somme, des augmentations de la division du travail social ; et qui, pour accroître les échanges, élargit, sans cesse, le cercle économique.

Ce qu'il y a de plus spécial dans l'œuvre de M. K. c'est l'importance qu'il attache à l'augmentation de la population, comme facteur de cette évolution.

Mais, préoccupé de classer minutieusement les différentes phases du mouvement, il néglige de pousser à ses extrêmes conséquences une thèse, qu'il pourrait être intéressant de dresser en face de toutes les dérivées conscientes ou inconscientes de la doctrine de Malthus.

FRÉDÉRIC ENGELS, La force et l'économie dans le développement so cial (1896, p. 548 à 560). Une des parties les plus curieuses de l'œuvre d'Engels tient en une série d'articles publiés, à partir de 1877, dans le « Vorwärtz », et destinés à refuter les théories socialistes de Dühring,dissidentes du marxisme. Ces articles ont été réunis en un livre intitulé : « Hernn Eugen Duhrings Umwüsgung der Wissenschaft », qui est souvent cité, comme la production la plus considérable du socialisme allemand, après le Capital de Karl Marx.

Or, dans les notes posthumes d'Engels, M. Bernotein a trouvé la préparation d'une nouvelle publication, sous forme de brochure, d'un des chapitres de ce livre, celui sur la théorie de la Force, augmenté de quelques considérations empruntées à l'histoire de l'Allemagne contemporaine; et ce sont ces notes, que nous allons, grâce à M. B., trouver dans le Devenir social.

Tout d'abord, Engels s'attaque vivement à Dühring, parce qu'il a soutenu que le fait principal, en sociologie, est toujours un fait politique, et que les phénomènes économiques ne sont que secondaires.

Pour Engels, c'est l'économie, qui conduit le monde. C'est même elle qui est créatrice de la force politique; et cette idée déjà frappante par elle-même, est défendue par l'auteur, avec une rare originalité.

C'est ainsi, par exemple, que l'histoire de la bourgeoisie française lui paraît venir tout particulièrement à l'appui de sa thèse. On croit, volontiers, que le tiers a du son triomphe à la révolution. Bien au contraire, nous dit M. E., la bourgeoisie détenait déjà la véritable puissance, au cours du xvin siècle, par le fait de toute une évolution économique, qui est un phénomène capital. Quant aux convulsions politiques de la révolution, elles n'auraient été qu'une résultante d'importance accessoire.

C'est ainsi encore, nous dira M. E., qu'on croit volontiers que la force militaire crée l'État économique, en ce sens, que les puissants réduisent les faibles, à être pour eux des instruments de production de la richesse. N'est-ce pas l'histoire du monde, depuis le premier esclave jusqu'au traité de Francfort ?

D'après M. E., il n'y aurait pourtant là que pure illusion. C'est, nous dit-il, tout au contraire, l'état économique qui fait la force militaire. Prenons, par exemple, une grande puissance moderne: à la base de ses moyens militaires nous trouvons un facteur d'ordre tout économique la population. D'ailleurs, avec les perfectionnements constants de l'armement, la part de capital, toujours considérable dans la production de la force, ne devient-elle pas de plus en plus grande¿ SOUCHON.

Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Lyon.

VARIÉTÉS

Les accidents du Travail au Congrès de Bruxelles

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SOMMAIRE: 1. Le Congrès de Bruxelles et les Congrès précédents. Programme restreint et non épuisé. 2. L'assurance obligatoire. Les individualistes purs. Les assurances sociales allemandes, leurs défenseurs et leurs adversaires. L'accroissement en Allemagne du nombre des accidents. Obligation et libre choix de l'assureur. La liberté et les peuples libres. 3. Couverture de la faute lourde. Serait-elle une prime à l'insouciance? Les trois sauctions de la faute lourde. La faute lourde, les exigences de l'assurance et la notion du Risque Professionnel. Multiplication des procès; l'absence de définition et les tribunaux professionnels. Les nécessités de la vie industrielle. Les petits patrons Capitalisation et répartition. Mathématiciens et industriels. Immobilisation de capitaux. L'avenir de l'industrie et les générations futures.

-

4.

1. La session du Congrés International des Accidents et Assurances Sociales qui s'est tenue à Bruxelles du 26 au 31 juillet 1897 présente, par rapport aux précédentes, deux caractères qu'il convient d'abord de constater.

Elle n'a marqué aucun progrès dans les idées et le champ des discussions a perdu une partie de l'ampleur qu'il avait en 1894 à Milan, et à Berne trois ans plus tôt,

Cette constatation peut soulever des regrets, elle ne doit pourtant pas nous étonner.

C'est un fait démontré par l'expérience que dans les Congrès relatifs aux réformes législatives ou aux questions sociales les premières réunions sont les plus fructueuses, j'oserai même dire, les seules fructueuses. Elles ne réunissent en effet que les esprits avancés, dévoués aux réformes disposés à pousser leurs idées novatrices à leurs dernières conséquences. La hardiesse des solutions proposées émeut bientôt les intérêts privés et fait affluer leurs représentants directs et leurs défenseurs officiels auxquels se joignent les théoriciens attardés, économistes ou juristes, adversaires nés des conceptions nouvelles. L'alliance - formellement conclue ou instinctive I des deux éléments introduit au sein des Congrès la tactique parlementaire. La lassitude arrache aux bonnes volontés des solutions transactionnelles dont on s'empare pour demander de nouvelles concessions et ainsi on obtient, sinon un recul manifeste sur les premiers efforts, tout au moins un piétinement sur place qui rappelle nos assemblées politiques. Les partis opposés ont couché sur leurs positions, telle est la formule employée parfois pour caractériser les résultats négatifs d'une session, et cette formule fait ressortir la tendance si déplorable qu'ont trop de congressistes à transformer en un conflit d'intérêts privés ou de préjugés nationaux les discussions dont le seul but devrait être l'étude scientifique et désintéressée des questions. Voilà les amères réflexions que m'inspirait l'attitude, au Congrès de Bruxelles, de la majorité des membres français, attitude qui constrastait manifestement avec celle des délégués des autres pays. Tandis que, Anglais, Hollandais, Suis ses et Italiens apparaissaient comme s'avançant lentement mais résolument dans la voie précédemment frayée, nos compatriotes semblaient, pour la plupart, n'avoir, depuis les précédentes sessions, rien oublié et rien appris, ils se posaient en

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