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des attributions supérieures, procédant directement de la souveraineté ou en émanant médiatement.

<< Lorsque l'Etat non souverain, dit Jellinek (1), est en même temps un membre nécessaire et participant, d'une manière quelconque, à la souveraineté de l'Etat souverain, alors il prend le nom d'Etat-membre. Lorsque, par contre, l'Etat non souverain n'est que soumis au domaine de la souveraineté de l'Etat souverain sans y prendre part, alors c'est un Etat vassal. »

Nous croyons que l'Etat vassal — et, en général, tout Etat soumis n'est en fait qu'une subdvision territoriale de l'Etat proprement dit La souveraineté doit être considérée comme émanant de l'Etat tout entier. L'Etat vassal contribue à la formation de la souveraineté, comme toute autre subdivision territoriale. Comme les Etats particuliers d'un Etat fédératif, l'Etat vassal a une fonction spéciale. L'Etat vassal n'a pas de force publique proprement dite, car elle se confond avec celle de l'Etat suzerain. Sa volonté générale disparait dans la volonté générale de l'Etat tout entier. Si certaines attributions de l'Etat vassal ne peuvent être modifiées ni par l'Etat vassal seul, sans le concours de l'Etat suzerain, ni par l'Etat suzerain, sans le concours de l'Etat vassal, cela provient du fait que l'ensemble de l'Etat a fixé le mode d'exprimer le contenu de sa souveraineté d'une manière spéciale, en ce qui concerne une subdivision territoriale donnée. Mais l'Etat tout entier, étant souverain, peut changer son mode d'exprimer le contenu de sa souveraineté ou même agir directement, sa volonté générale devant toujours être actuelle. En réalité, un Etat ne prend le qualificatif d'Etat suzerain que lorsqu'on l'envisage comme opprimant une partie de son territoire, qui prend à son tour le nom d'Etat vassal. L'Etat suzerain n'est pas un Etat à lui seul, à l'exclusion de l'Etat vassal. S'il était Etat à lui seul, certaines de ses attributions, celles qui sont appliquées à l'égard de l'Etat vassal, devraient être considérées comme inexistantes, contrairement à la réalité.

§ XII. Résumé

Etant arrivé au bout de notre tâche, nous devons constater

(1) Jellinek, Gesetz und Verordnung, loc. cit., p. 204-205.

que nous avons cherché à établir la notion de la souveraineté, en nous inspirant des faits et en nous conformant à la pure logique. Nous n'avons cependant pas négligé de dire à l'occasion comment la souveraineté doit se comporter dans son action. Nous avons vu que le sens littéral du mot souveraineté concorde avec son sens juridique. Nous avons envisagé la souveraineté au point de vue subjectif et objectif. Après avoir étudié son essence et ses propriétés, nous avons examiné le moyen primordial de sa manifestation. Nous avons scruté les allures de la souveraineté dans les divers régimes gouvernementaux et dans les différentes formes d'Etat. Partout, nous avons retrouvé la nature et le contenu de la souveraineté essentiellement invariables. Nous avons tenu à discuter un à un les arguments de ceux qui ne pensent pas comme nous. Nous sommes arrivé ainsi à nous convaincre que la souveraineté est bien une qualité d'une force, résultant de la coopération de la force publique et de la volonté générale d'un Etat donné. Nous avons démontré que cette qualité s'identifie avec la force à laquelle elle appartient. Enfin, nous avons conclu que cette puissance la souveraineté trouve sa consistance et se résume en la détermination des attributions de l'Etat, et en leur réalisation d'une façon absolue et humainement irrésistible La conception de la souveraineté nous paraît être ainsi formulée d'une manière précise et exacte.

X. S. COMBOTHECRA (1)

Privat-docent à l'Université de Genève.

(1) Voir la notice bibliographique dans le no de mars-avril 1896, p. 288,

LE CONFLIT HAWAIEN-JAPONAIS

SOMMAIRE.

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- Différend entre le Japon et Hawaï. — Sa solution probable par la voie de l'arbitrage. Modération du gouvernement japonais. I. Faible densité de la population hawaïenne. - Nombre toujours croissant des immigrants étran gers. Inquiétude des Américains à ce sujet. - Politique américaine annexionniste. Ostracisme des immigrants japonais. — Questions insidieuses qui leur sont posées. Arguties juridiques du gouvernement hawaïen. Les Japonais ne peuvent communiquer avec leur consul. - II. Protestation du gouvernement japonais. Examen des théories émises par le gouvernement hawaïen et leur réfutation. Le gouvernement hawaïen a violé les règles du droit des gens et les traités internationaux. On se décide à remettre la solution du différend à un arbitre.

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On sait qu'il existe en ce moment, entre le Japon et la République d'Hawaï, un différend d'une gravité toute particulière, dont la presse française a entretenu le public d'une manière générale, surtout au point de vue politique, mais qui mérite aussi d'être étudié plus en détail et spécialement au point de vue juridique. Ce conflit, en effet, est d'autant plus intéressant aux yeux de l'internationaliste, qu'après avoir soulevé les difficultés les plus dangereuses, il semble devoir se terminer maintenant, presque à coup sûr, par la voie juridique de l'arbitrage. Sans doute, le recours au jugement d'un tiers impartial n'est pas chose nouvelle dans la politique de notre siècle, et il suffit d'avoir lu les ouvrages de MM. Michel Revon, Rouad de Card, Mérignac, sur l'Arbitrage international pour se rendre compte des rapides progrès qu'a faits cette idée auprès de tous les esprits élevés, tant diplomates que philanthropes, en même temps que dans la pratique des États. Nous n'insisterons donc pas sur ce point. Mais peut-être convient-il de faire remarquer que le Japon, en se prononçant pour l'idée de l'arbitrage au moment où le Sénat américain venait de refuser de conclure le traité d'arbitrage permanent que lui proposait l'Angleterre, a donné par là une nouvelle preuve de cet esprit de progrès qu'il invoque comme son principal titre à entrer dans le concert des Puissances. Cette décision du gouvernement japonais sem

blera d'autant plus méritoire, lorsqu'on réfléchira que son adversaire, dépourvu de toute force militaire, pouvait être aisément réduit à merci, et que le sentiment national japonais ne semblait guère incliné à admettre un débat juridique, sur le pied d'égalité, avec une petite République qui avait ouvertement violé le droit des gens et les traités conclus.

I

Pour se rendre compte de la difficulté juridique, il faut d'abord connaître les faits essentiels qui l'ont motivée et qui tiennent eux-mêmes à la nature toute spéciale de la population d'Hawaï.

Cette population ne dépasse pas, à l'heure actuelle, cent dix mille âmes et elle se compose des éléments les plus disparates. que l'on puisse imaginer. Au point de vue du nombre, les anciens indigènes viennent au premier rang. On en trouve encore une trentaine de mille, restes mourants d'un peuple qui comptait autrefois plus de cent mille individus, mais dont le contact avec les Européens a détruit la vitalité; à côté de ces indigènes, vingt mille métis, vingt-quatre mille Japonais, seize mille Chinois, dix mille Portugais, quatre mille Américains, trois mille Anglais et enfin trois mille Allemands, Français, Norwégiens, etc. La principale source de richesse de l'île étant la culture de la canne à sucre, l'affaiblissement numérique de l'élément indigène a nécessité, depuis quelques années, l'introduction de la main-d'œuvre étrangère; de là le nombre considérable des Portugais, des Chinois et surtout des Japonais dans le pays. Mais les Portugais, sous le chaud climat d'Hawaï, qu'ils supportent mal, sont de médiocres travailleurs de la terre ; les Chinois ayant la mauvaise réputation d'avoir apporté avec eux deux maladies contagieuses, la lèpre et le béribéri, les planteurs ne les emploient qu'avec répugnance. Il ne reste donc que les Japonais pour fournir le plus gros contingent des travailleurs agricoles. Eux aussi ont quelque peine, au début de leur contrat, à fournir, sous le soleil hawaïen, un labeur continu de dix heures par jour, sans autre repos que les moments des repas : « pas même le temps de fumer une cigarette », disait un Japonais. Néanmoins, ils sont fort estimés des planteurs, et c'est le gouvernement même de la République d'Hawaï qui, en 1871, pro

posa et fit accepter au cabinet de Tôkiô un traité d'amitié et de commerce dont l'effet principal était de donner aux nationaux de chacun des deux pays contractants le droit de s'établir sur le territoire de l'autre. Par un second traité, signé en 1886 et expiré en 1894, le gouvernement hawaïen favorisa de tout son pouvoir l'immigration japonaise et, entre ces deux dates, n'introduisit pas moins de vingt-six convois de Japonais. En 1894 il changea de système et le contrat des derniers travailleurs qu'il engagea sous le régime du traité de 1886 s'est terminé au mois de juin de cette année (1897). Mais les colons et les planteurs, qui continuaient d'avoir besoin d'ouvriers agricoles, suppléèrent par leur initiative privée à l'intervention gouvernementale qui faisait défaut, et le nombre des Japonais à Hawaï est arrivé ainsi à former, comme on l'a vu plus haut, près du quart de la population totale de l'île.

Cet accroissement de l'élément japonais provoqua chez les travailleurs portugais une vive jalousie, et chez les Américains, une certaine inquiétude politique. Ces derniers, bien que ne constituant qu'un groupe de quatre mille individus, femmes et enfants compris, mais soutenus par l'influence des Etats-Unis, s'emparèrent du pouvoir en en chassant par surprise, en 1892-93, la reine légitime Lilinokalani, et cherchèrent dès lors à entraver l'immigration des Japonais et à réduire le nombre de ceux qui se trouvaient déjà dans les îles hawaïennes; ils craignaient que ces Asiatiques ne finissent par acquérir le droit à la représentation, et, grâce à la force du nombre, par les dominer, par faire de la République une sorte de colonie japonaise dont ils réclameraient un jour l'annexion à leur patrie d'origine; quelques Américains crurent même voir dans tous ces cultivateurs des soldats prêts à se lever en masse le jour où le gouvernement mikadonal leur en donnerait l'ordre et leur enverrait, avec quelques navires de guerre pour les appuyer, des armes, des munitions et des chefs. Ces suppositions sont absolument erronées : le Japon n'a jamais eu la moindre intention de s'emparer d'Hawaï et les Japonais venus dans cette île n'ont d'autre désir que de se procurer quelques ressources pour s'en retourner au plus tôt dans leur pays.

Mais si le péril japonais était imaginaire, il en existait un autre très réel, le péril royaliste. En s'emparant du gouverne

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