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vège, la Serbie et la Suisse, n'accordent au fait de la naissance sur le territoire aucun effet sur la détermination de la nationalité.

Comme c'était à prévoir, chacun des principes opposés a trouvé des défenseurs au sein de l'Institut de droit international et la lutte entre les deux tendances contraires a contribué dans une large mesure à donner de l'ampleur et de l'intérêt aux délibérations sur la nationalité.

Les deux rapporteurs de la Commission chargée d'élaborer un projet de règlement sur les conflits de lois en matière de nationalité, MM. les professeurs Weiss, de Paris, et Catellani, de Padoue, étaient l'un et l'autre partisans du système du jus sanguinis pur et simple.

Mais l'Institut ayant posé en principe à Cambridge que «< la nationalité d'origine ne doit pas se transmettre à l'infini, de génération en génération, nées à l'étranger », les rapporteurs, s'inspirant de la décision prise, crurent devoir modifier leurs propositions primitives dans le sens de la loi française de 1889 et formulèrent en conséquence l'article 3 de leur projet

en ces termes :

« L'enfant né sur le territoire d'un État d'un père étranger, qui lui-même y est né, est de plein droit et sans option possible, revêtu de la nationalité de cet État ».

Le système de la loi française de 1889 a trouvé des adversaires même parmi les juristes de ce pays.

M. Rouard de Card, professeur à Toulouse, a éloquemment soutenu le système du jus sanguinis, de la nationalité familiale, le seul conforme d'après lui, aux principes philosophiques du droit naturel. En effet, dit-il, la nation n'est pas une simple association d'individus ; il y a entre ses membres une certaine communauté de goûts et de sentiments qui se transmettent par le sang.

M. Storck, professeur à Greifswald, s'est déclaré partisan convaincu du principe du jus sanguinis, ajoutant que s'il n'en restait qu'un seul il serait celui-là. D'après lui, la question si importante de la détermination de la nationalité ne saurait dépendre de la circonstance fortuite de la naissance sur tel ou tel territoire donné.

Dans le camp adverse, MM. les professeurs de Bustamante,

de la Havane, et Gabba, de Pise, se sont prononcés en faveur du jus soli. Ils se sont attachés à faire ressortir l'influence considérable et rapide que le sol, le climat et l'entourage exercent sur l'immigrant et sur ses descendants et ont cherché à démontrer par des arguments tirés de leur expérience personnelle la rapide assimilation des étrangers établis en Amérique et en Italie. «Bien souvent, a dit M. de Bustamante, les familles à l'étranger, après une ou deux générations ne se souviennent de leur pays d'origine que pour formuler des réclamations par l'entremise de leur consulat ».

A la théorie de l'influence du milieu, M. de Seigneux, président de la Cour de cassation à Genève et lord Reay ont opposé la persistance des caractères de la race et de l'attachement à la patrie d'origine chez certains peuples: les Anglais, les Suisses, etc.

M. Kebedgy, professeur à Berne, a revendiqué les droits imprescriptibles de la liberté humaine et réclamé pour tout individu, le droit de choisir la nationalité qui convient le mieux à ses affections et à ses intérêts. « Lorsque le pays de la naissance est profondément dissemblable de mœurs et d'institutions avec le pays d'origine de la famille, c'est, dit-il, une tyrannie intolérable que d'imposer irrévocablement à l'homme une nationalité dont il ne voudrait pas. » M. Kebedgy a réclamé, en conséquence, que l'application du jus soli reste grevée à perpétuité de la condition résolutoire d'option pour le pays d'origine.

A cette thèse individualiste, M. A. Rolin a opposé les nécessités de l'ordre public; aux convenances de l'individu, l'intérêt de l'Etat le droit d'option à l'infini créerait des heimatlos; les États ont le droit et le devoir d'éviter l'envahissement des sans-patrie qui sont un fléau. «A Roubaix, sur 124.000 habitants, on compte environ 35 à 40.000 belges; est-il admissible qu'on leur accorde à eux et à leurs descendants ad infinitum le droit de rester étrangers? »

Au surplus, personne n'a réclamé l'application absolue et exclusive de l'un ou de l'autre des deux principes du jus sanguinis et du jus soli, chacun a reconnu la nécessité de concilier les divers intérêts en présence. Il a été généralement admis aussi que le principe du jus sanguinis devait être pris pour

base du système international. Par contre, la plus grande diversité de vues s'est manifestée lorsqu'il s'est agi de déterminer la part à faire au principe du jus soli.

M. Stoerk proposait d'accorder seulement des facilités en vue d'obtenir le droit de cité du pays de la naissance.

M. Westlake était d'avis de différer d'une génération l'application du jus soli et de dire : « L'enfant né sur le territoire d'un État d'un père et d'un grand-père étrangers qui euxmêmes y sont nés est de plein droit et sans option possible revêtu de la nationalité de cet État >>

M. Harburger estimait qu'il fallait faire entrer en ligne de compte le domicile des parents et n'appliquer le jus soli que si, dans l'intervalle des deux naissances, la famille a eu son principal établissement dans le pays.

M. Desjardins proposait de réserver en tout cas la faculté d'option.

Finalement l'Institut a adopté par 18 voix contre 6 et 5 abstentions le texte suivant proposé par M. Desjardins, d'accord avec M. Harburger et les rapporteurs :

Art. 3. L'enfant né sur le territoire d'un État, d'un père étranger qui lui-même y est né, est revêtu de la nationalité de cet État, pourvu que, dans l'intervalle des deux naissances, la famille à laquelle il appartient y ait eu son principal établissement, et à moins que, dans l'année de sa majorité, telle qu'elle est fixée par la loi nationale de son père et par la loi du territoire où il est né, il n'ait opté pour la nationalité de son père.

Pour les cas de naissances illégitimes, non suivies de reconnaissance de la part des pères respectifs, la règle précédente s'applique également par analogie.

Elle ne s'applique pas aux enfants d'agents diplomatiques ou de consuls envoyés, régulièrement accrédités dans le pays où ils sont nés; ces enfants sont réputés nés dans la patrie de leur père.

L'Institut n'est pas entré en matière sur un contre-projet présenté par M. E. Roguin, professeur à l'Université de Lausanne, et conçu en ces termes :

« L'enfant légitime suit la nationalité dont son père était revêtu au jour de la naissance.

<< Toutefois, la loi du pays de la naissance peut attribuer à celle-ci l'effet de permettre à l'enfant devenu majeur ou à son père ou tuteur en son nom, d'opter pour la nationalité de cet État.

«Si le père déjà est né dans le pays, la loi de celui-ci peut attribuer à l'enfant cette même nationalité, mais seulement sous

la réserve d'une option contraire faite soit pendant la minorité, soit depuis la majorité de l'intéressé.

«Si le grand-père déjà est né dans le pays, la loi de celui-ci peut attribuer à l'enfant cette même nationalité, sans aucune réserve d'option.

« Le fait que la mère ou la grand'mère de l'enfant sont nées dans le pays ne peut servir en aucune façon à modifier la nationalité de l'enfant ou petit-enfant.

«La circonstance de résidence ou de domicile de l'intéressé ou de sa famille ne peut exercer aucune influence sur sa nationalité d'origine.

« Dans les limites ci-dessus, l'effet de la naissance en faveur de l'indigénat de l'État où elle a lieu pourra être consacré sans aucune considération de la loi de l'État auquel appartient ou appartenait l'enfant.

« Cet État devra, dans les mêmes limites, reconnaître la dénationalisation opérée en vertu de la législation du pays de la

naissance ».

Ce système, un peu compliqué et artificiel à première vue, offre l'avantage de tenir compte dans une mesure légitime de tous les éléments de la question et de tous les facteurs de la nationalité : la race, le milieu, les convenances de l'individu, l'unité de la famille et l'intérêt de l'État. Un autre avantage est son extrême souplesse et la faculté de s'adapter aux circonstances particulières.

M. Roguin prend pour base le jus sanguinis. A défaut d'autres circonstances prédominantes, il est naturel que la nationalité de l'individu soit celle de ses parents. qu'elle se transmette de père en fils avec les autres éléments de l'état, nom, religion, domicile, bourgeoisie, langue. Il est dans l'intérêt de l'État, de la famille et de l'individu que l'enfant ait la nationalité de ses parents. Il est bon de fortifier le lien familial en développant la communauté d'intérêts et de sentiments qui unit ses membres; il est naturel que l'enfant s'attache à la patrie de ses parents et que le père qui est l'éducateur naturel de ses fils, leur inculque ses sentiments patriotiques.

Tant que la famille continue à résider dans son pays d'origine, ce qui est la règle, les effets du jus sanguinis sont les mêmes que ceux du jus loci.

Si la famille émigre, des facteurs nouveaux interviennent dont il est impossible de ne pas tenir compte dans la détermination de la nationalité primaire.

Le premier de ces facteurs est l'influence du milieu

Consciemment ou inconsciemment, le milieu ambiant, le sol, le climat, l'entourage exercent une influence énorme sur la constitution physique et les dispositions morales des individus et des familles. Cette influence, plus ou moins forte suivant les races, les pays, les dispositions individuelles, nul ne saurait s'y soustraire; elle s'accentue insensiblement avec le temps et les générations. Simultanément, l'influence de la race, facteur déterminant de l'application du jus sanguinis va s'affaiblissant. Certaines circonstances accélèrent l'évolution union de l'immigrant avec une indigène, éducation des enfants dans les écoles publiques, etc. Au bout d'un nombre indéterminé de générations, arrive insensiblement le moment où la famille d'immigrants est plus attachée au pays de son établissement qu'à son ancienne patrie et à partir duquel, par conséquent, l'application du jus sanguinis repose sur une pure fiction (1).

Aux considérations tirées des avantages de l'unité de nationalité dans la famille, il est juste d'opposer les exigences de l'intérêt du pays. Un État ne peut peut tolérer le développement sur son territoire d'une classe de population, toujours plus nombreuse et restant attachée indéfiniment à son pays d'origine. Il y a là un danger public. On objectera peut-être que l'État peut expulser les étrangers, mais l'expulsion de parents établis dans le pays est une mesure plus rigoureuse que n'est la naturalisation d'office des enfants (2). On objectera encore que rien ne sert de naturaliser de force des étrangers si, de cœur, ils restent attachés à leur pays d'origine. Mais, l'accomplissement des devoirs civiques exercera nécessairement son influence sur les dispositions des générations nouvelles et le jeune homme qui aura fait son service militaire au pays de

(1) L'influence du milieu sur les sentiments patriotiques est affirmée par la poésie, expression des idées populaires : la Patrie, dans les chants nationaux, est aussi souvent le pays « où j'ai vu le jour », que « le pays de mes aïeux ».

(2 Elle serait d'ailleurs contraire au droit naturel (Règles proposées par l'Institut de droit international, art. 40) et à la législation positive de quelques Etats (Belgique, Pays-Bas, Danemark).

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