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précisément sur l'appui de ceux dont il voulait fuir la tutelle. N'ayant visé qu'à combattre ceux qui avaient composé la majorité sous le ministère Crispi, le cabinet actuel dut protéger une quantité d'inconnus, de personnes sans caractère, qui se présentaient comme ses amis et les préférer à d'autres hommes de grande valeur qui faisaient honneur au Parlement italien. C'est ainsi qu'ont été laissés hors de la Chambre des gens éminents comme l'amiral Morin (un de nos meilleurs hommes de mer), le Prof. Rava, orateur et savant des plus rares, l'avocat Fortis, peut être le premier orateur parlementaire de notre Chambre et une foule d'autres hommes remarquables, furieusement combattus uniquement parce qu'ils avaient soutenu le ministère Crispi. Qui voudrait chercher la raison pour laquelle tant de républicains, tant de radicaux et de députés de gauche ont été élus la trouverait dans le dégoût et dans l'apathie des électeurs royalistes, qui ne voulaient pas élire les candidats ministériels qu'ils n'estimaient pas, ne pouvaient voter pour leurs adversaires qu'on représentait comme seuls responsables des désastres d'Afrique, et par suite concentraient leurs suffrages sur des hommes qui n'avaient aucune affinité réelle ni avec le ministère actuel ni avec l'ancien. Les effets des élections se firent immédiatement sentir. Le ministre Rudini n'a pas encore osé faire appel à sa majorité, de peur de voir accourir ou trop ou trop peu de députés; pour comble de disgrâce il a dù accepter comme président de la Chambre M. Zanardelli, ce qui signifie qu'il est réellement entre les mains de la gauche qui l'appuiera tant qu'elle ne croira pas le moment venu de l'abattre pour s'emparer elle-même du pouvoir.

Le discours par lequel le roi inaugura la session de la nouvelle Chambre parut à tous décoloré, nuageux et par dessus tout mal écrit. On en applau · dit les passages relatifs à l'armée, au mariage du prince de Naples, et ceux dans lesquels le roi déclarait son amour pour le peuple et son dévouement au pays. En somme on applaudit tout ce qui se rapportait soit directement soit indirectement à la dynastie, à la personne du roi, à l'institution monarchique et rien de ce qui avait trait à l'exposition du programme du gouvernement. On vit en résumé que, bien que composée en majeure partie d'hommes de gauche, la Chambre était profondément monarchique et qu'en ce qui concernait le programme gouvernemental elle réservait son jugement. Le ministère jusqu'à présent s'est maintenu grâce à un habile système d'équilibre, s'appuyant aujourd'hui sur la droite et demain sur la gauche, tantôt se montrant libéral et tantôt conservateur et cherchant à contenter un peu tout le monde.Dans la discussion relative à la politique extérieure ce fut M. Visconti Venosta qui remporta un triomphe et non pas le Cabinet dont cet excellent diplomate fait partie. La politique italienne dans la question gréco-turque fut habilement défendue par lui, et bien que ni à la Chambre ni au Sénat (dans la haute Assemblée notre grand poète Josué Carducci prononça un discours de philhellène) il ne manquât d'éloquentes harangues en faveur des Grecs, on finit par s'en remettre à la sagesse du ministre des affaires étrangères. Dans la discussion générale qui eut lieu à la Chambre à propos de la loi sur l'organisation militaire proposée par le général Pelloux, ministre de la guerre, le cabinet eut la majorité parce que la Chambre italienne ne repousse jamais les charges financières nécessaires pour augmenter la

force de l'armée, mais beaucoup d'orateurs, même ministériels, relevèrent la contradiction dans laquelle tombait le président du Conseil qui, en 1892, quitta le pouvoir parce qu'il considérait comme indispensable de réaliser de fortes économies dans le budget de la guerre et il y a quelques mois à peine adhérait au projet du général Ricotti favorable précisément à ces économies qui comportaient la suppression de trois corps d'armée, tandis qu'au. jourd'hui il proposait d'augmenter les dépenses militaires. Cet argument fut précisément opposé à M. Luzzatti, ministre du Trésor, qui se défendit avec esprit mais sans convaincre ni amis ni adversaires. Le projet militaire sera probablement approuvé même sans discussion des articles, mais il y aura peut-être moyen de faire de nouvelles critiques au Président du Conseil et au ministre du Trésor en évoquant d'anciens souvenirs. Hier a été close à la Chambre la discussion relative à l'Afrique. Dans le traité de paix avec l'Abyssinie il était écrit que la délimitation des frontières serait faite après la libération de tous les prisonniers. Aujourd'hui ce moment est venu et le major Nerazzini s'est transporté au Choa précisément pour trancher cette dernière question. Néanmoins le Ministère n'a pas voulu attendre le résultat de ces négociations. Il a annoncé à la Chambre son intention de limiter l'occupation militaire à la côte et à Massaouah et de confier le reste du territoire aux chefs indigènes sous la protection de l'Italie, dans le but de réduire au minimum les dépenses occasionnéés par le maintien de la colonie, en laissant même entrevoir que dans l'avenir on pouvait penser à l'abandonner complètement. Sur cette déclaration il a demandé à la Chambre de se prononcer. La discussion a été longue et agitée. Les ministres ont pris plusieurs fois la parole soutenant, sans le prouver, que la conservation de la colonie dans son état actuel coùtait trop cher et que l'Italie ne pourrait supporter une telle charge; les radicaux, les socialistes auxquels s'étaient unis (étrange union) quelques membres de l'extrême droite ont réclamé l'abandon immédiat et complet de la colonie et même de Massaouah; M. Sonnino et d'autres membres de l'opposition ont déclaré que les propositions du gouvernement rabaissaient la dignité de la Monarchie, de l'armée et de l'Italie à l'intérieur comme àl'extérieur; MM. Martini, Guisso, San Guiliano, députés ministériels, marquants, ont insisté pourque toute décision fùt suspendue tant que les frontières avec l'Abyssinie n'auraient pas été délimitées; enfin le ministère a déclaré qu'il ne soulevait pas, au sujet de sa proposition, la question de confiance mais qu'il repoussait aussi bien l'idée d'abandonner totalement la colonie que l'idée de la maintenir dans l'état actuel. Aussi, après une discussion confuse, y a-t-il cu un vote plus confus encore. La Chambre en effet a repoussé d'abord un ordre du jour présenté par M. Imbriani et d'autres radicaux favorables à l'abandon immédiat, puis elle en a repoussé un autre présenté par M. Martini, auquel s'était rallié M. Sonnino, de suspendre toute délibération et en a enfin approuvé un troisième accepté par le gouvernement qui n'implique ni l'abandon ni le maintien de la colonie. Dans ces trois scrutins successifs les ministériels et leurs adversaires se sont mêlés les uns aux autres. La question africaine reste ouverte et indécise comme devant. Le ministère a vaincu, mais

il reste ébranlé dans son ensemble parce que la majorité non seulement s'est divisée mais est toute entière mécontente.

L'attentat commis contre le roi, qui a dù son salut uniquement à son courage et à son sang-froid, a été l'occasion d'une splendide manifestation monarchique dans toute l'Italie, mais a aussi démontré que le service de la sûreté publique ne fonctionne pas bien et demande de grandes et urgentes réformes que le ministère a promises. Un autre fait, survenu depuis, a prouvé que la sûreté publique ne comprend pas seulement beaucoup d'incapables mais qu'on y rencontre aussi des scélérats. Un anarchiste, un certain Frezzi, arrêté par mesure de précaution a été trouvé mort dans sa cellule. Au commencement, sur les indications de la préture, le gouvernement a voulu faire croire qu'il s'agissait d'un suicide, mais après il a dù convenir que Frezzi avait été tué, et, comme il était en prison, il ne pouvait avoir été frappé que par les gardiens ou par des agents de la sûreté. Une expertise médicale a établi la réalité de l'homicide qui semble avoir été commis par des agents de la sûreté parce qu'on prétend que cette prison n'étant qu'un lieu de dépôt, n'avait pas de gardien appartenant à l'administration pénitentiaire. Le ministre de l'Intérieur et le ministre de Gràce et de Justice sont compromis dans cette vilaine affaire parce que n'ayant pas cru aux premières déclarations qui se rapportaient à un homicide, ils ont cherché à accréditer l'opinion qu'il s'agissait d'un suicide. Personne assurément ne doute de leur bonne foi, mais inversement on se défie de leur énergie et de leur capacité, et leur situation dans la Chambre s'en trouve encore plus ébranlée. En résumant tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, il me semble que la situation parlementaire est celle-ci. Le ministère ne trouve beaucoup de sympathies ni dans la Chambre ni dans le pays. Il n'a pas une majorité à lui et doit s'appuyer tantôt sur l'un tantôt sur l'autre des divers groupes allant de l'extrême droite à l'extrême gauche. Il serait déjà tombé si beaucoup de députés ne s'étaient pas abstenus de voter contre lui par égard pour Visconti-Venosta ; mais il tombera certainement quand le groupe le plus fort (le groupe Zanardelli) réussira à combiner une alliance avec le groupe du centre à la tête duquel se trouve M. Sonnino et auquel se rallierait aussi une bonne partie de la droite. A cette alliance on travaille activement aujourd'hui et un signe que sa conclusion n'est pas impossible c'est qu'au moment de la discussion sur l'Afrique, M. Martini, Zanardelliste, a voté avec Sonnino contre le Ministère. Si l'alliance se concluait, le nouveau cabinet pourrait compter sur une majorité recrutée sur quelques bancs de la droite, tous les bancs du centre et sur quelques bancs de la gauche. Resteraient en dehors les radicaux qui marchent derrière M. Cavallotti, le groupe Giolitti et cette partie de la droite qui se serrerait autour de M. di Rudini.

Mais si cette alliance ne pouvait se faire, le ministère actuel aurait certainement une vie plus longue et durerait probablement jusqu'à ce que les éléments de décomposition qu'il porte en lui-même et que renferme également la Chambre, qui l'a fait à son image et à sa ressemblance, aient fermenté au point de rendre nécessaires des remèdes prompts et énergiques.

II

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Législation sur

Projet sur l'enseignement supérieur. La personnalité morale sera-t-elle accordée aux Universités? Grales et titres universitaires. Taxes scolaires et traite nent des professeurs. Projet sur la protection de la défense nationale en temps de paix. l'espionnage. Loi générale de sûreté publique sur le domicile forcé (domicilio coutto). Décrets royaux que la Cour des Comptes juge illégaux. Leur enregistrement d'office, mais Le procès du général Baratieri et l'immunité parlementaire. Habitude du gouvernement de nommer à des postes administratifs des magistrats de l'ordre judiciaire. Perturbation qui en résulte dans les règles de l'avancement. Plainte contre la manière

sous réserves.

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dont les compagnies de chemin de fer observent leurs conventions avec l'Etat. - Programme de réformes administratives. Election des maires (sindaci) par les conseils municipaux dans toutes les communes. Réglementation de la carrière préfectorale. Projet de loi sur les accidents du travail. Caisses des pensions, caisses d'épargne. Facilites données aux incapables pour déposer à la caisse nationale. - Réglementation financière de la caisse nationale. - Projet sur la protection du travail dans les mines et, carrières. l'admission et l'avancement dans la magistrature. Examens et concours à subir par les aspirants magistrats. Modifications aux grades de la magistrature. Garanties à lui donner.

Projets sur

Passons maintenant en revue les principaux projets de loi, votés, discutés ou présentés dans cette période de vie politique dans les Chambres italiennes.

Le ministre de l'Instruction publique, M. Gianturco, a présenté un projet de loi qui modifie l'organisation de l'Enseignement supérieur. Ce projet accorde la personnalité juridique aux Universités et autres Instituts de l'enseignement supérieur, abrogeant ainsi la disposition qui, en leur enlevant cette personnalité, les empêchait de se rendre créanciers ou d'acquérir à titre gratuit parce que ce qu'ils auraient pu acquérir venait en déduction de la dépense supportée par l'Etat pour leur maintien. Les effets légaux des inscriptions aux cours des professeurs officiels sont les mêmes que ceux des inscriptions aux cours des privats-docents, mais dans cette seconde hypothèse les étudiants doivent payer à ces derniers la rétribution qu'ils fixent et ceux-ci ont en outre le droit de faire leurs cours même en dehors de l'Université. Pour devenir professeur libre (libero docente) il faut faire preuve d'aptitudes scientifiques et didactiques devant une commission de cinq membres, dont trois désignés par toutes les Facultés (comme cela alieu pour les commissions d'examen des concours pour les chaires d'Université) et deux choisis par le ministre parmi les professeurs libres enseignant les matières objet de l'examen ou parmi d'autres personnes d'une compétence reconnue. La liberté d'enseigner (libera docenza) obtenue dans

une

Université est valable pour toutes les autres; celui qui l'a conquise est par cela même éligible dans les concours universitaires et elle constitue un titre de préférence et dans la distribution des charges officielles et à mérite égal même dans les concours officiels.

Les examens doivent porter sur toute l'étendue des matières qui en font l'objet quand même elles n'auraient pas été entièrement vues au cours. Les commissions d'examen seront composées, outre le professeur officiel, du professeur libre qui enseigne la matière objet de l'examen et d'un troisième examinateur, choisi parmi les professeurs honoraires ou parmi d'autres

personnes d'une notoriété ou d'une compétence reconnues. Les commissions pour les examens de doctorat (laurea) seront composées du Doyen (Preside) de la Faculté, président, et de 8 membres, dont quatre choisis parmi les professeurs officiels, deux parmi les privats-docents enseignant dans cette Faculté et deux personnes étrangères compétentes. Des règlements approuvés par décret royal fixeront l'enseignement propre à chaque Faculté, les matières obligatoires pour la licence, la durée et l'ordre des études, le nombre et la forme des examens. Ces règlements seront élaborés par une Commission dont la moitié des membres seront élus par les Facultés et l'autre moitié nommés par le Ministre parmi les professeurs libres et autres personnes d'une compétence reconnue.

On pourvoit aux vacances des postes de professeur ordinaire par promotion ou permutation. La nomination directe, due à un mérite particulier, ne pourra se faire sans l'avis favorable de la Faculté à laquelle appartient la chaire vacante et du Conseil supérieur de l'Instruction publique. Les postes de professeur extraordinaire s'obtiennent soit par permutation, soit à la suite d'un concours qui comprend et la comparaison des titres des candidats et un examen. Les professeurs extraordinaires nommés au concours n'ont pas besoin d'autres approbations. Ils ont le droit, au bout de 3 ans, de devenir professeurs ordinaires même au cas où le cadre de la Faculté serait complet, pourvu que celle-ci et le Conseil supérieur de l'Instruction publique donnent un avis favorable.

Les taxes scolaires seraient augmentées environ d'un tiers et le traitement des professeurs serait augmenté aussi proportionnellement à l'accroissement des produits des taxes. Une somme de 100.000 francs est affectée à des bourses à attribuer à des étudiants pauvres et méritants, appartenant à des provinces dans lesquelles n'existent aucunes fondations pour l'enseignement supérieur ou qui sont pauvrement dotées. Un autre fonds de 300.000 francs (réductible au bout de 6 ans à 200.000) est consacré aux édifices universitaires et à l'installation des laboratoires. Le gouvernement a la faculté d'instituer dans les Universités royales un Censeur d'académie (curatore academico, curator studiorum) chargé du maintien de la discipline et de l'administration du patrimoine. Le Recteur ne ferait plus que représenter l'Université et diriger les études.

Ce projet de loi n'a pas trouvé mauvais accueil dans les bureaux de la Chambre des députés, mais comme la majeure partie des professeurs et des professeurs libres qui y siègent lui est opposée, il est probable qu'il ne résistera pas à l'épreuve de la discussion et, qu'en tous cas, s'il résistait il ne serait pas approuvé par le Sénat.

Les ministres de Gràce et de Justice (M. Costa) de la guerre (général Pelloux) et de la Marine (M. Brin) ont présenté au Sénat un projet de loi sur la Protection de la défense nationale en temps de paix. — Est puni de cinq à dix ans de réclusion quiconque transmet ou procure à un gouvernement étranger ou à ses agents, en tout ou en partie, les originaux ou les copies de plans, dessins, documents concernant la défense et les opérations militaires de l'Etat, de modèles d'armes, de munitions, et de toute espèce d'engins militaires qui n'est pas dans le commerce, ou bien qui fournit des indications, des rensei

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