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s'était trouvée n'avait été rien moins que favorable à la perception des recettes locales et la cessation des travaux agricoles, menaçait le pays d'une disette. Malgré tout, le déficit ne dépasserait pas 1.500.000 à 1.800.000 franct et le Gouvernement proposerait de prélever cette somme sur le produit de la conversion, de manière à éviter un nouveau recours aux ressources générales du Trésor public.

Arrivant alors aux concessions de travaux publics qui avaient plus par. ticulièrement préoccupé l'opinion, le ministre déclara qu'il n'était « pas vrai de dire que M. Laroche eût concédé des travaux publics à un étranger». M. Laroche avait simplement signé, avec M. de Coriolis, un avantprojet sous la réserve expresse de l'approbation du ministre des colonies, de même qu'avec une autre personne il recouvrit de sa signature un autre projet pour l'exécution de la même voie, qu'il transmit également au ministre, se conformant en tout cela aux prescriptions du décret du 11 décembre 1895 qui réglait ses pouvoirs.

Sans entrer ici dans le détail des questions qui sont du domaine propre de la Chronique coloniale, il convient de faire connaître les vues exposées par le ministre des colonies sur le projet de construction d'une voie ferrée à Madagascar, parce que ces vues sont d'intérêt général et ont une portée politique considérable. L'administration des colonies était saisie de trois combinaisons tendant à l'exécution d'une voie ferrée. L'une consistait à ne demander au budget local ni au Trésor public aucune subvention, aucune garantie d'intérêt et à faire payer la concession de la voie ferrée par une concession de terres ou de mines. Ce système qui était celui de M. de Coriolis n'avait rien de nouveau ; c'était celui que notamment la grande république du nord de l'Amérique avait employé pour construire son réseau ferré. Dans un second système « que l'on peut considérer comme plus particulièrement français », le concessionnaire éventuel exigeait du Trésor une garantie d'intérêt. Enfin la troisième combinaison consistait à mettre à profit les études faites sur place par le corps du génie militaire, pour construire la ligne ferrée aux frais du Trésor public ou du budget local, ce qui revenait à peu près au même. M. André Lebon, soucieux, comme il en avait le devoir, de ménager les finances de l'Etat, n'hésitait pas à déclarer que le premier de ces trois systèmes avait toutes ses préférences. Mais il ajoutait aussitôt qu'il n'était jamais entré dans les intentions du gouvernement de concéder la voie stratégique qui assurera les relations de Tananarive avec la côte soit à un sujet étranger soit à une société qui serais étrangère ou dans sa forme ou dans son personnel. Au surplus le ministre prenait l'engagement de ne point signer un contrat définitif sans avoir fourni au Parlement l'occasion d'exprimer son sentiment.

Après avoir fait connaître au point de vue douanier que le gouvernement avait l'intention de demander aux Chambres d'appliquer à Madagascar la loi douanière de 1892, en y apportant certaines modifications très restreintes, le ministre termina ses longues et très intéressantes explications en faisant observer combien les conditions faites au ministre des colonies pour diriger la politique coloniale de la France sont particulièrement difficiles. Chaque fait, chaque incident qui survient dans une colonie est transmis à

l'opinion publique sous forme de deux ou trois éditions successives, depuis la nouvelle officielle, toujours très sommaire, parce qu'on fait des économies sur les frais télégraphiques, jusqu'à « la dépêche privée un peu plus détaillée, surtout quand elle est dictée par des intérêts particuliers, et enfin, trois ou quatre semaines plus tard, les courriers réguliers qui apportent beaucoup plus de détails émanant où de personnes qui n'ont pas été très informées, ou de journalistes qui cherchent à faire des articles à sensation qui sont immédiatement reproduits et amplifiés par la presse française ». Il n'est pas surprenant que de là résulte une « atmosphère surchauffée, énervante qui rend très difficile au ministre des colonies de conserver la liberté d'esprit dont il a besoin. Le mérite de M. Lebon avait été précisément de conserver tout son sang-froid et de ne point s'étonner qu'un an après la conquête, Madagascar ne soit pas encore au degré de pacification que d'autres colonies ont mis tant d'années à atteindre. Le ministre avait toute confiance en l'avenir, mais il pensait et disait franchement qu'il « faudrait que tous en France nous eussions la volonté de traiter ces questions avec sang-froid, avec la tenacité que certains pays étrangers apportent dans la conduite d'entreprises de ce genre et que, surtout, on voulut bien renoncer de tous les côtés à chercher dans les accidents de la politique coloniale des armes pour les querelles de partis ».

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Le Sénat entendit encore une question de M. Deandreis au ministre de l'intérieur, sur le retard apporté dans la transmission au Conseil d'État des dossiers intéressant les élections municipales ; une interpellation de M. Joseph Fabre sur le sanatorium d'Aubrac et l'attitude de divers fonctionnaires; enfin une question de M. Forest sur les mesures à prendre pour rendre sa prospérité à l'établissement thermal d'Aix-les-Bains.

La Haute Assemblée consacra le restant de ses séances à la discusssion en deuxième délibération du projet de réforme du régime des boissons. Elle adopta en première lecture, par 157 voix contre 80, une proposition de loi modifiant l'article 310 du Code civil et disposant qu'après trois ans, la séparation de corps sera de droit convertie en divorce, si cette conversion est demandée par l'époux qui a obtenu la séparation. Le Sénat acheva également l'examen en première et en deuxième délibérations de la proposition de loi relative à la compétence des juges de paix portée au triple de ses limites actuelles. M. Bérenger, soutenu par M. Monis essaya d'obtenir le renvoi du projet à la commission pour augmenter les garanties de capacité des juges de paix au moment où leurs attributions étaient étendues : mais M. Godin réussit à éviter tout nouveau retard. La Haute Assemblée adopta enfin divers autres projets ou propositions notamment le projet de loi concernant les clôtures de chemin de fer ainsi que le projet relatif au domaines congéables et ceux sur inscription maritime et la prohibition des monnaies de billon étrangères. Et la session fut close après le vote d'un nouveau douzième provisoire.

ZÉDYX.

ITALIE

(JUILLET 1896-MAI 1897)

Politique du ministère di Rudini.- Crise ministérielle partielle.- Le marquis Visconti-Venosta, ministre des Affaires étrangères. Le général Pelloux ministre de la Guerre. — M. Luzzatti, ministre des Finances. La question de la dissolution de la Chambre agitée pendant les vacances, Question du traité avec l'Abyssinie. Dissolution de la Chambre. Proclamation peu constitutionnelle du ministère aux électeurs. Elle est mal accueillie. — L› vote plural et le Referendum dans le programme ministériel. Vénalité des élections. Invalidation du fils de M. di Rudini. Avènement d'un groupe républicain sérieux. M. Zanardelli, président de la Chambre. Contradictions du président du Conseil à propos du budget de la guerre. Traité avec Ménélick. Attentat contre le Roi d'Italie. majorité ministérielle est sans consistance.

- La

Je terminais la précédente chronique en disant que le ministère di Rudini n'avait pas une majorité assurée dans la Chambre et qu'il ne pourrait la trouver qu'en se délivrant de l'amitié des radicaux, en résistant à la tentation d'attaquer tous les jours et en toute occasion le passé gouvernemental de M. Crispi et en s'attirant ainsi l'amitié des députés monarchistes désignés comme «< crispiniens ». J'ajoutais qu'il ne pouvait songer aux élections générales pour s'assurer une majorité, car il n'était pas probable que le roi consentît à la dissolution de la Chambre, si elle était demandée un cabinet allié aux républicains (1). .

par

Pour être juste, dit-on, il faut reconnaître que M. di Rudini a cherché à se libérer de l'alliance dangereuse des radicaux et des hommes de la gauche qui se rapprochaient le plus de ceux-ci. Mais il n'y réussit pas, car ils avaient trop d'intérêt à se montrer ministériels pour se résigner à passer du côté de l'opposition, et M. di Rudini lui-même, homme faible, indécis, sans grande autorité ni habileté parlementaires, n'eut pas le courage de rompre violemment les liens qui l'attachaient à ces groupes de la gauche et aux radicaux depuis le temps où, avec eux, il avait fait de l'opposition à M. Crispi. Lié à ceux qui songeaient à obtenir de lui la dissolution de la Chambre, il devait finir par céder en la demandant, malgré lui, au Roi, qui, scrupuleux observateur des règles constitutionnelles même les plus sévères, peut-être contre son gré, la lui accorda.

Cependant si M. di Rudini a fini par céder aux injonctions des radicaux et des hommes de la gauche, nous avons dit plus haut qu'il essaya de s'affranchir de leur tutelle incommode et périlleuse.

Une des tentatives faites dans ce but fut certainement la crise ministérielle partielle qui fit sortir du Cabinet M. Colombo, ministre du Trésor, M. Caetani ministre des affaires étrangères, le général Ricotti, ministre de la guerre, M. Carmine, ministre des postes et télégraphes et les remplaça aux finances, par M. Luzzatti, aux affaires étrangères, par M. E. ViscontiVenosta, à la guerre, par le général Pelloux, aux postes et télégraphes, par M. Sines, qui abandonna le sous-secrétariat d'Etat du ministère de

(1) Voir le no de mai-juin 1896.

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l'intérieur auquel fut appelé M. Serena, ancien préfet et député de la droite. et alors conseiller d'Etat.

MM. Carmine et Colombo appartenaient tous deux à la droite, mais à cette portion de la droite qui n'avait jamais voulu accepter les idées et les principes de gouvernement de M. Crispi et l'avait au contraire toujours combattu. M. Colombo spécialement, celèbre électricien, professeur remarquable au Polytechnicum de Milan, incarnait et incarne en lui (car c'est un homme très tenace dans ses idées) cet esprit de politique pacifique et neutre qui compte à Milan de nombreux partisans mais très peu dans le reste de l'Italie. Esprit précis et mathématique, M. Colombo ne voit rien au delà des chiffres. Peu versé dans les sciences économiques et financières il n'attribue à ces chiffres aucun autre sens que leur valeur numérique et par conséquent ne cherche pas à mettre la situation financière de l'Etat en rapport avec la politique nationale, mais voudrait, au contraire, que celle-ci fùt toujours subordonnée à celle-là, sans tenir compte d'autres éléments. Ministre des finances ou du Trésor, il n'a jamais fait de la politique financière, mais de la finance étroite et sévère pour laquelle il avait toujours combattu même comme député, ce qui l'avait fait entrer alors et le faisait toujours rester dans le camp politique diamétralement opposé à celui de M. Crispi; M. Colombo entra pour la première fois dans le Gouvernement comme ministre des finances en 1891 (premier ministère Rudini) et se retira quand il vit qu'il ne pouvait pas appliquer son programme de réduction de l'armée et d'économies administratives radicales. Redevenu ministre du Trésor au mois de mars 1896 avec le même programme, qui avait l'appui des radicaux et de quelques libérauxmonarchiques, il espéra pouvoir l'appliquer parce que le ministre de la guerre, le général Ricotti, défendait les mêmes idées. Mais en présence de l'opposition formelle de la majorité, le marquis di Rudini n'hésita pas un instant à l'abandonner, forçant ainsi à sortir en même temps du Ministère et M. Carmine (qui avait les mêmes idées) et le général Ricotti qui songeait à les faire triompher dans ses projets de réorganisation de l'armée. C'est avec plaisir également que la Chambre et principalement une bonne partie des « crispiniens » virent la retraite du général Ricotti. Le général Ricotti est un homme de grande valeur. Ministre de la guerre de 1870 à 1876, il réorganisa et réforma profondément l'armée. Après 1876 il resta à la Chambre comme député d'opposition, puis passa au Sénat. Réclamé comme ministre de la guerre par Depretis, quand cet homme politique commença ce qu'on appelle le « Transformisme », ce fut lui qui envoya les premières troupes à Massaouah; qui, par esprit non seulement d'économie mais de ladrerie, leur refusa tout ce qui leur était nécessaire pour se défendre contre les effets meutriers du climat, et les laissa ainsi décimer par la fièvre typhoïde et d'autres maladies infectieuses; qui refusa les renforts demandés par les gouverneurs pour défendre la colonie contre les Abyssins du Ras-Alula et fut à cause de cela déclaré responsable du désastre de Dogali et dut quitter le Ministére. Après cet événement il prit peu de part à la vie politique active, général fut placé par raison d'état dans le cadre de réserve; mais au Sénat il combattit presque toujours les projets militaires soutenant qu'il

et comme

fallait réduire le nombre des corps d'armée et les ramener de 12 à 9. Quand le désastre d'Adoua fit tomber le ministère Crispi, et que le Roi (comme nous l'avons déjà vu dans la dernière chronique), chargea M. Ricotti et non M. di Rudini de composer un nouveau Cabinet, personne ne pensa que ce fût lui qui pût le présider. Beaucoup auraient désiré que le vieux général se fut installé au ministère des affaires étrangères où sa finesse naturelle eût pu servir le pays, mais il voulut retourner au ministère de la guerre, ce qui indisposa une grande partie de la Chambre et fit surtout la plus triste impression dans l'armée, où le nom de Ricotti n'est pas populaire parce qu'on le sait sceptique, ennemi des innovations et très avare. D'accord avec M. Colombo, le général Ricotti essaya d'appliquer ses idées. Il réussit bien à faire voter son projet par le Sénat, mais ne put même pas le faire mettre en discussion par la Chambre et dut quitter le ministère. Son départ fit plaisir à une grande partie de la Chambre car (à part ses idées sur l'organisation militaire) l'expérience que l'on avait faite de lui n'avait pas été heureuse, les années ayant augmenté et aggravé ses défauts et affaibli ses bonnes qualités. La démission du ministre des affaires étrangères, Caetani di Sermoneta, qui suivit la sienne fut accueillie avec la plus grande satisfaction. Ce gentilhomme, en effet, qui porte dignement un des plus grands noms du patriciat romain, qui est instruit et ne manque pas d'esprit naturel, fit un très-mauvais début comme ministre des affaires étrangères. Dans la publication des Livres verts sur l'Afrique, il commit des imprudences qui faillirent entraîner une rupture avec l'Angleterre; il soutint que des documents manquaient quand plus tard on s'aperçut qu'ils existaient; il se montra imprudent dans les discours qu'il prononça à la Chambre au point d'indisposer très gravement même les plus sincères partisans du ministère Rudini. Il comprit bien vite lui-même son insuffisance et, aussitôt que l'occasion s'en présenta, il donna spontanément sa démission.

Peut-être M. di Rudini ne fut-il pas tout à fait libre dans le choix des successeurs de ses collègues démissionnaires, et peut-être les engagements pris avec ses alliés ne lui permirent-ils pas de faire ce qu'il voulait; quoi qu'il en soit, si quelques-uns des nouveaux ministres satisfirent entièrement ou partiellement l'opinion publique, l'arrivée au pouvoir de certains autres ne fut pas au contraire vue sans inquiétude.

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La nomination du marquis Visconti-Venosta comme ministre des affaires étrangères donna pleine satisfaction à l'opinion. Cet homme politique, qui porte un nom illustre dans la noblesse Lombarde, se mêla activement de 1849 à 1859 au mouvement libéral de la Lombardie, d'abord dans les rangs du parti républicain, puis dans ceux du parti monarchique modéré du comte de Cavour. Après la constitution du Royaume d'Italie, il entra au Parlement, se faisant promptement apprécier comme un des meilleurs députés, puis passa de là dans la diplomatie pour laquelle il montra de brillantes aptitudes, et de la diplomatie entra dans diverses combinaisons ministérielles dans lesquelles il tint toujours avec honneur le portefeuille des affaires étrangères jusqu'au jour où le pouvoir passa à la Droite. Il était, après 1876, resté quelques années député de l'opposition, puis avait semblé se retirer pour toujours de la vie politique active, en acceptant de faire

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