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La question soulevée par l'honorable député du Rhône n'était pas neuve ; depuis longtemps on réclamait la suppression des décrets de rattachement qui, depuis 1881, ont réparti entre les divers ministères la connaissance des affaires algériennes et en retardent ainsi la solution, en privant de la plus grande partie de son autorité le gouverneur général devenu une sorte de préfet simplement superposé aux trois autres d'Algérie. Souvent cet état de choses fàcheux avait été exposé au Parlement. M. Jules Cambon notamment s'en était expliqué en maintes circonstances devant la Chambre ; mais tout s'était borné à des discours. Une fois de plus les inconvénients du système actuel furent mis en lumière dans une discussion à laquelle prirent par tous les députés de la colonie, et après un remarquable discours du gouverneur général, la Chambre vota à mains levées l'ordre du jour suivant de M. Fleury-Ravarin :

La Chambre, approuvant les efforts faits depuis quelques années pour rétablir l'ordre dans l'administration de l'Algérie; convaincue que le système des rattachements édicté par les décrets du 28 août 1881 constitue un obstacle au bon fonctionnement des services publics en Algérie et à la réalisation des réformes, invite le Gouvernement :

1o A rapporter immédiatement ces décrets et à réorganiser la haute administration de la colonie ;

2o A déposer sans retard un projet de loi, tant pour constituer le contrôle de l'administration que pour régler la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur.

La Chambre adopta également à mains levées un ordre du jour de M. Saint-Germain par lequel, « comptant sur l'énergie du Gouvernement, elle lui demandait de faire cesser immédiatement par tous les moyens en son pouvoir les agissements des missionnaires anglais en Algé

rie ».

A ce grand débat un autre succéda dont l'opportunité n'apparaissait pas aussi clairement : M. Mirmån développa une interpellation « sur la liberté d'association des fonctionnaires civils et en particulier des membres de l'enseignement ». En réalité les radicaux savaient bien qu'il était assez difficile de faire passer les membres de l'Université pour les tristes victimes d'une persécution organisée par un ministre qui était précisément un universitaire des plus distingués. Aussi comptait-on frapper surtout les esprits en exposant que le Gouvernement tolérait de la part du clergé ce qu'il interdisait aux professeurs. Des fêtes en effet avaient eu lieu à Reims à l'occasion du centenaire du baptême de Clovis et elles avaient été suivies d'un congrès de prêtres, puis d'un congrès national catholique. C'était une belle occasion de crier au péril clérical. Mais la majorité ne se laissa pas entraî ner et après les explications très nettes et très mesurées des ministre de l'instruction publique et des cultes et du président du Conseil, la Chambre repoussa les ordres du jour de défiance, et vota par 306 voix contre 214 celui de M. Develle « approuvant les déclarations du Gouvernement, et comptant sur sa fermeté pour faire respecter les droits de l'Etat ».

§ 2. L'ÉLECTION DES SÉNATEURS. Il semblait qu'après tout le temps que la Chambre venait de perdre en débats inutiles, elle aurait hâte d'aborder

enfin l'étude du budget. Il n'en fut rien, et elle consentit encore à consacrer deux séances entières à modifier la loi électorale du Sénat. Deux propositions avaient été déposées : l'une par M. Maurice Faure tendant à l'élection des sénateurs au suffrage universel; l'autre par M. Guillemet, éta. blissant le suffrage direct à deux degrés. La commission chargée d'étudier ces deux projets de réforme, s'arrêta à un système de transaction qui conservait comme électeurs sénatoriaux les députés, les conseillers généraux, les conseillers d'arrondissement, et se bornait à remplacer les délégués des conseils municipaux par des délégués choisis par les électeurs de la commune. A vrai dire, on ne discernait pas bien sur quels principes s'appuyait ce système, dont, en revanche, les défauts variés et nombreux sautaient aux yeux. M. Barthou montra pourtant mais en vain ce qu'il y avait d'incohérent et d'inapplicable dans ce projet mal étudié. La Chambre n'en passa pas moins à la discussion des articles, qu'elle vota. Mais les radicaux, non contents de ce résultat et, d'avance, fixés sur le sort qui pouvait être réservé à l'œuvre de M. Trouillot, prétendirent obtenir que le ministère prît l'engagement de soutenir devant le Sénat le projet qu'il avait combattu à la Chambre. M. Méline protesta contre une pareille mise en demeure, et par 295 voix contre 235 la Chambre lui donna raison. Cela prouvait sans doute que cette dernière attachait peu de prix au résultat de son travail de deux jours entiers, mais peut-être cela prouvait-il aussi que si le Gouvernement avait pris au début l'attitude résolue qu'on lui vit prendre à la fin, il aurait pu éviter la perte de deux séances en vaines discussions.

§ 3. DISCUSSION DU BUDGET 1897. Alors enfin la Chambre aborda le budget et en poursuivit l'étude jusqu'à la fin du mois sans interruption. Elle adopta successivement les divers chapitres des dépenses de l'Intérieur, des Affaires étrangères, de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, sans autres modifications qu'un certain nombre de relèvements de crédits. La discussion fut naturellement retardée par la série d'amendements habituels sur les articles qui servent de thème aux revendications radicales et qui furent repoussés comme les années précédentes. A propos du budget de l'Instruction publique, MM. Millerand et Louis Jourdan déposèrent des projets de résolutions invitant le Gouvernement à achever la laïcisation des écoles publiques. A la suite d'une assez longue discussion à laquelle prirent part MM. Jourdan, Lavy, Méline, Millerand, Poincaré et Goblet, la Chambre adopta par 454 voix contre 94 la première partie du projet de résolution de M. Millerand ainsi conçue: «La Chambre, affirmant le droit du ministre de procéder sans délai à la laïcisation du personnel des écoles primaires de filles... », mais par 326 voix contre 227 elle repoussa la seconde ainsi rédigée:... « invite le Gouvernement à achever cette laïcisation dans le délai de deux ans pour les communes qui ne tombent pas sous l'application de l'article 67 de la loi du 30 octobre 1896 et dans le plus bref délai pour les autres ». A propos du budget des Affaires étrangères, M. Millerand interrogea le ministre sur la nature des relations franco-russes. M. Hanotaux répondit par une courte déclaration qui ne parut pas satisfaisante à l'extrême gauche, mais dont la majorité de la Chambre et l'opinion publique n'avaient aucun besoin pour être suffisamment renseignées.

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La discussion du budget se poursuivit en décembre, mais avec une extrême lenteur et des interruptions qui, en fin de compte, rendirent impossible le vote de la loi de finances avant la fin de la session.

La discussion générale du budget des colonies fut précédée d'une interpellation de M. Michelin sur Madagascar. La nécessité de ce débat ne se faisait peut-être pas bien sentir, après celui qui avait eu lieu quelques jours plus tôt au Sénat. Avec plus d'opportunité, M. le prince d'Arenberg se plaignit de la façon dont la compagnie royale du Niger comprend la liberté de navigation surce fleuve, et appela l'attention du Gouvernement et de la Chambre sur les agissements des Anglais. M. André Lebon répondit qu'il n'avait pas perdu de vue les questions relatives à la boucle du Niger et que notre diplomatie s'occupait de faire préciser les déclarations rassurantes du cabinet britannique.

C'est le budget de la marine qui donna lieu à la discussion la plus longue et la plus vive, et une fois de plus, la Chambre entendit le procès de cette administration où il semble, en effet, que la routine et les abus trouvent un asile inviolable. M. Lockroy proposa l'inscription d'un crédit de 50 millions pour le prochain exercice, et de 200 millions à repartir entre les divers exercices jusqu'à celui de 1900, pour entreprendre la réfection de notre matériel naval. Mais le ministre fit rejeter l'amendement en observant qu'aucun plan d'ensemble ne correspondait au crédit proposé et en promettant de déposer un projet de loi dès les premiers jours de la rentrée.

Avant de se séparer, la Chambre vota les crédits supplémentaires. M. Vaillant prit prétexte des dépenses occasionnées par le voyage du Tsar pour demander le vote d'une somme de 4 millions destinée aux victimes du chô. mage, que la Chambre refusa.

§ 4. LA FABRICATION DES VINS ARTIFICIELS. Plusieurs séances furent consacrées par la Chambre à la proposition de loi de M. Turrel tendant à interdire la fabrication des vins artificiels. Il semblait qu'une pareille question, n'ayant rien de politique, ne dût pas beaucoup passionner les esprits ni soulever de vives résistances; il s'agissait simplement de donner aux producteurs de vin une satisfaction légitime depuis longtemps réclamée et de les protéger, non pas contre des produits étrangers, mais contre une concurrence déloyale et contre les fraudes rendues possibles et favorisées par la libre fabrication des vins de raisins secs. La proposition fut cependant très vigoureusement combattue et l'on put croire un instant que les libre-échangistes intransigeants et les socialistes parviendraient à la faire repousser. Elle fut votée pourtant, mais avec des modifications dont le résultat sera peut-être de rendre son efficacité illusoire. 20 SÉNAT: § 1. INTERPELLATION SUR LES AFFAIRES DE MADAGASCAR. Le Sénat inaugura la reprise de ses travaux par la discussion d'une interpellation sur les affaires de Madagascar, développée par M. Le Provost de Launay. L'honorable sénateur protesta tout d'abord contre la façon dont l'expédition avait été préparée, mais il se hàta d'arriver à la situation actuelle et fit la plus vive critique de l'administration de M. Laroche, contre lequel d'ailleurs une campagne de presse d'une rare violence avait été menée depuis plusieurs mois. Il reprochait surtout à M. Laroche sa qualité de

protestant, d'avoir été « sans retenue, sans réserve, le prisonnier des Hovas », enfin d'avoir professé cette opinion que les concessions de travaux publics dans l'île pouvaient n'être pas réservées à des Français.

M. André Lebon répondit en détail et de la façon la plus complète à l'interpellateur : « Le Sénat comprendra, dit-il, que j'aie à cœur après que bien des faits, bien des intentions ont été travestis au cours de cet été par des polémiques extrêmement passionnées et bien souvent injustes, de profiter de la circonstance qui m'est offerte pour retracer devant lui les vicissitudes de notre politique à Madagascar pendant la présente année. » L'honorable ministre des colonies commença donc par faire connaître les instructions que M. Laroche avait reçues à son départ pour Tananarive le 11 décembre 1895. Elles lui recommandaient d'entourer la reine des plus grands égards et insistaient sur l'intention de notre Gouvernement de respecter les lois, les croyances, les usages, les mœurs des indigènes et de ne pas toucher à leur statut personnel. Dans la même dépêche, M. Berthelot attirait l'attention du résident général sur l'utilité d'éviter avec soin tout acte de nature à affaiblir l'autorité de la reine sur les populations qui lui sont soumises.

Un peu plus tard, M. Bourde, nommé secrétaire général de la résidence de Madagascar, emportait pour son chef une sorte de mémoire, d'instruction sur divers points de détail. Le résident général y était invité à diviser l'œuvre de la pacification en deux étapes distinctes. Pendant la première, il devait se borner à organiser les provinces habituées à obéir au gouvernement de Tananarive et à les protéger contre les incursions des pillards des provinces insoumises. Il n'y aurait lieu que plus tard de songer à étendre à toute l'île, de proche en proche, notre domination effective. « Le Gouvernement de la République, disait le mémoire, estime du reste que cette extension doit s'opérer par des procédés plus politiques que militaires et qu'il y aura lieu d'user de persuasion et de pression morale plus que de violence.

« Les provinces insoumises sont partagées entre une foule de chefs indépendants. Les avantages qu'il pourrait y avoir à conserver l'autonomie de tant de petits royaumes ne sauraient compenser les inconvénients de la complication de rouages qui en résulterait. Vous n'admettrez donc qu'un budget pour toute l'île et qu'un pouvoir législatif pour les indigènes, celui de la reine de Tananarive, à laquelle le Gouvernement a conservé son titre de reine de Madagascar. » Cependant, pour éviter de créer une prépondérance exclusive aux Hovas, le résident général devrait faire une large place aux indigènes des races autres que la race hova dans le recrutement des fonctionnaires et parmi les milices.

Après avoir fait connaître ces instructions, M. A. Lebon ajoutait qu'au moment où elles parvinrent à Tananarive cette politique n'était plus applicable parce que la reine avait trop perdu de son prestige et que matériellement les instruments essentiels de la domination hova sur l'île étaient détruits. Aussi, dès son arrivée au Pavillon de Flore, le nouveau ministre se préoccupa-t-il surtout de l'affaire de Madagascar et envoyat-il de nouvelles instructions au résident général. Il l'engageait à ne pas trop se fier à la docilité excessive des autorités indigènes et à les rendre

responsables des incidents qui pourraient survenir dès qu'il y aurait dans ces incidents la moindre trace de participation de leur part. D'autre part, le ministre appelait l'attention de M. Laroche sur l'intérêt qu'il y avait à ne maintenir aucun gouverneur hova en fonction dans le poste qu'il occupait avant la conquête et, dans certaines régions, à chercher dans les tribus indigènes les cadres d'une administration locale. En ce qui concernait celles des tribus Sakalaves ayant l'habitude d'envahir et de piller à des époques périodiques la région des plateaux, le résident général était invité à se borner à renforcer l'organisation de postes militaires à la limite de l'Emyrne. Les instructions arrivèrent à Tananarive vers le milieu de juin. A cette époque les troubles s'étaient développés sous l'influence de causes très complexes. Un élément important avait été un réveil du fétichisme, résultant de la conquête : une partie de la population, en effet, attribuait à l'abandon de la religion des ancêtres tous les malheurs subis et un mouvement sérieux s'était produit. Il était dirigé contre les religions chrétiennes représentées dans l'île, aussi bien contre les catholiques que contre les protestants, et ce qui le prouve bien, c'est que les destructions et incendies d'édifices religieux avaient porté dans la même proportion sur les églises catholiques et sur les temples protestants.

En face d'elle, l'insurrection avait trouvé les autorités divisées d'opinion sur les moyens de la réprimer sans que le résident général pùt faire prévaloir son avis, puisque le décret du 11 décembre 1894 avait établi dans une sorte d'autonomie, l'autorité civile d'un côté, l'autorité militaire de l'autre. M. A. Lebon avait mis fin à cette situation en établissant l'unité de commandement par le décret du 11 juillet 1895, et en envoyant à Madagascar, le général Galliéni qui devait réunir la totalité des pouvoirs civils et militaires dans la région troublée de l'île, c'est-à-dire dans l'Emyrne. Le ministre avait d'abord songé à charger M. Laroche d'une inspection des parties de l'île qu'il ne connaissait pas, pendant que le général Galliéni aurait tous les pouvoirs sur le plateau central. Mais il avait renoncé à cette idée et prié M. Laroche de rentrer en France. Le ministre n'avait pas pris cette décision plus tôt parce que, si M. Laroche avait « pu commettre un certain nombre d'erreurs tous les hommes et tous les fonctionnaires sont susceptibles d'en commettre, il avait, dans l'ensemble, exécuté les instructions qu'il avait reçues ». En outre, le ministre estimait qu'il y avait intérêt à faire commencer par M. Laroche lui-même l'évolution politique décidée pour bien marquer qu'elle n'était pas le caprice d'un homme substitué à un autre, mais la volonté très réfléchie, très raisonnée, très imposée du Gouvernement français lui-même.

Passant à la situation financière, M. André Lebon exposa que trois événements imprévus avaient troublé l'économie du budget de l'île. D'abord la subvention métropolitaine de 2.700.000 francs pour les dépenses civiles de Madagascar avait été réduite de 1 million en cours d'exercice. En second lieu, lorsque M. Laroche était parti, on pouvait escompter le vote prochain. de la conversion de l'ancien emprunt malgache et l'affectation du produit de la soulte qui en résulterait à un certain nombre de travaux publics. Et une partie de ces travaux avait été engagés. Enfin, l'état de trouble où l'île

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