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ment, et je ne me rappelle pas sans émotion le charme qui découlait de sa conversation si richement imagée. Son esprit, nourri par de fortes études, sa grande mémoire qui ne s'affaiblit jamais, son élocution facile, faisaient de lui le plus séduisant causeur.

Cependant, je ne constatais pas sans tristesse, qu'à certains jours ses discours revêtaient une teinte mélancolique; f'amertume si longtemps renfermée dans ce cœur meurtri par les souffrances morales débordait tout à coup; un seul sujet pouvait encore rasséréner son âme et lui rendre l'enthousiasme de la jeunesse : l'art! cet art musical qu'il aimait passionnément et dont il savait parler avec tant d'éloquence. Dans ces moments, ses souvenirs lui revenaient en foule, il se mettait an piano et exécutait de mémoire des scènes entières de Chérubini, de Méhul ou de Gluck, ses auteurs favoris. Il analysait les œuvres de ces maîtres avec une lucidité d'esprit vraiment extraordinaire; le vieillard disparaissait alors, il ne restait devant moi que l'artiste, et j'admirais!

J'ai passé ainsi bien des heures delicieuses, dont le souvenir ne s'effacera pas de ma mémoire.

Cet homme, d'une complexion en apparence débile, devait vivre de longs jours.

Il ne me souvient pas qu'il ait jamais connu de vraie maladie, et celle qui l'a emporté fut bien courte!

Un matin on vint m'apprendre que Daussoigne avait été pris de syncopes la nuit; je m'empressai de me rendre auprès de lui, et je le trouvai dans son lit, grelottant. Un simple refroidissement avait provoqué cet état, auquel succeda bientôt une fièvre catarrhale dont helas! il ne devait pas triompher. Il s'éteignit doucement, sans souf

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rance apparente, et le 5 mars 1875, il expirait dans mes bras!

Ses fils arrivèrent le soir même, et rien ne peut peindre leur désespoir à la vue du corps inanimé de ce père bienaimé, dont ils n'avaient pu recueillir le suprême adieu!

Par dispositions testamentaires, Daussoigne renonçait aux honneurs funèbres auxquels lui donnaient droit sa haute position, sa qualité d'académicien et son grade de commandeur de l'ordre de Léopold.

Ses dernières volontés furent respectees, mais um grand nombre d'artistes et d'amis voulurent accompagner sa dépouille mcrtelle jusqu'à Givet, sa ville natale, berceau de son enfance, où il avait désiré reposer après sa mort.

J.-THEODORE RADOUX.

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LE COLONEL

ÉMILE-HENRI-JOSEPH ADAN,

CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE,

né à Bruxelles je 18 octobre 1830, décédé à Ixelles le 13 janvier 1882.

Émile-Henri-Joseph Adan naquit à Bruxelles le 18 octobre 1830. Sa famille appartenait à la classe aisée, et son père, qui possédait des connaissances solides et variées, prit un soin particulier de son éducation. Vif et intelligent, élevé au milieu de l'aisance, traité par ses parents avec la plus grande douceur, l'enfant se laissait aller, suivant l'expression d'un grand poëte,

Au bonheur de livrer sa jeune âme à la vie;

mais il ne jugeait pas que le travail fût nécessaire à l'existence. Aussi préférait-il le jeu à l'étude, et rien, dans l'enfant. ne faisait présager l'homme que l'on devait citer plus tard comme le plus infatigable des travailleurs.

Au sortir de l'école primaire, il fut placé comme externe dans une institution privée, dont les élèves avaient la faculté de suivre les cours de l'Athénée royal de Bruxelles, en même

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