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SUR LES PRIX DÉCERNÉS EN 1865

LU DANS LA SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE DU 12 DÉCEMBRE 1865

Par M. FRÉDÉRIC DUBOIS (D'AMIENS),
Secrétaire perpétuel de l'Académie impériale de médecine.

MESSIEURS,

Les questions que l'Académie propose annuellement comme sujets de prix suffiraient, au besoin, pour montrer quel est l'état actuel de la médecine et pour donner la mesure de ses progrès; ceux qui nient ces progrès ferment les yeux à la lumière. La médecine, comme toutes les sciences, a passé par l'état théologique, puis par l'état critique; elle est aujourd'hui à l'état positif, c'est-à-dire complétement entrée dans les voies de l'observation, et quand le sujet le comporte, dans celles de l'expérimentation, d'où résulte l'expérience, qui est une acquisition de l'esprit. Bien des années se sont écoulées depuis que la médecine, secouant le joug de l'autorité dogmatique, s'est complétement sécularisée ; il faut en vérité sortir du sommeil d'Épiménide, pour venir aujourd'hui reprocher à la médecine de mêler la religion à son enseignement, pour venir nous dire qu'elle fait encore jouer un grand rôle au surnaturel et au merveilleux; qu'elle est enfin et toujours dominée par d'absurdes superstitions.

On parle aussi de l'empirisme, on nous dit plongés dans ses ténèbres; mais ce reproche nous l'acceptons, car pour nous, l'empirisme, loin d'amasser les ténèbres, les dissipe. Qu'est-ce, en effet, que l'empirisme médical, si ce n'est l'expérimentation appliquée à la thérapeutique, si ce n'est cette méthode expérimentale elle-même, qu'on revendique exclusivement pour d'autres sciences, tandis qu'elle nous appartient en propre? Qui ne sait, en effet, comment la physiologie en use dans ses amphithéâtres, et comment la pathologie la retrouve dans ses services

de clinique? Je dis dans ses cliniques, car en dehors des hôpitaux et de la pratique, je ne vois plus d'expérimentateurs, je ne vois plus même d'observateurs; je vois des professeurs qui exposent l'état de la science à leur façon, et rien de plus. Quant aux académies, leur rôle est parfaitement tracé; elles recueillent, elles enregistrent, elles sanctionnent les faits nouveaux, elles en apprécient l'importance, et elles décernent des récompenses aux travailleurs. Est-ce que, par hasard, elles feraient passer ce qu'on appelle les personnalités médicales avant la science? Est-ce qu'elles demanderaient aux concurrents des récits empruntés à la tradition, c'est-à-dire des légendes? Est-ce qu'elles admettraient des inspirations dues à un prétendu tact médical? Il nous suffira, messieurs, de rappeler en peu de mots comment l'Académie a procédé dans la rédaction de ses programmes, pour vous montrer quelle médecine elle professe, dans quel sens et dans quel esprit elle cherche de son côté à håter les progrès de la science. Voyez, en effet, ce qu'elle avait demandé cette année aux concurrents, et dans quelle direction elle avait encouragé leurs travaux.

Elle avait d'abord à décerner un prix qui lui est propre. Quelle question a-t-elle proposée? Était-ce un problème dont la solution comporterait quelque chose de surnaturel, de merveilleux? Elle a tout simplement demandé aux concurrents un exposé des paralysies traumatiques. Pénétrant ensuite au cœur même de la science, elle a demandé aux observateurs s'il existe ou non des caractères anatomiques spécifiques du cancer; puis elle a trouvé qu'il était opportun, dans l'état actuel des choses, de s'enquérir des rapports de la paralysie générale et de la folie, et comme de tout temps les indications fournies par le pouls dans l'état puerpéral avaient préoccupé les praticiens, elle a cru devoir provoquer des recherches sur ce point; elle a demandé ensuite, avec M. Barbier, si la science ne pourrait pas trouver les moyens de traiter avec succès quelques maladies réputées incurables, et avec M. Amussat, si l'on ne pourrait pas lui signaler un progrès quelconque obtenu dans la thérapeutique chirurgicale par la voie de l'expérimentation. Enfin, et conformément au vou exprimé par M. E. Godard, elle s'est bornée à demander un bon mémoire de pathologie externe. Messieurs, nous devons le dire dès à présent, les concurrents ont parfaitement compris leur mission; ils ont tous été de leur siècle. S'ils ont parfois invoqué l'autorité de leurs devanciers, c'était en s'appuyant de leur expérience; ils ont en ce sens

rapporté des faits et non des légendes. Là où l'observation pouvait seule être invoquée, ils l'ont invoquée ; quand ils ont pu y joindre l'expérimentation, ils l'ont fait, et l'Académie a récompensé leurs efforts. Mais entrons dans quelques détails.

Nous venons de voir que comme premier sujet de prix, l'Académie avait proposé une question qui rentre dans le cadre des connaissances chirurgicales, et qui, au point de vue pratique, devait exciter le plus vif intérêt; il s'agissait des paralysies traumatiques. Les paralysies, considérées d'une manière générale, sont en effet des lésions qui, jusqu'à présent, paraissaient plutôt appartenir au domaine de la médecine qu'à celui de la chirurgie; mais les travaux soumis à l'examen de l'Académie par les concurrents montrent que les paralysies traumatiques, c'est-à-dire déterminées par des lésions physiques, constituent un genre d'accidents au moins aussi fréquents, aussi graves, aussi intéressants que les paralysies dues soit à des hémorrhagies, soit à des ramollissements des centres nerveux; et c'est là surtout ce que démontre l'excellent mémoire envoyé à l'Académie par M. le docteur Antonin MARTIN, médecin-major au 5° escadron du train des équipages militaires. Jamais mémoire n'a été plus riche de faits ; l'auteur a su en user avec habileté; cependant, comme le dit très-judicieusement M. Larrey, rapporteur de la Commission, on voit que M. Martin a manqué du temps nécessaire pour bien coordonner ses matériaux et pour en déduire des conclusions rigoureuses. Aussi l'Académie, tout en accordant un prix de la valeur de 1000 fr. à M. le docteur Martin, l'engage-t-elle à poursuivre une œuvre qui répondra alors et de tout point, comme le dit encore M. Larrey, à l'une des plus difficiles et des plus importantes questions qui aient été mises au concours; de sorte que, si aujourd'hui on peut dire de son travail, materies superabat opus, il pourra se faire qu'on dise alors, par une légère variante, materiem superabat opus.

La question proposée par l'Académie pour sujet du prix Portal, tout en rentrant dans l'ordre des faits d'anatomie pathologique, est avant tout une question de diagnostic; déjà elle avait été l'objet de graves discussions dans le sein de la Compagnie, mais sans donner lieu à des conclusions définitives. Il s'agissait de décider s'il y a ou non des caractères spécifiques du cancer; et s'il y en a, de faire connaître quels sont ces caractères.

Il n'est pas nécessaire, messieurs, d'insister sur l'importance de celle question au point de vue purement scientifique et au point de vue pratique. Si l'on arrive, en effet, à démontrer l'existence de caractères spécifiques dans les affections cancéreuses, on aura imprimé un véritable progrès à la science, et, en même temps, on aura éclairé le praticien sur la conduite qu'il doit tenir; ajoutons que le moment était venu de proposer cette grave question. Nos procédés d'investigation ont acquis un degré d'exactitude et de rigueur jusque-là inconnu; les connaissances physiques les ont étendus ; ils ont donné plus de portée à nos sens. De son côté, la chimie est venue nous prêter le secours de ses réactifs. La question était donc mûre, s'il est permis de s'exprimer ainsi, et elle nous a valu un excellent mémoire dû à M. le docteur Cornil, La question, il est vrai, n'est pas encore résolue; après s'être livré à de nombreuses recherches, l'auteur trouve qu'il est aussi impossible de définir anatomiquement le cancer que de le guérir; conclusion qui serait fort triste si elle était définitive. Mais M. Robin, bon juge en cette matière, fait remarquer que l'auteur l'aurait peut-être modifiée lui-même, s'il eût comparé avec persévérance la texture des organes cancéreux avec celle des mêmes organes à l'état sain, pris à diverses phases de leurs évolutions morbides. Néanmoins, le travail de M. Cornil renferme un si grand nombre d'observations consciencieuses et faites dans un esprit si sage, que l'Académie accorde à l'auteur le prix fondé par M. Portal, et qui est cette année de la valeur de 1000 francs.

Les motifs qui décident l'Académie dans le choix des questions qu'elle propose aux concurrents sont de plusieurs ordres: tantôt, il s'agit de résoudre des problèmes qui, de tout temps, ont préoccupé les médecins, et dont la solution n'a pas été donnée; tantôt il s'agit de provoquer des recherches sur des maladies restées obscures et mal définies, soit parce qu'elles n'avaient pas fixé l'attention des observateurs, soit parce qu'un certain degré de civilisation peut seul les mettre pour ainsi dire en relief; ces réflexions s'appliquent de tout point au sujet proposé cette année par l'Académie pour le prix fondé par madame de Civrieux. Certes, la folie a été de tout temps l'objet des études des médecins, et à commencer par les Abdéritains, les peuples en ont été émus et lui ont trouvé quelque chose de surnaturel. Depuis, les nosologistes en ont

multiplié les espèces; mais il était réservé à notre âge de voir un si grand nombre d'hommes saisis tout à coup, dans la période moyenne de la vie, de certains désordres de l'intelligence, bientôt suivis d'affaissement et de paralysie; spectacle douloureux qui se termine le plus souvent d'une manière funeste au bout de deux ou trois ans : chacun comprend que nous voulons parler du genre d'aliénation désigné sous le nom de paralysie générale. Ses rapports avec la folie sont incontestables, mais l'Académie a voulu savoir de quelle nature sont ces rapports; s'ils sont intimes, essentiels, s'ils établissent une sorte d'identité, s'ils sont constants, inévitables, s'ils font rentrer enfin la paralysie générale dans les variétés de la folie, ou s'ils lui laissent les caractères d'une indivi dualité morbide. L'Académic voulait en outre savoir, et elle l'avait dit dans son programme, si la paralysie générale est une maladie primitive débutant d'emblée chez des sujets jusque-là sains d'esprit, ou bien, au contraire, si elle survient comme complication dans le cours de la folie simple. On voit que ce qui importait avant tout, comme le fait remarquer M. Cerise, rapporteur de la Commission, c'était de bien établir les rapports de la folie paralytique, considérée dans ses différentes formes, avec la folie simple, considérée elle-même aussi dans ses diverses manifestations; M. Cerise ajoute avec grande raison, que le parallèle complet et détaillé des deux ordres de maladies au point de vue des causes, des symptômes, de la marche, des lésions anatomiques, était nécessairement impliqué dans les termes de la question. Plusieurs concurrents ont répondu à l'appel de l'Académie; six mémoires lui ont été envoyés. Il est à remarquer que presque tous les concurrents se sont accordés à trouver que la folie paralytique ne survient que trèsrarement comme affection secondaire ou comme complication; pour eux, c'est une entité morbide spéciale. Mais il en est un qui s'est placé en première ligne, et il faut d'autant plus le féliciter, qu'il en est encore à ses débuts dans la carrière médicale; c'est M. Magnan, interne des hôpitaux de Paris. Le mémoire qu'il a soumis à l'examen de l'Académie révèle dans son auteur un clinicien déjà très-exercé, un travailleur consciencieux et complétement au courant de la question; la Commission a pu regretter l'absence absolue d'appréciations critiques, mais elle a trouvé que cette lacune regrettable n'a qu'une importance secondaire. Aussi n'hésite-t-elle pas à décerner à M. Magnan le prix

XXVII.

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