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REVUE

CONTEMPORAINE

3o ANNÉE.

TOME DIX-SEPTIÈME.

PARIS,

BUREAU DE LA REVUE CONTEMPORAINE,

RUE DE CHOISEUL, N° 21.

1854.

HISTOIRE

LES RELATIONS

DE

LA FRANCE AVEC LA TURQUIE

SOUS FRANÇOIS Ier

Négociations de la France dans le Levant, publiées dans les Documents inédit: sur l'Histoire de France, sous la direction du ministère de l'instruction publique, par M. E. Charrière. Histoire de l'Empire ottoman, par M. de Hammer.

Cette alliance présente à la philosophie de l'histoire un véritable problème à résoudre. La France avait été, en Occident, le premier adversaire des Musulmans, et la première elle est devenue leur alliée. C'est la France qui avait, au moyen-âge, conduit les autres nations chrétiennes aux croisades, et c'est la France qui, au début des temps modernes, amena ces mêmes nations à la paix avec la Turquie. La France avait poursuivi le mahométisme en Asie, et elle a consacré l'établissement d'une race mahométane en Europe. Et, ce qu'il y a de plus remarquable, ces deux politiques si différentes ont également servi notre grandeur nationale; elles aboutissent l'une et l'autre aux deux plus beaux siècles de notre histoire. Notre lutte contre l'islamisme nous a valu le treizième siècle, le siècle de saint Louis; notre lutte contre la maison d'Autriche, où les Turcs furent nos alliés. inséparables, nous a valu le dix-septième siècle, Richelieu et Louis XIV. C'est la destinée de la France d'ouvrir les voies où l'Europe s'engage; mais est-ce donc sa mission de les ouvrir tour à tour en des directions contraires, et seul entre toutes les nations de tous les temps notre pays verrait-il le progrès de sa grandeur attaché à la condition de contredire et à renier son passé ? Pour ceux qui pensent que l'abandon de ses traditions ne

peut jamais porter bonheur à un peuple, le problème vaut assurément la peine qu'on l'examine de près.

On ne saurait le dissimuler, le traité de François Ier avec la PorteOttomane révèle une transformation dans le droit public européen. La foi religieuse a cessé de jouer un rôle dans les rapports internationaux; l'ordre et l'harmonie politique de l'Europe reposeront désormais sur le balancement des forces et des intérêts, et non plus sur la conformité des croyances; pour trouver des contrepoids contre la monarchie universelle, la France se fera un système de s'associer indifféremment des puissances hérétiques ou infidèles, Gustave-Adolphe comme Soliman. C'est l'équilibre des nations se substituant à l'unité de la chrétienté. Le système que François Ier inaugure est celui que fera triompher Richelieu. Le cardinal-ministre n'est au fond que le continuateur du Roi-chevalier; et quand on applaudit à nos triomphes du dix-septième siècle, il faut auparavant glorifier nos luttes du seizième, car luttes et triomphes sont inséparables. Le traité de Constantinople est le point de départ du traité de Westphalie, et le rapprochement de la France avec la Turquie marque la transformation diplomatique de laquelle doivent dater les temps modernes.

Mais ce changement, ce n'est pas assez de le définir et d'en mesurer l'étendue, il faut pénétrer ses causes et ses résultats, et de cette étude peut-être ressortira-t-il que la France, en appliquant à des conjonctures nouvelles un système nouveau d'alliance, ne trahit pas son immuable et providentielle vocation, mais, au contraire, qu'elle assura par sa lutte contre l'Empire le progrès intérieur de la civilisation chrétienne, et qu'elle prépara, par ses rapports désormais pacifiques avec l'Orient, l'expansion de cette civilisation au dehors. Peut-être doit-on reconnaître qu'en donnant la main à Soliman contre Charles-Quint, François Ier ne cessa pas d'ètre l'héritier de saint Louis.

Quelques amis exclusifs du moyen-âge ne pensent pas ainsi; à leurs yeux, le Roi-chevalier est une sorte de révolutionnaire; se faisant l'écho des accusations prodiguées par Charles-Quint contre son rival, ils appellent cette politique d'équilibre alliée tour à tour des infidèles et des hérétiques, une apostasie de nos traditions catholiques, une défection envers la chrétienté. Mais alors comment ces écrivains, qui croient à la Providence, peuvent-ils expliquer au point de vue providentiel la grandeur croissante que retira notre patrie du système qu'ils condamnent? Ne vaudrait-il pas mieux chercher une harmonie mystérieuse cachée sous les aspects changeants de notre histoire? Serait-il impossible de montrer que la perpétuité d'une même mission nationale domina nos luttes les plus diverses, consacra nos succès les plus contradictoires en apparence, aussi bien les croisades religieuses de la féodalité que les guerres politiques de la mo

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