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castellum, ecclesia, monasterium, pagus, campus, mallus, villa, curtis, domus, casa, portus, etc. Mais souvent ces données complémentaires manquent; maintes fois les observateurs les plus circonspects ont, comme le singe d'Ésope, pris le Pirée pour un nom d'homme. Ne craignons pas de le dire, on ne peut pas faire de la numismatique mérovingienne sans mettre le pied sur le terrain des philologues.

En général, les noms de lieux sont empruntés à la langue gauloise et les noms d'hommes à la langue tudesque.

Cela se comprend; les lieux sont immeubles et leurs noms durent avec eux; les hommes se meuvent, se succèdent, apportent leurs noms empruntés à leur langue native, et renouvellent à chaque génération leurs répertoires onomastiques.

La règle que je viens de poser comporte pourtant d'assez nombreuses exceptions. Les localités de fondation relativement récente ont reçu des noms grecs, latins ou francs, grecs comme Basilia, Gratianopolis; latins comme Novus Vicus, Caput Cervi, Pons Petreus; francs comme Theodericiacum, Theodeberciacum. D'un autre côté, l'élément gallo-romain de la population a conservé beaucoup de noms latins; les écoles d'Autun, où florissait la littérature grecque, ont mis à la mode des noms grecs comme Anthemius, Eusebius, Elafius; enfin les Orientaux, qui faisaient le commerce des métaux précieux et des riches étoffes, et les hommes du Nord appartenant à des tribus fixées en France, ou anciens captifs affranchis, ont introduit dans le répertoire onomastique un élément juif (Jose, Jaco, Osias, Johannes), et un élément saxon (Dutta, Ela, Pecca, Tinila, etc.).

Après cette observation préliminaire, j'arrive à l'étude des légendes de la première monnaie dont j'ai l'honneur de soumettre à l'Académie l'original et la reproduction photographique.

Je lis du côté de la tête :

TEADERICAS M

La dernière lettre, initiale de Monetarius, me prouve que c'est un nom d'homme, mais la philologie me montre en

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même temps que TEADERICAS n'est pas possible, que les deux A sont des V renversés, et je me trouve en présence du nom parfaitement tudesque TEVDERICVS.

Je sais maintenant que du côté de la croix je dois chercher un nom de lieu. Je vois, difficilement, mais d'une manière absolument certaine MAIRECEAIUO (le C couché); voilà ce qui est écrit, mais ce n'est pas ce qu'il faut lire. Disons

seulement en passant que les diverses listes publiées jusqu'à ce jour par des numismatistes très circonspects ont adopté la forme MAIRECEA O; ils ont cru que les deux avant-derniers caractères appartenaient à la même lettre, un couché.

Si nous tenons compte de ce que le graveur de ce coin avait l'habitude de renverser les V et d'en faire des A, nous pouvons redresser les deux A des revers, et nous nous trouvons en présence de MVIRECE VICO. Voici la qualification topographique qui se détache; il s'agit d'un vicus. Maintenant remarquons que la troisième lettre est inclinée d'une manière anormale, et qu'au lieu d'être un I c'est la partie rectiligne d'un G, dont la partie courbe n'est pas exprimée parce que le flanc était trop étroit. Ainsi la leçon définitive, et qui est, je crois, incontestable, est MVGRECE VICO.

MVGRECE est l'ablatif de MVGREX; mais cette dernière. forme, qui a bien pu exister, comme BETOREX, LEMOVIX, n'est qu'une variante de MVGRICVS, comme nous allons être amené à le reconnaître.

Dans la langue des monnaies mérovingiennes, la plus grande indécision règne sur les déclinaisons des noms de lieux. Beaucoup de ces noms s'appliquent indifféremment à deux déclinaisons. Dès les temps anciens, les géographes ne se mettaient pas d'accord sur ce point. Les uns disaient Turones, les autres Turoni; les uns Carnutes, les autres Carnuta. Les divergences sont bien plus grandes au vir siècle; Melun, par exemple, dans les textes, s'écrit Milidunum, Miliduni, Miliduno, et, sur les monnaies, Mecleto, Mecletonis, Mecletone; on trouve Betorex, Lemovix au singulier, Betoregas, Lemovecas au pluriel.

La forme correcte de MVGRECE VICO, décliné sur le type MVGRICVS, serait MVGRICO VICO. Il faut chercher le nom de lieu avec lequel cette forme s'identifie; mais, avant de commencer cette opération, le numismatiste doit un moment faire abstraction de la légende et chercher dans l'examen du

style son premier fil conducteur. Beaucoup de localités éloignées les unes des autres portent les mêmes noms, mais chaque région a son faire particulier, et c'est l'étude du style qui doit d'abord restreindre et délimiter les champs d'observation. Une simple remarque me suffira. La monnaie qui m'occupe présente une croix latine soudée sur une base horizontale. C'est un type dont Troyes est le principal foyer, et qui, venu de l'Est, s'est propagé dans l'Ouest en se détériorant. Cette croix, telle que nous la rencontrons ici, s'est manifestée à Étrelles, sur la limite de l'Aube et de Seine-et-Marne, et sur la ligne de Troyes à Meaux par Calagum; il est donc raisonnable de chercher sur cette voie le lieu désigné par la légende MVGRECE VICO. Or la voie traverse un cours d'eau dont le nom ancien était Mugra, le Morin. Combien ne pourrait-on pas citer de noms de lieux déterminés par le croisement d'une voie romaine avec un cours d'eau? Il était très naturel que le voyageur, quand il dressait des itinéraires, inscrivît les accidents topographiques tels que le passage d'une rivière, comme il indiquait le sommet d'une montagne (summum pyreneum); une écurie de relais, une hôtellerie construite à cet endroit, donnait naissance à un vicus, et c'est au croisement de la voie romaine et du Morin qu'il faut chercher le Mugricus vicus. N'est-ce pas par une raison analogue que la capitale des Bituriges avait d'abord emprunté à la rivière d'Yèvre (Avara) son nom d'Avaricum, et celle des Carnutes, à la rivière d'Eure (Autura) son nom d'Autricum? La forme Mugricus est-elle plus anormale qu'Avaricum ou Autricum?

J'ai maintenant à ma disposition deux méthodes pour trouver le nom moderne de Mugricus, l'une a priori, qui consiste à demander à la philologie ce que ce mot ce que ce mot a pu devenir après un intervalle de douze siècles; l'autre a posteriori, qui consiste à chercher sur la carte comment s'appelle aujourd'hui le lieu où la voie de Troyes à Meaux franchissait le Morin. Les deux

méthodes amènent au même résultat. A priori, Mugricus, qu'on prononçait Mougricous, a dû perdre une de ses gutturales, sinon toutes les deux; que reste-t-il? Mourious. Ouvrons la carte, et nous trouvons Mouroux par un x. Ce x est le résultat de la métathèse de la seconde gutturale, qui a tenu bon; la philologie n'étant pas mon métier, je me contente de constater que Mouroux est la parfaite identification de l'atelier dont la légende est MVGRECE VICO.

ORTEBRIDVRE vico, devenu PRVVINS castrum.

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J'arrive au deuxième et dernier problème que j'aurai l'hon

neur de soumettre aujourd'hui à l'Académie.

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