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le déclare, et si vous ne me la donnez pas ici, j'irai la chercher ailleurs.

Louise, repoussée par Gratien, avait reculé jusque dans l'angle le plus éloigné de l'appartement; affaissée sur elle-même et la figure couverte de ses deux mains, elle ne répondit aux paroles de son mari que par un sanglot étouffé. Madame Amaury sembla d'abord un peu surprise du ton résolu de son fils, mais elle s'empressa d'y applaudir.

A la bonne heure, dit-elle, voilà qui est parler en homme; si tn l'avais fait plutôt et plus souvent, mon garçon, ta femme n'irait pas se promener en ton absence, gaie et pimpante en rubans roses et en robe de soie pour t'accueillir ensuite en larmoyant. Elle garderait sa bonne mine pour toi, ça vaudrait mieux que de la montrer à d'autres.

Gratien rougit jusqu'au front et se leva en frappant du pied.

- Pourquoi l'avez-vous laissée sortir seule, s'écria-t-il avec fureur, je vous l'avais défendu, ma mère! Vous entendez-vous toutes deux pour vous moquer de moi?

-

Est-ce que je peux la garder sous clef? répondit madame Amaury avec un éclat de joie sauvage qui sortit de ses petits yeux gris; elle ne se soucie guère de ce que je lui dis, ma foi! Quand je lui fais des reproches, elle pleure, elle gémit et s'écrie qu'elle voudrait bien ne pas t'avoir épousé; ça ne m'étonne pas, elle en connaît peut-être d'autres qui lui plaisent davantage. Je te dis, Gratien, que si j'avais fait le quart de ce que fait ta femme, ton père m'aurait rudement remise dans le bon chemin, et il aurait eu raison. Il faut qu'un homme soit le maître chez lui!

- Ah! reprit Gratien d'une voix altérée, Louise regrette de m'avoir épousé. Est-ce bien vrai, ma mère, ne me trompez-vous pas? Prenez garde! vous ne savez pas ce que vous me feriez faire.

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Non, non, ce n'est pas vrai ! s'écria Louise au milieu de ses pleurs, ce n'est pas cela que j'ai voulu dire. J'ai dit seulement que i'étais heureuse à Tours et que mon père ne m'aurait pas laissé

maltraiter ainsi. O mon père ! mon pauvre père ! ajouta-t-elle avec une explosion de douleur, aurait-il pu penser que sa Louise serait un jour si malheureuse?

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Et qui est-ce qui te rend malheureuse? qui donc te maltraite? dit brusquement Gratien en se retournant vers sa femme; je ne demande, moi, que la paix et le repos, je travaille pour vous toute la journée, et quand je rentre, je ne peux pas seulement manger ma soupe et dormir tranquille à l'abri de vos querelles. Voyons, une fois pour toutes, finissez-en ou, par le diable, j'envoie promener toute la boutique, et je m'en vais si loin que vous n'entendrez plus parler de moi.

Et ce serait fâcheux pour vous, la belle! ricana madame Amaury; c'est bien joli d'aller montrer vos toilettes par la ville; si on ne trouve pas en rentrant l'argent gagné par le mari, le dîner s'en ressent; l'on ne reste pas longtemps fraîche et coquette, et les galants ne vous regardent plus guère.

- Mais enfin, où a-t-elle été ? s'écria de nouveau Gratien ramené à ses premiers soupçons par l'infernale adresse de sa mère. Ditesle-moi une fois, et si elle a osé!... je l'en ferai repentir.

-Fais-le-lui avouer toi-même, reprit la vieille femme aigrement; c'était ce que je lui demandais tout à l'heure; si ça t'ennuie de m'entendre crier, essaye de la faire parler, tu verras si c'est facile quand elle a quelque chose à cacher.

Gratien bondit vers Louise et la saisit par l'épaule, brusquement, mais sans lui faire mal.

Où as-tu été malgré ma défense? dit-il les dents serrées. Louise leva les yeux en tremblant et fut effrayée de l'expression inaccoutumée qu'elle lisait dans les regards de Gratien.

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Chez notre voisine la lingère, répondit-elle à voix basse, votre mère le sait bien.

Oui, oui, reprit madame Amaury, mais qu'allait-elle y faire? Autrefois elle y voyait celui qui est parti; aujourd'hui elle allait y lire une lettre de lui.

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Louise ne répondit pas immédiatement, peut-être la frayeur l'en empêcha-t-elle; mais Gratien crut que ce silence était un aveu. Il fixa sur le visage de sa femme des yeux flamboyants, et dans le paroxysme de sa colère il leva sur la frêle créature une main dont le poids semblait capable de l'écraser. Pourtant au moment de frapper il s'arrêta, le courage lui manqua pour maltraiter celle qu'il avait tant aimée, celle qu'il aimait encore avec une passion dont sa folle jalousie elle-même était une preuve cruelle; le bras menaçant retomba sans force, et Gratien détourna la tête. Dans ce mouvement ses regards troublés rencontrèrent ceux de sa mère. L'impitoyable vieille souriait avec un ironique dédain de l'hésitation de son fils. Gratien lut dans ses yeux toutes les brutales pensées qui animaient cette âme endurcie où jamais n'avait existé de pitié pour la faiblesse, et qui ne ressentait de respect que pour la force physique. Un nouveau souffle de colère passa sur lui, enflamma son cœur, et sa main frémissante se releva encore. Puis tout à coup, un rauque gémissement lui échappa; il repoussa Louise, courut à l'armoire, l'ouvrit, prit une poignée d'argent qui s'y trouvait, quelques hardes qu'il noua dans un mouchoir, et s'élança hors de la maison pour n'y plus jamais rentrer.

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NOTICES ET COMPTES RENDUS

II.

REVUE DES PUBLICATIONS DES SOCIÉTÉS SAVANTES DE BRETAGNE ET DE VENDÉE..

Mémoires de la Société archéologique et historique des Côtes-duNord. Saint-Brieuc, Prudhomme, in-8°. tome VI, 1re livraison, 1874; – 2e livraison, 1876, 170 pp.

Instituée le 25 juin 1841, la Société archéologique des Côtes-duNord avait déjà publié cinq volumes de mémoires fort importants, lorsqu'elle révisa ses statuts en 1873. Depuis cette époque, elle n'a publié que deux livraisons de mémoires. La première contient :

1o Une importante étude du R. P. bénédictin dom François Plaine, notre collaborateur, sur Jeanne de Penthièvre, duchesse de Bretagne, et Jeanne de Flandre, comtesse de Montfort. Cette étude, qui repose sur des documents contemporains inédits, amène l'auteur à des conclusions qui ne sont pas absolument d'accord avec les opinions acceptées par l'histoire, depuis quatre siècles, à savoir que Jeanne de Flandre est au dessous de la réputation dont elle jouit, tandis que l'épouse de Charles de Blois, plus grande que sa renommée, ne devrait plus être l'objet d'accusations sans preuves et sans fondement. Celle-ci a montré un grand dévouement pour son mari; elle n'a rien négligé pour sauvegarder l'indépendance de la Bretagne et pour écarter l'étranger du royaume de France. Celle-là, au contraire, a trahi sa double patrie de naissance et d'adoption, la France et la Bretagne, et elle a été un fléau pour l'une et pour l'autre.

2o La fin du Glossaire explicatif de quelques radicaux et de quelques formes qui entrent fréquemment en composition dans les noms gaulois et celtiques, par M. Tranois, ancien proviseur de l'Université. Nous y remarquons, en particulier, les formes diverses du radical red, cours d'eau, qui a donné son étymologie aux Redones et

* Voir la livraison d'avril, pp. 300-304.

à Redon, et l'importante explication du Staliocanus Portus, de Ptolémée, que l'auteur place à Coz Yeodet, près de Lannion.

La deuxième livraison contient : 1° L'intéressant compte rendu des fouilles du tumulus du tertre de l'église de Plévenon (Côtes-duNord), par M. Douilet, qui a retrouvé dans les débris recueillis tous les caractères de l'âge du bronze; - 2o la première partie d'un immense travail de statistiqne, entrepris par M. Gaultier du Mottay, le savant explorateur des voies romaines des Côtes-du-Nord; c'est le Répertoire archéologique du département, commune par commune. Cette première partie comprend tout l'arrondissement de Saint-Brieuc. On sait que ces répertoires, dont le programme a été établi par le ministère de l'Instruction publique, et qui sont réclamés avec instance, à chaque réunion des Sociétés savantes à la Sorbonne, n'existent encore que pour les départements du Morbihan, de l'Aube, de l'Oise, du Tarn, de l'Yonne, de la Nièvre et de la Seine-Inférieure. M. Gaultier du Mottay aura eu l'honneur d'élever le huitième de ces monuments, d'une importance capitale pour notre histoire intime; et ceux-là seuls qui ont essayé de dresser ces répertoires pour quelques communes du canton qu'ils habitent, peuvent imaginer quels trésors de patience et de travail il faut accumuler pendant de longues années, pour arriver à constituer une œuvre aussi difficile.

LARVORRE DE KERPENIC.

LES DEUX COUSINES, par M. Lucien Darville. Un vol. in-18, 402 pp. Paris, Bray et Retaux, 82, rue Bonaparte.

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C'est une trop réelle bonne fortune de trouver, à notre époque où tant de gens s'adonnent aux lectures faciles, un livre présentant sous une forme agréable les enseignements les plus sérieux, pour que je ne m'empresse de signaler l'intéressant ouvrage qu'a composé M. Lucien Darville, et qu'il offre au public sous ce titre : Les deux Cousines.

Je ne connais pas l'auteur, mais je le tiens, après l'avoir lu, pour un homme bon, habile à exposer les saines doctrines qu'il met sûrement en pratique: Vir bonus dicendi peritus. Ces mots ont été appliqués, si je ne me trompe, à un magistrat. Eh bien ! M. Lucien Darville me semble, en son œuvre, faire acte de magistrat qui,

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