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En terminant cet insuffisant compte rendu, je citerai moi-même un de ces exemples. L'auteur signale les inconvénients de la diversité des juridictions. Un navire français, l'Iris, fut affrété pendant la guerre de Crimée par l'administration de la Marine; l'armateur fit couvrir les risques de mer par une compagnie d'assurances de Rouen; l'administration le garantit contre les risques de guerre ; il pouvait donc dormir tranquille. Or le navire, étant à l'ancre devant Kamiesch, fut arraché de son mouillage par un ouragan, et poussé sous le feu des forts de Sébastopol, qui le coulèrent à coups de canon. La destruction fut complète. L'armateur réclame aux assureurs la valeur de son navire. La Cour de Rouen jugeant, avec raison, je crois, que la perte était la conséquence d'un fait de guerre, décharge les assureurs. Fort de cet arrêt, l'armateur s'adresse alors à l'Administration; mais celle-ci refuse de s'exécuter, et le Conseil d'État juge que le navire a péri par une fortune de mer. L'armateur a perdu son navire et ses deux procès, et, comme le dit M. de Courcy, il dut être convaincu, par la vertu de deux décisions souveraines, que son navire, qui était coulé au fond de la mer Noire, n'avait péri, ni par une fortune de mer, ni par une fortune de guerre. Vraiment il y a bien quelques modifications à apporter à des institutions qui se combinent de manière à donner de pareilles solutions!

AUGUSTE FOULON.

SARAH OU LA SUIVANTE DE LA MARQUISE, épisode du temps de la Ligue, par M. Robert de Montfournier. Paris, librairie Saint-Joseph,

Tolra, éditeur, rue de Rennes, 112.

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Voici un nom nouveau dans la presse et un essai de nouvelle historique qui promet beaucoup.

Nous disons un essai, parce qu'il y a encore une certaine inexpérience dans la conduite du récit. Le sujet est intéressant et dramatique, on ne peut plus moral (le côté religieux est surtout bien rendu); il ne manque point d'originalité; l'exposition en est heureuse. Il y a là une vue de château moyen âge et des scènes d'intérieur parfaitement comprises, pleines de couleur locale et de grace naïve; il y a là des personnages qui vivent et se meuvent sans artifice. Le livre s'annonce bien dès les premiers chapitres ; mais

après une entrée en matière assez longue, quoique bien conçue, la suite du récit n'est pas proportionnée au début. Les événements se précipitent et ne sont plus assez préparés; on sent je ne sais quelles lacunes. Les choses vont trop vite à notre gré.

Ainsi nous avons eu à peine le temps de nous intéresser au mystérieux et sympathique chevalier messire Tristan de Hautmont, qu'il disparaît dans un guet-apens sans avoir joué la moitié de son rôle, et au moment où nous nous attendons à quelque romanesque épisode à la Walter Scott. Vers la fin du volume, il y a un affreux massacre qui vous laisse froid, parce qu'il est trop imprévu. Vons n'êtes pas inquiet sur leur sort, vous venez de les voir pleins de vie, il n'y a qu'un instant, vous ne les avez pas quittés, pour ainsi dire, et les personnages sont morts; la transition manque entièrement. D'autres invraisemblances tiennent en partie à ce défaut de composition.

Nous ne nous arrêterions pas à des critiques peut-être sévères si nous avions devant nous un de ces auteurs pâles et médiocres qui vous ont donné ce qu'ils peuvent et auxquels vous n'avez pas le droit de demander davantage; mais ce n'est point le cas. L'auteur de cette nouvelle a un talent qui doit réussir et faire mieux. Avec une imagination si bien douée et une plume qui sait peindre si vivement les choses, un premier essai comme Sarah est seulement une promesse. Nous espérons que l'auteur la tiendra et que dans le prochain volume nous trouverons beaucoup plus à louer et beaucoup moins à critiquer.

HIPPOLYTE LE GOUVELLO.

Nous recommandons tout spécialement SAINTE-ANNE D'AURAY. Histoire complète du pèlerinage, par M. l'abbé Max. Nicol, professeur au PetitSéminaire de Sainte-Anne.

C'est un magnifique volume grand in-8°, illustré de vignettes et de planches hors texte, sur papier teinté. Il se vend au profit de l'Euvre de Sainte-Anne, broché, couverture en chromolithographie, franco, 10 fr.; relié, tranches dorées, franco, 15 fr. S'adresser à l'Administration du Pèlerinage, ou à Paris, chez Victor Palmé, à Nantes, chez Mazeau et Libaros.

CHRONIQUE

SOMMAIRE. L'allocution de M. Arthur de la Borderie à la Société des Bibliophiles bretons. Séance annuelle de la Société académique de Nantes. Lettre d'un artiste célèbre. Le diplôme de l'Exposition universelle. Les bureaux de trois de nos Sociétés savantes. M. Le Lasseur de Ranzay, lauréat de Toulouse et de Lille. Une messe en musique à Saint-Nicolas de Nantes. — Inauguration du chemin de fer de Châteaubriant.

-

Dans notre dernière chronique, nous avons brièvement analysé les paroles prononcées par M. Arthur de la Borderie, président de la Société des Bibliophiles bretons, dans l'assemblée générale du 31 octobre. Nous pensons que l'on aimera à connaître le texte même de cette allocution; le voici :

< Messieurs,

» Le 12 juillet dernier, la Société des Bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne résolut de tenir à Savenay, pendant le Congrès de l'Association bretonne, une séance générale, où serait nommé son bureau définitif.

» Cette décision a reçu son exécution le 5 septembre.

» Appelé dans cette circonstance à l'honneur de présider votre Société, le premier besoin que j'éprouve, le premier devoir qui s'impose à moi en prenant possession de la présidence, est de vous témoigner toute ma gratitude pour votre extrême bienveillance.

כן

>> En venant me chercher, moi indigne, hors de la grande cité qui a eu, dans la fondation de notre Société, le mérite de l'initiative et la part principale, vous avez voulu montrer, Messieurs, que vous entendez fonder une œuvre non-seulement nantaise mais bretonne, et appeler à vous le concours de tous ceux qui aiment la Bretagne, ses monuments, son histoire, sa littérature, son honneur dans le présent et dans le passé.

> Votre appel, Messieurs, ne s'est pas perdu dans le vide. Bien des voix y ont fait écho, la liste de ceux qui y répondent s'accroît chaque jour, vous allez en avoir la preuve tout à l'heure. Et cette liste est loin d'être close.

» Dès aujourd'hui, nous pouvons vous l'affirmer, l'œuvre que vous avez voulue est fondée, son avenir grâce à vous - est assuré. Nous pouvons, nous devons même nous occuper de lui tracer un plan, un cadre, qui détermine nettement sa mission.

› Cette mission, c'est de mettre ou remettre en lumière les traits caractéristiques de la Bretagne dans son existence intellectuelle, ses gloires, ses curiosités historiques et littéraires, dont beaucoup sont oubliées ou tout à fait inconnues, enfouies dans la poudre des bibliothèques et des archives. C'est de relever et de maintenir dans notre province les grandes et saines traditions de l'art intellectuel par excellence, véhicule incomparable de la pensée, de la science et de la poésie, l'art typographique.

» Voyez les provinces qui nous entourent, le Poitou, la Normandie, la Guienne. Elles ont toutes leurs sociétés de Bibliophiles, leurs sociétés d'histoire provinciale, qui réimpriment leurs anciens auteurs, leurs vieux et curieux poètes devenus introuvables, ou qui publient leurs cartulaires et leurs chroniques inédites. En Bretagne, jusqu'à présent, rien de semblable.

>> Et pourtant nous avons eu jadis d'admirables bibliophiles, en tête desquels se place dès le XVIe siècle l'illustre d'Argentré, grand jurisconsulte, grand historien, qui trouva, pour sa bibliothèque, cette devise de l'art typographique, admirable de concision et de justesse : AAMIIEITE KAIEITE. Il éclaire et il brûle !

» Dans la publication des documents historiques inédits, nous avions pris, nous Bretons, au dernier siècle, une avance considérable sur tous nos voisins par la double et savante Histoire de Bretagne de nos Bénédictins.

» Rappelons-nous ces exemples, suivons ces nobles traces et pour regagner le temps perdu travaillons: Laboremus!

› Marchons en avant, Messieurs, unis dans l'amour supérieur des sciences et des lettres, glorieuses nourrices de l'humanité; unis aussi dans un autre amour, celui de la patrie, de la patrie bretonne et française ! Et quand nous en serons à choisir notre devise, n'en prenons point d'autre que celle de ce vieux héros breton du IXe siècle, qui, luttant intrépidement, bien que sans espoir, contre l'oppresseur étranger, criait : « Quoi qu'il arrive, pour la défense du pays, pour l'honneur de la patrie, >> je combattrai jusqu'au bout!

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« Pro patriæ laude proque salute soli ! »

Le dimanche 25 novembre, la Société académique de Nantes a tenu sa séance annuelle dans la salle du Cercle des Beaux-Arts, sous la prési

dence de M. C. Merland, qui a prononcé sur le travail un discours aussi bien pensé que bien écrit. « Si Dieu, a-t-il dit en débutant, a imposé le travail à l'homme en expiation de sa première faute, ce châtiment, pour ceux qui ont su l'accepter, est devenu la plus douce des récompenses. Nous n'avons, par malheur, pas assez d'espace pour analyser cette remar quable étude, mais il est un passage que nous tenons à reproduire.

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« Je laisse la parole, a dit M. Merland, à un jeune homme de vingt ans, qui n'avait encore reçu que l'enseignement de l'école primaire, lorsque, de l'école de peinture de Rome, dont il était l'élève le plus distingué, il donnait à son jeune frère de si bons conseils dans la lettre tout intime qu'il écrivait à son père, honnête artisan de la Vendée....

-... Nous vivons pour être heureux, en définitive; il faut donc que la raison choisisse les droits chemins. Pour moi, c'est une conviction, l'homme le plus heureux sur terre, c'est celui qui a le cœur pur, l'esprit cultivé, une bonne tête et des bras pour gagner sa vie. L'on ne dépend plus de personne, lorsque tout le monde a besoin de vous. Ainsi est l'ouvrier. Qu'importe les révolutions et les bouleversements; il faut toujours des maisons, des souliers, des chapeaux, etc.; et l'on se passe fort bien de tableaux. Je veux donc qu'Ambroise apprenne un état manuel, je veux qu'il soit menuisier; c'est un état intéressant; on dessine tous les jours, un ouvrier intelligent a, avec le rabot, toutes les routes ouvertes vers l'art. Avec cette profession, on vit partout, et, dût-on la laisser pour devenir artiste, on a toujours cette ressource et la vie assurée.

>> Si vous habitiez une grande ville, et qu'il y eût à choisir dans les métiers, peut-être aurais-je donné la préférence à la ciselure. Mais vous êtes à Napoléon, et le seul état qui me convienne pour Ambroise, c'est celui de menuisier ébéniste. Je voudrais aussi ne commencer que lorsque Ambroise aura quinze ou seize ans; deux ans, c'est assez pour apprendre un métier, et alors, sûr de lui-même, de ses ressources, de sa vie, je l'emmène à Paris, à mon retour; là nous serons ensemble, et je réponds du reste. Qu'Ambroise continue donc jusqu'à cette époque ses études; qu'il laisse de côté l'architecture, qu'il ne peut comprendre, et qu'il dessine, comme je le faisais. Mais voilà l'objection à laquelle vous vous arrêterez peut-être, et comme elle m'est venue souvent à la pensée, je ne veux pas manquer de vous en parler: faut-il le faire aller au collège jusqu'à seize ans? N'est-ce pas en faire une espèce de Monsieur, un demi-bourgeois manqué; lui donner des espérances et de sottes ambitions pour le faire descendre plus tard à l'atelier de menuisier, lui donner le rabot, qu'il prendra à contre-cœur, avec mépris peut-être, en se souvenant d'un tel qui est à Saint-Cyr, ou d'un autre qui est devenu bachelier, étudiant, etc.? Oui, c'est là l'écueil; mais pour un imbécile ! Je connais assez mon

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