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POÉSIE

LE MOULIN

TABLEAU DE HOBBEMA

C'est un frais paysage, une agreste nature,
Un ciel d'azur ouaté de grands nuages blancs,
Un moulin qui claquette au bord des flots tremblants,
Où des chênes noueux reflètent leur verdure.

Le moulin est coiffé d'une haute toiture,

Il est vieux et moussu; des saules vacillants

Le dominent; là-bas, quelques chaumes branlants Pour ombre ont des noyers, des buissons pour clôture.

Sérénité qui monte à l'âme par les yeux;
Souveraine beauté de la terre et des cieux,
L'artiste de te peindre à peine se croit digne.

Or, devant ce spectacle ineffable et charmant,
Un homme, en plein soleil, l'œil fixé sur sa ligne,
Se tient debout et pêche imperturbablement.

LES POMMIERS SONT FLEURIS

A ma petite-fille Lili.

Les pommiers sont fleuris; admire leur couronne,
Qui s'épanouit rose entre les bourgeons verts;
On dirait, à les voir de tant de fleurs couverts,
Un radieux amas d'étoiles qui fleuronne.

Ils sont purs comme toi, frais comme toi, mignonne.
Ils n'ont d'autre souci que d'embaumer les airs,
Et sèmeront demain leur parure aux déserts,
Heureux d'avoir brillé quand le printemps rayonne.

Mais ils gardent un germe heureux et bienfaisant. Ils produiront leurs fruits; ils t'en feront présent, Et leur douce âpreté rafraîchira ta bouche.

Sois comme eux, sème au vent ce que le vent détruit.
Enfant, à ce qui plaît préfère ce qui touche :
La beauté, c'est la fleur; la bonté, c'est le fruit.

PROSPER BLANCHEMAIN.

SAINT PAULIN DE NOLE

HISTOIRE DE SAINT PAULIN DE NOLE, par M. l'abbé Lagrange, vicairegénéral d'Orléans. - Un vol. in-8o de xxш-706 pp. sielgue-Rusand, rue Cassette, 27.

Paris, Pous

Saint Paulin de Nole fut un des saints les plus illustres du IV siècle, c'est-à-dire du siècle de saint Ambroise, de saint Augustin et de saint Jérôme. Sans être leur égal comme docteur, il fut leur ami et partagea leur célébrité. Sa solitude de Nole, peu éloignée de Rome et voisine de la Méditerranée, ce grand chemin des trois continents de l'ancien monde, devint même comme une étape obligée pour ceux qui allaient de la ville des Papes vers saint Augustin à Hippone, ou vers saint Jérôme à sa grotte de Bethleem. Saint Augustin avait saint Paulin en telle estime qu'il n'hésitait pas à abaisser sa science devant lui et à lui demander parfois des lumières ou des conseils. Lui soumettant un jour une question morale: << S'il te vient à la pensée, lui disait-il, quelque chose de clair sur ce point, fais-le-moi connaître, je t'en conjure, ou bien confères-en avec quelque doux médecin du cœur, mansueto cordis medico, soit chez toi, soit à Rome, lors de ton voyage annuel. » Ce que cherchait et ce que trouvait ce grand génie dans Paulin, c'était donc un doux médecin du cœur; nulle expression ne peut mieux rendre, en effet, le don de Dieu qu'avait reçu le solitaire de Nole.

Paulin, au milieu d'une pure et sereine lumière, nous dit M. l'abbé Lagrange, avec un visage radieux, exhalant un parfum exquis, tenant un rayon de miel à la main, et invitant au ciel par de douces paroles, voilà bien la vraie image de ce saint et comment il faut le contempler. Ainsi l'ont vu les contemporains, ainsi la postérité le vénère. C'est cette apparition que nous aurions voulu fixer dans ce livre. »

Et Mgr Dupanloup ajoute: « Oui, c'est bien là le saint que j'ai toujours aimé et dont j'ai demandé si souvent qu'on fit la vie... il y a, dans le quatrième siècle, des figures plus grandes, il n'y en a point de plus sympathiques. >>

Saint Jérôme, dont les qualités étaient si différentes de celles de Paulin, saint Jérôme, médecin, lui aussi, mais rude médecin des intelligences, n'admirait et n'aimait pas moins ce prêtre si doux et cependant d'une foi si ardente, disait-il, qui avait immolé à Dieu ses richesses et s'était immolé lui-même, cet homme savant et également versé dans la science des saintes lettres et des lettres humaines. — « Vous m'effrayez seulement par votre éloquence, lui écrivait-il ; votre style épistolaire rappelle presque celui de Cicéron. » Et le vieux lion de la polémique, comme l'appelle si justement M. Lagrange, poursuivait gaiement : « Si mes lettres sont courtes à votre avis, et d'un style trop négligé, ce n'est pas que je me néglige, mais c'est que je vous crains et que j'appréhende de les faire plus mal encore en les faisant plus longues. >

Saint Jérôme plaisantait, car ces grands esprits, si profondément empreints des tristesses de leur temps, n'étaient point ennemis cependant d'une douce gaieté. La vérité est que le style négligé de saint Jérôme, ce style si peu cherché, mais si vrai et si fier, est encore le plus beau souvenir qui nous reste des derniers jours de l'éloquence romaine. Il y a plus d'étude, plus de recherche dans le style de saint Paulin; on sent qu'il a fréquenté le Parnasse, qu'il en a même été une des gloires. Mais s'il se distingue par la correction, il se distingue plus encore par l'accent du cœur, par cette poésie de l'âme, dit très-bien son biographe, qui l'anime de sa constante inspiration. Diffus quelquefois, souvent aussi il peint d'un mot. Ausone, son vieux maître, l'accuse-t-il de l'oublier? — « L'âme, lui répond-il, ne peut pas plus oublier qu'elle ne peut mourir, perennè vivax et memor. » — Avec quelle vérité ne peint-il pas l'impuissance des philosophes cherchant Dieu sans Dieu, Deum quærentes sine Deo, à peu près comme celui qui voudrait se conduire dans les ténèbres sans lumière, chercher la vie sans recourir à celui qui est la vie. Hic (Christus) veritatis lumen est vitæ vita.

L'ouvrage de M. l'abbé Lagrange abonde en traits de ce genre heureusement choisis et qui jettent un grand charme sur tout le livre. Nul livre cependant n'est plus sérieux; nul, au témoignage de Mgr Dupanloup, ne saurait offrir une critique plus sévère, mais ce labeur de l'érudit, qui scrute, approfondit, disparaît le plus souvent dans ce qu'il a de pénible, sous le charme des pensées et du style, qui sont sans cesse les pensées et le style de Paulin.

Paulin appartenait à une de ces familles romaines qui transportaient et faisaient pénétrer dans les pays conquis la langue, les traditions et le luxe de Rome. Saint Jérôme nous les représente comme établissant une lutte insensée entre leurs prodigalités et leurs richesses, sans pouvoir vaincre celles-ci par celles-là.

La famille de saint Paulin était à la fois sénatoriale et consulaire et son père avait été préfet des Gaules; ses possessions dans la seule Aquitaine, où il naquit, étaient traitées de royaumes par Ausone, et il avait des possessions un peu partout: à Fondi, dans le Latium; à Nole, dans la Campanie, peut-être même en Espagne. L'union de Paulin avec une jeune Espagnole ajouta à cette immense fortune de nouveaux et riches établissements sur plusieurs points de la péninsule ibérique à Barcino (Barcelone), à Complutum (Alcala), etc. Paulin était donc un des heureux de ce monde. Son mariage surtout fit plus que l'enrichir ; il lui donna une compagne qui fut mieux qu'une amie et qu'il a chantée vingt fois comme son guide, sa protectrice auprès de Dieu, comme rachetant par sa fidélité la fidélité longtemps différée de son époux, dilatam salutem.

Tous ces détails de ce qu'on appelle le bonheur offrent, sous la plume de l'historien, un vif intérêt. Ce qui n'en offre pas moins, ce sont les succès de Paulin dans les lettres et dans les hautes charges. Il obtient la palme ornée de bandelettes dans les concours de poésie; il est successivement gouverneur de l'Albanie, préfet de Rome et enfin consul. Ausone l'appelle la colonne du sénat et l'honneur de la patrie. Et ce sénat était le sénat de Rome; cette patrie était Rome, qui, toute déchue qu'elle pût être, conservait encore son prestige. Voir Rome ou avoir vu Rome était toujours le grand vœu ou le grand souvenir de tout ce qui vivait par l'intelli

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