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fut toujours de leur appartenir. C'est ainsi que nous lisons dans le procès-verbal des États de Vannes, en 1451 Le lundy, 24 may, pour ce que c'estoit jour fériel de la feste S. Donacien et S. Rogacien, qui furent extraicts de la maison de Bretagne, le duc (Pierre II) ne comparut point au parlement. »

Notre poète leur donne pour père le gouverneur de Nantes, et la scène s'ouvre sous le péristyle de son palais. Donatien et Rogatien, levés avant l'aurore, jouissent avec bonheur des charmes d'une belle matinée et des effets du jour naissant sur les verdoyants coleaux et les riants paysages que domine au loin la cité des Nannètes. La tendre amitié des deux jeunes gens, leurs sentiments élevés et leur ardeur virile, captivent tout d'abord. Rogatien ne sent vibrer son âme qu'au bruit des combats et à la pensée de la gloire, si ce n'est toutefois, lui dit doucement son frère,

A l'accent mesuré

Qui dirige les pas des danseurs, quand la fête
Vient d'un bandeau fleuri couvrir ta jeune tête.

Donatien, lui aussi, n'est pas sans rêver de périlleux combats, mais il cherche avant tout la vérité pour être son champion, et le paganisme ne lui offre trop évidemment que des fables. Ces dieux de pierre, dit-il,

Dont jamais la paupière

N'enfante un seul regard, les crois-tu de vrais dieux?

ROGATIEN.

Et toi, ne crois-tu pas ce qu'ont cru nos aïeux?

Et le dialogue se poursuit vif, animé, tendre toujours, mais offrant un perpétuel contraste.

Une scène touchante, entre Donatien et Similien, le vieil évêque, révèle toute la sereine beauté de ces deux âmes: l'une éprouvée moins encore par l'âge que par les labeurs de la foi, l'autre aspirant après ces labeurs; puis on entend un chœur de jeunes païens

chantant au loin la vie et la mort, comme les chantaient les buveurs de Falerne, au temps d'Horace :

Vive Bacchus et sa folie!

Vivent le myrte et les beaux jours!

Buvons le vin jusqu'à la lie!
Buvons, rions, chantons toujours!

Aujourd'hui les fêtes,

Les fleurs sur nos têtes,
L'amour qui sourit !
Demain les ténèbres,
Les cercueils funèbres,

Où le corps périt.

Mais au même instant, d'autres voix, des voix enfantines, font entendre, d'un lieu opposé, des accents bien différents :

Seigneur, nous avons les mains pures,
Notre cœur est tourné vers toi;
Garde-nous de toutes souillures
Et conserve-nous dans ta foi.
C'est à toi, comme à notre père,
Que nous adressons tous nos vœux,
En toi toujours notre âme espère,
Seigneur, jette sur nous les yeux.

C'est mieux qu'une fraîche et facile poésie, où l'on ne sent, à coup sûr, ni le marteau ni la lime, c'est tout un raisonnement, toute une scène, et Donatien en tire, en deux mots, la conclusion: D'un côté, dit-il,

D'un côté, le plaisir, de l'autre, la vertu.

O mon âme, que choisis-tu ?

Au second acte, nous nous trouvons dans une grotte souterraine, la catacombe nantaise. Similien y préside une réunion de fidèles, tous prêts pour le martyre. Seigneur, dit l'évêque,

Frappe-moi, mais pardonne à mon peuple innocent!

- Epargne le pasteur (s'écrient les fidèles)
C'est à nous de mourir !

Et un enfant ajoute :

Les païens ont tué mes frères et ma mère,
Fais que je sois, Jésus, digne d'eux, et j'espère
Qu'avant d'aller aux cieux rejoindre ces héros,

Je répandrai ta grâce aux cœurs de mes bourreaux.

Mais tout à coup les voix se taisent; on a aperçu un idolâtre se glissant, comme Eudore, dans la nuit des tombeaux. Cet idolâtre, c'est Donatien. Similien le reconnaît et rassure les fidèles.

Je connais cet enfant, c'est un doux néophyte.

De la part de Jésus, Donatien demande le baptême, et Similien lui répond ces simples mots, qui disent tout: Mon fils, je l'attendais. »

Le troisième acte est surtout remarquable par une scène des plus dramatiques entre le gouverneur et ses deux fils. Les premiers mots du vieux païen indiquent, d'un trait, ce que va être la scène :

Te voilà donc, enfin, vil esclave d'un prêtre!

Donatien a beau se montrer respectueux et affectueux, son père ne s'irrite que plus de le voir enrôlé dans un troupeau d'esclaves conspirant dans des antres impurs. Mon cœur, lui dit Dona

tien,

Mon cœur, que la grâce encourage,

Depuis qu'il est chrétien, vous aime davantage.

LE GOUVERNEUR.

Chrétien! il est chrétien !... et lui-même le dit...
Tu veux donc, par ton père, être aujourd'hui maudit?

Et s'adressant à Rogatien :

C'est assez, c'en est trop! laisse-le, Rogatien;

Viens, il n'est plus ton frère et tu n'es plus le sien.

D'un bout à l'autre de cette longue scène, les caractères des différents personnages sont admirablement soutenus. Chez le gouverneur, les préjugés et surtout l'orgueil; chez Donatien, une douceur qui n'enlève rien à la fermeté; chez Rogatien, une ten

dresse de cœur que la vérité n'éclaire pas encore, mais que soutient la charité. Le rôle de Rogatien était des plus difficiles, et il est des plus heureusement réussis.

Après une pareille scène, je me demandais ce que l'auteur ferait désormais du vieux païen qui reniait son fils. En faire un Brutus, c'eût été ajouter par trop à l'histoire et dépasser le but; le faire se convertir, c'eût été faire un martyr de plus. L'auteur, ne se tenant pas pour astreint à l'unité de temps, le fait languir et mourir de douleur, avant l'arrivée du terrible Rictius Varus, le bourreau des chrétiens, et, par suite, avant le commencement de la persécution. Si les vieilles règles de l'art s'en trouvent offensées, la vraisemblance, du moins, et la convenance, sont respectées; c'est beaucoup.

Je voudrais citer maintenant plusieurs autres scènes, mais l'espace me manque. L'attention d'ailleurs est éveillée et chacun voudra lire l'ouvrage. Un mot seulement sur la fin. Le dénouement d'une tragédie ne peut être que tragique, et, par cela même, il est souvent difficile de le mettre en action sur le théâtre. Une scène de martyre ne se supporterait pas. Je m'attendais donc à un récit plus ou moins académique, comme celui de Théramène, mais mon attente a été très-heureusement trompée.

Donatien et Rogatien viennent d'être condamnés par le proconsul Rictius Varus. Entraînez-les, dit le prêtre des idoles,

De nos dieux irrités...

Leur mort vengera la mémoire

Quelques instants se passent, pendant lesquels prêtres et flamines s'applaudissent de leur victoire, qui du culte des Romains va sauver le symbole. « Allez, disent-ils,

Allez donc, maintenant, jeunes fous, fanatiques,

Voir la réalité de vos songes mystiques;

Allez voir si vos cœurs, stupidement soumis,

Connaîtront ce bonheur qui vous fut tant promis.

Tout à coup, le fond du théâtre s'ouvre, et les deux martyrs apparaissent dans une vive lumière, portés au ciel par les anges,

tandis que des voix d'enfants font entendre, dans le lointain, un chant qui se termine ainsi :

O martyrs, ô nos frères

Vénérés de nos pères,

Vous que Jésus couronne en son éternité,

A notre jeunesse

Obtenez la sagesse,

Et des enfants de Dieu l'indomptable fierté.

C'est simple, c'est beau, c'est vrai, et le spectateur se retire sous le coup des impressions les plus douces.

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

Nous lisons dans la dernière livraison de la Bibliothèque de l'École des Chartes, revue d'érudition consacrée spécialement à l'étude du moyen âge:

SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS ET DE L'HISTOIRE DE BRETAGNE.

« Nous avons à annoncer la fondation d'une Société qui semble appelée à rendre de véritables services aux études bretonnes; elle s'appelle Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne. Les publications qu'elle promet auront le double avantage de satisfaire la curiosité des amateurs les plus délicats et de faire connaître au public de précieux textes, rares ou inédits.

» Les débuts de la Société méritent d'être particulièrement recommandés à l'attention de nos lecteurs. L'élégant volume qu'elle vient de faire paraître a pour titre : OEuvres françaises d'Olivier Maillard, sermons et poésies publiées d'après les manuscrits et les éditions originales, avec introduction, notes et notices, par Arthur de la Borderie (Nantes, 1877); in-40, ou in-8° de xxj et 190 pages. Les morceaux qu'il contient ont été choisis avec discrétion et commentés avec autant de finesse que de science. On y remarque des pages fort intéressantes pour l'histoire de la prédication à la fin du XVe siècle, et une étude bibliographique à laquelle il sera difficile de rien ajouter. »

LES PETITES ÉCOLES EN BRETAGNE.

M. l'abbé Piéderrière, qui nous a communiqué des renseignements si intéressants sur les petites écoles en Bretagne, a été averti trop tard des recherches faites précédemment dans le diocèse de Nantes par M. Léon Maître, archiviste du département. Nous nous empressons de réparer l'omission et de rappeler à nos lecteurs que la Revue est une des premières qui ait attiré l'attention du public sur l'importante question de l'instruction primaire avant 1789. (Voir le tome V de la 4a série, année 1874.)--(Note de la Rédaction.)

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