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De ce fatras il me semble certain de conclure que le poète avait été élevé par son oncle, que c'était à cet oncle qu'il devait son canonicat de Saint-Brieuc, qui lui donnait sa place à la table qualifiée solitaire du bon abbé de Lanvaux. Ce protectorat des grandsoncles abbés pour les neveux ecclésiastiques se retrouvait partout, depuis le Souverain-Pontife jusqu'au recteur de campagne, et c'était un sentiment si naturel que personne n'y trouvait à redire. Je croyais donc que c'était sans réalité absolue que la Biographie bretonne recueillait un on dit qui attribuait le canonicat de François Auffray à la dédicace qu'il aurait faite au cardinal de Bonsy - (et non de Bouzas, comme l'imprime le prote de la Biographie bretonne), — évêque de Béziers et grand aumônier de la reine, de la tragi-comédie morale publiée à Paris en 1615. Que le grand aumônier se montrât favorable au neveu de messire Jean Auffray, l'aumônier ordinaire de la reine, cela se comprendrait à merveille; mais il est évident, par la dédicace même de notre second livre, que François Auffray ne se réclamait que du patronage direct de son oncle, et même, sans aucun doute, pour son titre diocésain de recteur de Pluduno.

Or, tout cela devient une certitude par le sommaire du registre capitulaire de Saint-Brieuc, seul reste des archives anciennes de ce chapitre, que mon excellent ami, M. du Mottay, a bien voulu copier pour moi. On y lit, à la date du 4 septembre 1617 : « Réception de messire François Auffray dans le canonicat de messire Jean Auffray, sieur des Malletz, son oncle, lequel a fait la profession de foi, prêté le serment et a promis, pour le devoir, au lieu de 12 écus, donner une chapelle valant 40 escus... Jean Auffray garda les fonctions de trésorier au moins jusqu'en 1622. François Auffray paraît avoir eu cette charge en 1626, après messire Jean Tredies, qui succéda à l'abbé de Lanvaux. C'est donc bien certainement par suite de la résignation de son oncle en sa faveur que François Auffray entra, en 1617, au chapitre de Saint-Brieuc.

Brunet émet un doute sur l'identité de l'auteur du drame et de l'auteur des cantiques. Tous deux s'appellent bien du même nom,

François Auffray; mais le chanoine marque: Auffray Pluduno, et l'auteur de la pièce: Auffray, gentilhomme breton. Voici, du reste, le titre exact de la très-rare pastorale, dont la bibliothèque de Nantes, si soigneusement enrichie par feu M. Péhant de curiosités bretonnes, possède un exemplaire provenant du fonds Lajariette : Zoanthropie, ou vie de l'homme, tragi-comédie morale, embellie de feintes appropriées au sujet. A la France. Ensemble quelques autres pièces de poésie diverse. Le tout composé par François Auffray, gentilhomme breton. - Paris, chez David Gilles, 1615, petit in-8°, 170 pp. et 1 feuillet. Le supplément de M. de Soleine indique une autre édition de la même pièce, avec ce titre moins pédantesque : Tragi-comédie morale de la vie de l'homme. Paris, David Gilles, et Rouen, Manassès de Préault, 1615, petit in-12.

Le doute émis par Brunet n'est pas fondé. Il est très-certain que le François Auffray, gentilhomme breton de 1615, est le même que François Auffray Pluduno, chanoine de Saint-Brieuc, de 1625. Seulement il est non moins clair que la tragi-comédie est l'œuvre et la première œuvre d'un tout jeune homme, et les cantiques l'œuvre d'un homme mûr et d'un prêtre. La dédicace de la Zoanthropie au cardinal de Bonsy n'a rien d'ecclésiastique, aucune allusion qui indique même qu'Auffray fût déjà dans les ordres. En revanche, parmi les vers adressés à quelques messieurs de l'assistance, le jour même de la représentation, car la pièce fut représentée à Paris, dans une salle quelconque, un théâtre, qui n'est désigné que par ces

vers:

Quelqu'un nous jugera téméraires, mal sages,

De prophaner ces lieux aux Muses consacrés ;

parmi ces vers; dis-je, après des sonnets à Ma l'abbé de Marmoutier, M. d'Amboise, Mme de Mortemar et plusieurs autres personnages, il y un sonnet « à Monsieur et oncle Monsieur des Malletz, conseiller et aumosnier de la Reine, thrésorier et chanoine de la cathédrale de Saint-Brieuc. >>

A la page 15 se suivent onze pièces de vers latins et français,

adressés à l'auteur. La première, qui est un sonnet plus mauvais, hélas! que ceux d'Auffray lui-même, est signée de Guil. Lucas. Guillaume Lucas, comme nous le verrons plus loin, devint, en 1617, chanoine théologal de Saint-Brieuc, et plus tard, en 1648, recteur de Plérin, et il composa pour les offices de saint Brieuc et de saint Guillaume, imprimés en 1621, des hymnes qui, grâce à Dieu, valent mieux que son sonnet de 1615. La seconde et la troisième pièce, l'une latine, l'autre française, sont de Th. Bertho, qui se déclare le condisciple et le très-cher ami d'Auffray. - Les Bertho étaient de la paroisse de Saint-Martin de Lamballe. Th. Bertho avait-il été le condisciple d'Auffray, au collége même de SaintBrieuc ? La quatrième, en latin, porte la signature de René de Lanjamet; les Lanjamet étaient aussi du ressort de Saint-Brieuc. La cinquième, également latine, est signée de J. Pommeré, cousin de l'auteur et Briochin. Les trois suivantes sont de J. Le Sueur; la neuvième de J. Obry, d'Amiens, et les deux dernières de Lud. Hinault, et d'un Ville-Geosse encore deux noms briochins.

Il est difficile d'imaginer quelque chose de plus profondément ennuyeux que ce long drame sans action aucune, écrit du style le plus obscur et le plus lourd. La liste des personnages en peut donner à elle seule une idée : Alethie (la Vérité), Philothée (l'Amour divin), Eusébie (la Piété), Pseude (la fausse Religion), Aidie (la Vie éternelle), Cupidon (l'Amour mondain), Anthrope (l'Homme), Phronime (l'Intelligence secrète de l'homme?), Andrie (la Virilité, son confident?), Idoneon (Suavité prise pour les sens), Asthenée (l'Infirmité, vieux sorcier), Physis (la Nature), Zoe (la Vie humaine), comène (le Monde), Hamarthie (le Péché), Thanate (la Mort), Megère (la Furie). Ce que ces pseudo-Grecs débitent de vers absolument incompréhensibles est effrayant, et il ne m'est pas toujours donné de dire dans quelle langue ils radotent. Il y a parfois de tout petits vers et même des refrains qui devaient probablement être chantés, et qui font bien penser au mot de Beaumarchais : « Ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.» A ce compte, il faudrait tout chanter. Je cite ces vers, qui sont des moins mauvais du petit volume.

Cupidon, l'amour sensuel, guette Anthrope, l'homme, pour le percer d'un de ses traits, quand il est accosté par Philothée, l'amour divin. Cupidon, qui a son bandeau sur les yeux,, ne reconnaît pas Philothée, et se vante d'être compté « entre les dieux suprêmes. >> Non, répond Philothée,

Non, non, une bonté divine

Ne sçauroit estre si mutine,
Tu n'entras jamais dans les cieux,
Petit menteur malicieux !

CUPIDON.

Viens-tu me faire une alguarade?
J'ay pris le ciel par escalade :
Voicy le butin glorieux

Que j'ay conquis dessus les Dieux.
Ce brandon réserve le foudre
Dont Jupin mettoit tout en poudre;
Cet arc estoit au Cynthien,
Qu'il me délivra comme mien;
J'eus les ailes et la chaussure
De leur isnel voleur, Mercure;
Mars me laissa son hallecret :
Et pour ce, Neptune discret,
M'offrit son trident vénérable,
Et Bachus son thyrse amiable.
Hé donc se faut-il étonner
Si je puis brusler et tonner,
Navrer, courre, livrer alarmes,
Puisque je tiens des Dieux les armes?

Or çà, Cupidon!

PHILOTHÉE.

CUPIDON.

Parle, j'oy.

PHILOTHÉE.

Veux-tu parier avec moy

Que beaucoup mieux que toy je tire?

CUPIDON.

Autre chose est faire que dire.
Tu me demanderois pardon,
Comme fist Pan à Apollon,
Qui de sa fluste babillarde
Provoqua sa lyre mignarde.
Si tu me vainquois en ce lieu,
Je ne voudrois plus estre Dieu!

PHILOTHÉE, à part.

Aussi n'es-tu. (Haut.) Voi, je propose Cette lyre que je dépose,

Contre ton brandon plein de feux.

CUPIDON.

Cela vault faict, ça je le veux;
Commence donc et te dépesche.

PHILOTHÉE.

Donne-moy ton arc et ta flesche,
Il ne restera qu'un subject
Qui soit le but de notre object.

CUPIDON, montrant Anthrope.

Tiens! vise, tire en la poitrine
De ce dormeur.

PHILOTHÉE, se manifestant, dit:

Race maligne!

Peste d'enfer, petit bastard,
Je te larderay de ce dard!
Recognois le grand Philothée.
Ta force est ore supplantée;
Si tu branles, c'est faict de toy!

CUPIDON, à genoux.

O saint amour, pardonne-moy:
Qu'il ne te presne point envie
D'abreger le cours de ma vie !

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