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fait paraître, tous les élus de nos conseils municipaux sussent parfaitement lire et écrire ? Le doute est permis.

Concours du pouvoir temporel.

Donnons d'abord quelques textes par rang de date.

L'édit de Henri IV, de l'an 1606, portait : « Les régents, les précepteurs ou maîtres d'école des petites villes, des villages, seront approuvés par les curés des paroisses ou personnes ecclésiastiques qui ont droit d'y nommer ; et où il y aurait plainte des dits maîtres d'école, régents ou précepteurs, y sera pourvu par les archevêques et évêques, chacun en son diocèse. » (Citation des statuts de Vannes de 1693.)

Louis XIII, en 1641, adressait des lettres à l'évêque de Poitiers, dans lesquelles il disait : « Les petites écoles des garçons seront tenues par des hommes, et les écoles des filles par des femmes ou des filles, et aucune ne sera tenue sans la permission de l'évêque. (Ibid.)

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Des lettres de Louis XIV, de 1667, renouvellent les prescriptions précédentes, et y ajoutent: « Les garçons et les filles ne pourront être en une même école. » (Ibid.)

Potier de la Germondaye, dans son Introduction au gouvernement des paroisses de la province de Bretagne (édition de 1777), traite la question des petites écoles paroissiales au point de vue de la loi civile. Nous allons le suivre, au moins en partie.

10 Établissement des écoles dans les paroisses. « Ces écoles, dit Potier, font une partie importante de l'éducation de la jeunesse : elles ont, dans tous les temps, mérité la protection de nos rois. > Ce ton un peu solennel semble dire qu'on va remonter un peu loin dans le passé, et l'auteur ne remonte qu'à Louis XIV.

L'article 9 de la Déclaration du roi, du 13 décembre 1698, dispose qu'on établira, autant qu'il sera possible, des maîtres et maîtresses d'école dans toutes les paroisses où il n'y en a point, pour instruire les enfants, les conduire à la messe tous les jours

ouvriers, leur donner l'instruction dont ils auront besoin sur ce sujet, et avoir soin, pendant le temps qu'ils iront aux écoles, qu'ils assistent à tous les services divins les dimanches et fêtes, comme aussi pour apprendre à lire et à écrire à ceux qui pourraient en avoir besoin. >

2o Habitants tenus de pourvoir à la subsistance des maîtres et maîtresses d'école. Le même article 9 disposait également que, dans les lieux où il n'y aurait point de fonds destinés à l'entretien des maîtres et maîtresses, on pourrait imposer sur tous les habitants une somme de 150 livres pour les maîtres et de 100 livres pour les maîtresses.

Cette clause qui, comme les autres, regardait toute la France, ne fut point admise en Bretagne. « Notre province, dit Potier, ne fut point asservie à cette charge. » Le Parlement ne l'avait point voulu. Par là même, les petites écoles officielles se trouvaient frappées dans leur base et dans les conditions les plus essentielles à leur existence. On les forçait à mourir avant de naître.

30 Écoles de charité. La charge des petites écoles paroissiales ne pouvant s'appuyer sur le budget commun, continua à retomber en entier sur le clergé, qui comme par le passé resta maître d'école. On eut l'instruction gratuite et cléricale. Les textes des statuts synodaux que nous avons vus l'ont suffisamment prouvé.

Nous avons parlé du zèle des pieuses filles des tiers-ordres pour l'instruction des enfants dans les villages.

Dans certaines localités, on comprenait les paroles de M. Le Nobletz: «N'épargnez aucune dépense quand il s'agit de l'éducation de vos enfants », et on organisait une école commune 1.

Enfin, des personnes pieuses et riches firent des fondations qui recurent le nom d'écoles de charité. L'état leur donna sa protection, en ce sens qu'il exemptait leurs actes des droits d'enregistrement.

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40 Nomination des maîtres et maîtresses d'école. - << La nomination des maîtres et maîtresses d'école des fondations particulières

↑ Ainsi à la Trinité-Porhoët, au XVII siècle, la ville donnait douze écus, chaque année, au prêtre chargé de l'école des garçons. (Archives de la fabrique.)

de charité appartient aux fondateurs et à leurs héritiers, ou à ceux auxquels elle a été déférée par l'acte de fondation. En tous cas, ces nominations doivent être approuvées par les curés des paroisses, et les maîtres et maîtresses sont soumis à l'inspection des évêques et des archidiacres qui, dans le cours de leurs visites, ont le droit de les interroger, même de les destituer dans tous les temps, s'ils ne sont pas satisfaits de leur doctrine ou de leurs mœurs.» (Potier, édit de 1695.)

<< S'il n'y a point d'école de charité fondée dans une paroisse, des particuliers peuvent s'y établir et y tenir de petites écoles ; mais ils sont tenus d'obtenir le consentement des recteurs, ou de se faire approuver par les évêques. » (Potier.)

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Voici un fait qui motiva un arrêt du Parlement de Rennes, le 26 novembre 1716. Le procureur général du roi expose qu'il a été informé qu'un nommé Sébastien Vassal, de la ville de Châteaugiron, sans lettres ni érudition, s'ingère, malgré le recteur de la paroisse, de tenir de petites écoles et d'aller montrer aux enfants dans les maisons particulières, quoique le dit recteur ait approuvé François Marchand comme maître d'école, de bonnes mœurs, capable non-seulement d'élever les enfants dans la piété, leur enseigner à lire, à écrire, l'arithmétique, mais encore le latin, et de mettre les enfants en état d'entrer en philosophie, laquelle nomination a été approuvée par l'évêque de Rennes; - en conséquence il requiert l'application de la loi.

Or, la Cour, considérant que les maîtres et maîtresses de toutes les petites écoles doivent être approuvés par les curés des paroisses, les évêques ou leurs archidiacres ; que cette loi est nécessaire et sagement établie pour l'utilité publique; qu'elle a été répétée par une infinité d'arrêts; fait défense au sieur Vassal et à tous autres de tenir les petites écoles et d'aller enseigner les enfants dans les maisons particulières sans le consentement des recteurs des lieux, ou d'avoir été approuvés par les évêques diocésains, ou leurs archidiacres ou grands vicaires, sous peine d'amende de 50 livres.» (Arrêts des paroisses.)

5o Ecoles mixtes.

Les conciles provinciaux, les statuts syno. daux, les décisions épiscopales, ainsi que l'autorité temporelle, défendirent de concert, toujours et partout, les écoles mixtes, et même le rapprochement des maisons d'écoles des garçons et des filles, avant la Révolution. Les écoles de garçons furent tenues par des hommes, les écoles de filles par des personnes de leur sexe, dans des maisons différentes, de manière à éviter, autant que possible, tout mélange à l'entrée et à la sortie des classes. L'expérience des hardiesses de notre siècle n'a point prouvé que nos pères avaient eu tort en poussant loin de ce côté le respect délicat pour l'enfance.

Conclusion.

L'Église de Bretagne travailla, dans la mesure de ses forces et du possible, à répandre l'instruction dans nos villes et dans nos campagnes, sur le pauvre comme sur le riche. Si elle eut une prédilection, ce fut pour le petit, car il était, comme toujours, le plus abandonné.

Elle voulut une école permanente dans chaque paroisse. N'ayant pas le concours de la loi pour prélever un traitement nécessaire aux instituteurs et aux institutrices, elle inspira les écoles de charité aux bonnes âmes, et elle en fit une obligation pour son clergé.

Son amour de la science pour tous fut-il au moins compris et encouragé? Oui, par les populations, en général, qui en sentaient le besoin. Mais les classes dirigeantes, les esprits supérieurs qui ouvrent les voies, approuvèrent-ils toujours les efforts du clergé pour l'instruction primaire? Le Parlement laissa-t-il entrevoir sa pensée en n'acceptant pas la clause des ordonnances royales, qui imposait une taxe pour le traitement des maîtres et maîtresses? Que dire de cette observation qui se trouve sur le manuscrit de l'évêché de Quimper, et concerne le projet des statuts de Léon en 1774: « En renvoyant aux Mémoires du clergé, j'ai évité de citer les déclarations de nos rois, qui pourraient faire ombrage au parlement? » La répulsion qu'on éprouvait contre certaines ordonnances royales,

TOME XLII (II DE LA 5a SÉRIE).

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était-elle l'unique motif de les rejeter? n'y avait il point aussi une certaine antipathie contre l'enseignement primaire? - Nous ne nous prononcerons point sur cette question.

M. Caradeuc de la Chalotais, procureur général de la haute Cour de Bretagne, ne cacha point son sentiment. Nous avions oublié les enfants du bienheureux Jean-Baptiste de la Salle: il va nous apprendre qu'ils avaient pénétré dans notre province. << Les Frères Ignorantins, écrivait-il à Voltaire, sont survenus pour achever de tout perdre; ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n'eussent dû apprendre qu'à dessiner et à manier le rabot ou la lime, et qui ne veulent pas le faire... Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s'étendent pas plus loin que son éducation. Voltaire lui répondit: Envoyez-moi des Frères Ignorantins pour conduire mes charrues ou pour les atteler... Il faut proscrire l'étude chez le laboureur. » Il écrivait à un autre: « La canaille d'aujourd'hui ressemble en tout à la canaille qui végétait il y a quatre mille ans. On n'a jamais prétendu instruire les cordonniers, les laquais et les servantes, c'est le partage des apótres. Il faut que le peuple soit conduit, mais non pas qu'il soit instruit; il n'est pas digne de l'être. Quand le peuple se mêle de raisonner tout est perdu. >

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Voltaire avait raison quand il disait que l'instruction du peuple était le partage des apôtres. Le Christ, en effet, fit une révolution générale dans le monde, quand il donna à ses apôtres et à leurs successeurs la mission d'évangéliser les pauvres. Personne avant lui n'avait eu la pensée de donner l'instruction aux petits et aux humbles... Et depuis? Cherchez en dehors du christianisme.

Si La Chalotais ne voulait pas que les connaissances du peuple s'étendissent plus loin que son éducation, l'Église ne faisait point de restriction. Elle mettait sans doute l'éducation en première ligne, et elle la fondait sur le Credo, le Décalogue et l'Évangile. A ses yeux, l'honnêteté et la grandeur morale, ayant pour base et pour appui la crainte et l'amour de Dieu, font surtout les hommes de mérite et de caractère. Pour donner une direction à la fois sage et

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