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grâce; on pleure de regret; on pleure de joie ; c'est la conversion qui s'annonce, ou le pur amour qui se perfectionne et s'enflamme; c'est la victoire définitive sur le mal; c'est comme un avant-goût du bonheur même des élus !

Que de fois vos pères n'en firent-ils pas l'heureuse expérience? Soutenus par les exemples et les exhortations de ces humbles ermites et de ces pieux solitaires, ils marchaient tous, comme un seul homme, dans le sentier étroit qui mène à la vie. Ainsi se maintenaient, sur notre terre nantaise, au milieu de mille vicissitudes, les saines et bonnes traditions. Rien n'a pu en interrompre la chaîne : ni les désastres de la guerre, ni l'horreur des invasions, ni les oscillations de la politique, ni les caprices de la fortune, ni le scandale des schismes, ni les subtiles manœuvres de l'hérésie, ni même les effroyables scènes de la Terreur.

ou

Qu'ils aient eu pour souverains leurs ducs, leurs comtes, ou les rois de France; que le ciel clément ait fécondé leurs campagnes, qu'un souffle de la colère divine les ait frappées de stérilité; que le grand fleuve ait apporté sur ses flots l'abondance et le bien-être, ou que, sortant impétueux de son lit, il ait tout à coup jeté la ruine et le deuil sur ses rives désolées, au milieu de ces événements, tantôt lugubres et tantôt joyeux, vos pères surent demeurer calmes, dans cette attitude qui convient au véritable chrétien, l'œil fixé sur l'Eglise et sur la Croix qui ne changent pas! Ames élevées! âmes véritablement grandes, et qui, de ces hauteurs sereines, savaient apprécier les choses de la vie à leur juste valeur: Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur. Quæ enim videntur temporalia sunt, quæ autem non videntur æterna sunt (2 Cor. iv, 18.)

Vous êtes, N. T.-C. F., les descendants de cette race forte, loyale, active, industrieuse, et franchement chrétienne. L'esprit qui l'animait vous anime; ce qu'elle croyait, vous le croyez; ce qu'elle voulait, vous le voulez; son symbole est votre symbole; son culte est votre culte; son Dieu est votre Dieu; sa célèbre et magnanime devise est et sera toujours votre devise: « Potius mori quam fœdari! », plutôt mourir que trahir! Oui, le sang breton coule toujours dans vos veines généreuses. Disons mieux, N. T.-C. F.: dans vos veines coule, depuis l'onction du baptême, le sang rédempteur lui-même,

ce sang divin qui, après avoir transformé l'univers, n'a rien perdu, dans cet immense travail, de sa puissante énergie. De cette source est venue à votre terre cette fécondité surnaturelle que les siècles passés admirèrent, et que de nos jours on peut admirer encore. Dans toute l'étendue de ce beau et vaste territoire, que voyons-nous? Des paroisses qui rivalisent de zèle pour tout ce qui est bien et où les pratiques religieuses sont toujours en honneur; des familles patriarcales, d'illustre origine peut-être, plus illustres mille fois par ce trésor de saintes maximes et de solides vertus qu'elles savent léguer, comme la meilleure partie de leur héritage, à une nombreuse et florissante postérité; un clergé d'élite, d'un dévouement à toute épreuve, de mœurs graves, constamment appliqué à ses devoirs, ne vivant que pour Dieu, se consumant au service des âmes, pénétré, en un mot, de cet esprit ecclésiastique que savent si bien lui inspirer les dignes disciples du vénérable et pieux Olier; dans nos principaux centres, à Guérande, à Ancenis, à Châteaubriant, à Paimboeuf, et surtout dans Notre ville Episcopale, de précieux établissements où des milliers d'enfants viennent puiser, avec les connaissances qui doivent orner leur esprit, cette foi forte sans laquelle la science elle-même n'est plus qu'une vaine lueur qui trompe, ou la flamme incendiaire qui consume et dévore. Qu'ils soient bénis ces bons prêtres qui consentent à sacrifier à l'éducation de la jeunesse les plus belles années de leur vie! Leur abnégation est au dessus de tout éloge. Ils ont compris, avec les meilleurs esprits de notre temps, que cette œuvre est, à l'heure où nous sommes, l'œuvre par excellence, puisqu'elle est appelée à exercer sur notre pays une influence décisive au double point de vue de la religion et de la société.

Et que n'aurions-Nous pas à dire, N. T.-C. F., de ces communautés religieuses, si nombreuses parmi nous, qu'il est impossible de songer même à les nommer toutes ici? Ames vouées par état à la pratique des plus sublimes vertus, Anges de la terre, vivant dans la chair comme de purs esprits, vous êtes en vérité Notre couronne et Notre gloire: Gaudium meum et corona mea (Philip. IV, 1). Quelle plaie du corps ou de l'âme n'essayez-vous pas d'adoucir et de cicatriser? Soit que vous restiez prosternées, comme le Séraphin, en adoration perpétuelle devant l'auguste Sacrement, soit que votre chair virginale

frémisse, pour expier les crimes du monde, sous les coups redoublés d'une sanglante discipline; que vous usiez, jour et nuit, vos forces au soulagement du malade, du vieillard et de l'infirme; que vous prodiguiez des soins maternels à l'enfant du pauvre; que vous ouvriez des asiles pour protéger l'innocence contre les atteintes du vice, ou des refuges pour y recueillir les tristes victimes des passions humaines; partout vous vous montrez à Nos regards comme la fidèle et vivante image du Père, qui se nomme le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation: Pater misericordiarum, et Deus totius consolationis (2 Cor. 1, 3). Comme lui, vous faites luire sur toutes ces lamentables misères, sur toutes ces larmes, sur toutes ces souffrances, le doux soleil d'une tendre et inépuisable charité.

Il est donc vrai, N. T.-C. F., la vie chrétienne, malgré mille obstacles, coule encore à pleins bords au milieu de nous. On peut même dire qu'elle y surabonde, puisque, dans ses magnifiques élans, on la voit chaque jour franchir nos frontières et s'épancher en flots de bénédiction jusqu'aux extrémités du monde. A l'heure qu'il est, soixante-deux prêtres dont le berceau reposa sur notre sol, travaillent à la propagation de la foi en Afrique, en Amérique, en Asie et jusque dans les îles les plus lointaines de l'Océanie. Cent dix autres servent Dieu et l'Eglise dans nos monastères et dans nos diverses congrégations: Bénédictins, Trappistes, Franciscains, Dominicains, Carmes, Compagnie de Jésus, Eudistes, Maristes, prêtres de Picpus, de saint Lazare ou de Saint-Sulpice, tous vous devez un souvenir à cette terre féconde qui vous a libéralement enrichis de ses dons. Et, comme splendide couronnement, au sommet de cette glorieuse énumération, apparaissent les Pontifes qui s'inclinent vers l'Eglise de Nantes, le front décoré de la mitre, et qui lui disent: Vous êtes notre Mère ! Ainsi lui rendent hommage, et l'Evêque de Philippopolis, l'intrépide apôtre de la Corée ; et l'Archevêque de Larisse, le saint Coadjuteur de l'illustre et saint archevêque de Paris; et l'Ange de l'Eglise de Blois, qui vient de quitter nos murs, emportant avec lui les regrets et les vœux de tout un peuple.

Mais, N. T.-C. F., tandis que Nous contemplons avec une sorte de ravissement le tableau des gloires du Diocèse de Nantes, un nuage de tristesse vient, hélas! assombrir Notre âme. Plus l'héritage qui

Nous est échu est beau, plus il a de valeur et d'importance, et plus aussi il exige de soins et de dévouement. Si la direction d'une seule âme, parce que cette âme a des destinées immortelles, impose déjà une sérieuse responsabilité, que dire, que penser, que faire, grand Dieu ! quand autour de soi on voit se grouper plus de six cent mille âmes, sur lesquelles il faut avoir l'œil ouvert, comme le pasteur sur les brebis de son troupeau! Il sera beaucoup demandé à celui qui aura beaucoup reçu. Cette sentence du Maître a fait trembler les Saints. Quelle vigueur et quelle sûreté de coup d'œil ne faut-il pas pour communiquer, en temps opportun et dans de justes proportions, un mouvement efficace et harmonieux aux divers membres de ce grand organisme dont Nous sommes aujourd'hui le chef? Où trouver ce regard large et pénétrant, capable de saisir sous leurs divers aspects, dans leurs détails comme dans leur ensemble, cette multitude de questions délicates et complexes, dont la solution appartient exclusivement à l'autorité religieuse?

Ne laisser dépérir, si petit ou si obscur qu'il soit, aucun des germes que le ciel, dans sa munificence, laisse tomber sur notre terre ; encourager toute initiative sage et généreuse; favoriser, autant qu'il dépend de soi, toutes les saintes entreprises: veiller exactement au maintien de la discipline; défendre avec énergie les droits, l'honneur et la dignité du Sacerdoce; savoir habilement démasquer la ruse, l'intrigue ou la calomnie; être attentif à prévenir les abus et prompt à les réformer; se montrer au besoin d'une inflexible fermeté, mais bon et patient toujours; se prêter aux choses du temps, sans jamais perdre de vue les choses de l'éternité; rester en tout et avant tout l'homme du devoir et l'homme de Dieu; être calme au milieu des partis, qui se passionnent et se divisent; ne se livrer à aucun d'eux ; et demeurer ainsi comme le point central autour duquel ils pourraient peut-être se réunir, se voir, se comprendre et s'entendre; garder soigneusement cette noble indépendance qui convient à la nature et à l'exercice du ministère sacré; ne plus vivre pour soi; se rappeler sans cesse qu'on ne s'appartient plus, et qu'il faut savoir se faire tout à tous pour les gagner tous à Jésus-Christ: voilà l'Evêque, N. T.-C. F., le voilà tel que l'Esprit-Saint lui-même le dépeint et tel qu'il l'exige: Omnibus omnia factus sum, ut omnes facerem salvos (I Cor. IX. 22).

Graves et difficiles obligations, s'il en fut jamais. Qui pourrait les envisager sans effroi? Qu'est-ce qu'un homme sous un pareil fardeau? Un grain de sable à la base d'une gigantesque montagne. Toutefois, N. T.-C. F., en arrivant au milieu de vous, Nous voulons imposer silence à nos trop justes alarmes, et ne laisser pénétrer dans Notre âme que le sentiment d'une pleine et entière confiance. Cette confiance Nous est inspirée, non par la vue de Notre mérite personnel qui est nul, non pas même par la connaissance que Nous avons déjà des excellentes dispositions de vos cœurs à Notre égard; elle repose uniquement sur l'incontestable légitimité de Notre mission.

Si Nous prenons place de nouveau parmi les Princes de l'Eglise; si Nous occupons un trône; si Nous portons un sceptre; si tout un grand peuple, prosterné sur Notre passage, Nous appelle son Seigneur et son Père, Nous ne devons cet honneur ni au prestige de Notre naissance, ni à quelque calcul d'intérêt ou d'ambition, ni à aucune influence mondaine; encore moins, s'il est possible, au jeu ridicule d'un aveugle hasard: Nous venons, parce que Dieu l'a voulu, et Nous pouvons aujourd'hui maintenir avec plus de hardiesse que jamais la devise que nous avions osé écrire au bas de Nos Armes, dès le début de Notre Episcopat: Missus a Deo. Comme Evêque, voilà Notre origine, voilà Notre nom, voilà le résumé de tous Nos titres et le fondement de toutes Nos espérances.

O Seigneur ! Vous le savez bien, puisque Vous savez tout si Nous n'avions dû ne céder qu'à Nos désirs et ne suivre que Nos attraits et Nos goûts, Nous serions encore aujourd'hui obscur et caché, comme il y a quinze ans, dans une cellule de séminaire, entouré de Nos livres, exclusivement appliqué à la culture de ces fleurs choisies qui croissent à l'ombre des autels, jusqu'au jour où, dans leur calice frais et parfumé, tombe du ciel cette rosée divine, qui se nomme l'onction sacerdotale. Mais les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées; par une série d'événements que personne assurément n'avait ni prévus, ni voulus, sa Providence Nous a conduit, comme par la main, jusqu'au milieu de vous, N. T.-C. F.: Tenuisti manum dexteram meam et in voluntate tua deduxisti me (Ps. 72, 23). Sans doute, Nous n'avons pas été favorisé d'une révélation personnelle. Dieu ne Nous a pas parlé immédiatement, comme il parlait autrefois aux patriarches et aux

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