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SEMPER FIDELIS

A LA MÉMOIRE DU COMTE ÉDOUARD DE MONTI DE REZÉ

Des honneurs solennels et dignes de son âme,
Trois fois à ce chrétien viennent d'être rendus* :
Prières, pleurs, eau sainte, adieux aux traits de flamme,
Sur son noble cercueil à l'envi répandus.

Le silence s'est fait: levons-nous, c'est notre heure,

Le chant qui s'agitait, nous l'avions maîtrisé ;
La foule n'est plus là: marchons vers sa demeure,
Vers ce toit qui domine et la Loire et Rezé.

Au pèlerin pieux sans crainte ouvrez la porte;
Qu'il entre à la chapelle et qu'on l'y laisse, seul,
Épancher devant Dieu l'hommage qu'il apporte
Au preux que l'on coucha naguère en son linceul.

La Muse est abattue et muette en notre ère,
Où le Mal a du Bien presque éteint le flambeau;
Mais comment aujourd'hui pourrait-elle se taire?
Comment ne pas gémir auprès d'un tel tombeau ?

Comment ne pas crier à notre siècle lâche:

<< Rougis devant ce mort, grand par sa loyauté!

* A Poitiers, Rezé et Nantes.

<< Il soutint sans fléchir son écrasante tâche, < Et qui dira Monti dira fidélité!

De honte courbez-vous devant sa mâle tête,
« Vous qui chantiez si haut le royal rejeton :
<< Il n'a pas comme vous fui quand vint la tempête!
<< Il n'a jamais trahi comme vous, ce Breton !...

Mais je retiens les cris dont j'ai l'âme obsédée,
Et, calme, sur la dalle où reposent tes os,
J'aime à te saluer, au nom de ma Vendée,
Toi qui brillas parmi ses suprêmes héros ;

Toi que le Chêne vit, au printemps de ton âge,
Sur les pas d'un Charette affronter le péril,
Et qui, les derniers coups tirés dans le Bocage,
Prenais vers le PROSCRIT la route de l'exil.

Aux siennes tu voulais unir tes destinées,

Le lierre s'unit moins aux branches des ormeaux
Et tu vécus ainsi près de cinquante années,
Souffrant, loin du pays, d'inénarrables maux.

Mais ton cœur nourrissait l'invincible espérance
Que le ciel, pardonnant à ce temps effréné,

Ferait enfin monter sur le trône de France

Celui qu'à son baptême on nomma DIEUDONNÉ.

Oh! oui, que Dieu le donne! oh! oui, qu'il le rappelle !
Car nous courons sans trève au gouffre sans retour...
Je l'en prie à genoux dans l'antique chapelle,

Et j'espère: - Rezé prie au divin séjour!

Nantes, 28 août 1877.

ÉMILE GRIMAUD.

LA CHEVALERIE DU DUCHE DE BRETAGNE

RECHERCHES SUR LA CHEVALERIE DU DUCHÉ DE BRETAGNE, suivies de notices concernant les grands officiers de la couronne de France qu'a produits la Bretagne, les grands officiers du duché de Bretagne, ainsi qu'un grand nombre de chevaliers bretons, par Alexandre de Couffon de Kerdellech, t. 1er. Nantes, Vincent Forest et Emile Grimaud. Paris, Dumoulin.

La chevalerie est morte, mais son souvenir vit toujours; il se perpétue même entouré d'une auréole dont le temps n'a pu altérer l'éclat. Les révolutions ont beau se suivre, fauchant hommes et choses, les mœurs ont beau se modifier, les coutumes se perdre, la chevalerie conserve intact son prestige, et, si l'on veut peindre, d'un seul trait, le dévouement, la droiture, la générosité et la vaillance, notre langue n'a pas encore trouvé d'autre mot que celui de chevaleresque. Cette remarque ne pouvait échapper à M. de Couffon; elle est comme la pensée mère de son livre; il ne dépend, en effet, de personne de donner aux mots telle ou telle signification; c'est l'œuvre de tous, et le sens admis d'un mot est comme le sceau ineffaçable de l'opinion publique. Voyez, par exemple, Cathelineau et ses braves compagnons; leur nom officiel est brigands, mais leur nom historique est Vendéens, et quel sens est attaché à ce mot? demandez-le au premier venu, et, à moins qu'il n'appartienne à la petite caste de Robespierre, il vous répondra: fidèle et héroïque. L'histoire n'agit pas par décrets, mais par des mots qui restent.

<< Si un jeune officier, écrit un juge coinpétent, le général Ambert, demandait à quelque vétéran des conseils sur la conduite à suivre pendant la guerre, la réponse du vieux soldat pourrait être fort simple; il lui suffirait de dire: - Suivez les lois de la chevalerie.

> .... La chevalerie a imprimé au courage une bonté compagne de la charité; on frappe de l'épée, non par vengeance mais par devoir; le vaincu emprunte à la religion un caractère presque sacré; les femmes sont respectées, les vieillards honorés, les enfants protégés.... Le vétéran rappellerait au novice les enseignements jadis donnés au chevalier : Servez Dieu et il vous aidera; soyez courtois et sans orgueil comme sans flatterie; soyez loyal; que votre parole ne cesse jamais d'être franche et vraie; soyez secourable au pauvre et bon pour tous; faites, en guerre, le plus de bien qu'il vous sera possible et le moins de mal que vous pourrez; aimez la patrie, servez-la jusqu'à la mort, parce qu'elle est le tombeau de votre père et le berceau de votre enfant; écoutez la voix qui s'élève de l'Église, car c'est Dieu qui parle; obéissez aux chefs qui vous commandent, car leurs ordres viennent de Dieu; l'obéissance est sainte, la révolte est impie 1. »

Tel est le code sublime qui a fait, en partie, notre civilisation, et dont M. de Couffon s'est fait l'interprète érudit et convaincu.

Mais d'abord que faut-il entendre par le mot de chevalier? Y avait-il deux chevaleries distinctes: l'une personnelle et à laquelle on n'arrivait que par des hauts faits, l'autre héréditaire et se transmettant par la possession de certains fiefs? Partout ailleurs qu'en Bretagne on n'a jamais connu que la première, celle des Bayard, des Fleuranges et des François Ier. Mais, en Bretagne, et depuis que la chevalerie n'existe plus, on a conçu l'idée d'une ancienne chevalerie attachée aux fiefs. Ainsi, dit M. de Couffon, << un lâche, un félon, une femme, un abbé, en devenant possesseur d'un pareil fief, aurait pu s'intituler chevalier, et perdre aussi, par l'aliénation de son fief, cette qualité, qui aurait alors passé, de plein droit, à son acquéreur. Comment donc ce titre aurait-il pu devenir un titre d'honneur recherché par les grands seigneurs qui possédaient tant de fiefs et pour qui cette qualification eût été moindre que celles dont ils jouissaient comme comtes, vicomtes, barons ou bannerets? En prenant à la fois les qualifications de ducs de Bre

Général Ambert: La Guerre.

tagne et de chevaliers, nos princes n'auraient donc eu d'autre intention que de faire voir qu'outre le duché de Bretagne, ils possédaient un petit fief qui leur donnait le droit de s'intituler chevalier. Quelle triste figure auraient fait ces chevaliers bretons à côté des vrais chevaliers, qui avaient reçu, au grand jour, l'ordre de chevalerie avec les cérémonies solennelles décrites dans les anciens cérémoniaux 1. »

A cette démonstration indirecte M. de Couffon joint des faits précis. Ainsi il nous montre, d'un côté, le duc Jean le Roux armé chevalier par saint Louis et le duc Jean V par Olivier de Clisson, et, de l'autre, des gentilshommes du plus haut parage, des Clisson, des Chabot, s'intituler modestement écuyers, bien qu'ils comptassent plus d'un chevalier parmi leurs ancêtres; il est remarquable même que, dans le dernier siècle encore, et bien que, depuis la Réformation de 1668, le titre de chevalier fût à peu près légalement au pillage, on voit encore des rejetons des plus vieilles souches ne prendre que le titre d'écuyer, suivant l'ancienne coutume. L'auteur cite, entre autres, des Sesmaisons, des Saint-Pern, des Coëtlosquet, des Talhouët, etc.

Et ici qu'on nous permette une digression. Dans l'ancien régime, un Montmorency ne signait ni baron ni duc, mais simplement Montmorency, et cette habitude de ne signer que de son nom était à peu près générale dans la haute noblesse. De nos jours même, on s'aperçoit, en feuilletant les journaux officiels, que le vicomte de Châteaubriant ne signait que Châteaubriant, le duc de Richelieu, Richelieu, le comte de la Bourdonnaye, La Bourdonnaye, le marquis de Moustier, Moustier, et aujourd'hui le duc de Broglie, Broglie. Sous une apparence modeste, n'est ce pas singulièrement mais noblement fier? C'est dire: Notre nom est, après tout, notre plus beau titre, et, à la différence des titres donnés ou pris, il est l'expression de souvenirs qu'aucun décret ne saurait donner et qu'aucune ambition ne saurait prendre.

Ce sentiment était d'autant plus naturel que les titres ne s'accor

1 P. 27.

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