Page images
PDF
EPUB

nous disent les Notes de Coulon, MM. de Charette et Sapinaud se rapprochèrent de M. Stoffet; le lieu de l'entrevue fut à Beaurepaire, quartier général de M. Sapinaud. Les trois généraux se réconcilièrent, et tous les officiers imitèrent leur exemple et semblèrent avoir oublié toutes leurs inimitiés pour s'intéresser d'un commun accord à solliciter du gouvernement l'exécution de leurs traités. MM. de Scépeaux, de Béjarry et Gabard furent désignés et nantis de pleins pouvoirs près le comité de Salut public, qui les reçut fort bien (ils eurent même les honneurs de ses séances); on leur promit beaucoup, mais l'on ne tint rien.

» Le général Charette se facha de la lenteur des républicains à l'exécution de leurs traités; il se concerta avec le général Sapinaud, et ils recommencèrent les hostilités. Ils écrivirent au général Stofflet de se réunir à eux; il leur témoigna son mécontentement de ce qu'ils avaient commencé avant son adhésion, leur exposa qu'aucunes précautions n'avaient été prises, que l'on ne pouvait pas faire la guerre sans argent ni munitions dans un pays couvert de nombreuses troupes et à l'instant de la récolte. Il faut noter ici que la disette était à son comble et que l'on attendait la récolte avec impatience. Les habitants, qui s'étaient familiarisés avec les républicains et avaient goûté les douceurs de la paix, n'étaient nullement disposés à la guerre.

» Le général Hoche, qui commandait alors dans le pays, demanda une entrevue au général Stofflet. Elle eut lieu au bourg du May. Je ne sais pas tout ce qui se passa dans les conversations secrètes, mais le général Hoche fit tout ce qu'il put pour décider M. Stofflet à abandonner le pays, lui assurant des passeports et de l'argent pour se retirer où bon lui semblerait. Stofflet refusa généreusement toute proposition et dit à Hoche que jamais il ne sortirait du pays, qu'il tenait au traité fait et que, si la République n'y voulait pas tenir, il agirait autrement. Je puis affirmer que la force avec laquelle Stofflet s'expliqua étonna Hoche, qui croyait n'avoir affaire qu'à un malheureux garde. Les conférences furent très-longues avec M. Bernier, mais je ne sais pas ce qui y fut dit.

L'affaire de Quiberon eut lieu. Beaucoup d'émigrés vinrent se réfugier au quartier général. Comme le local n'était pas grand et que Stofflet ne pouvait, dans sa position, les recevoir publiquement, il les envoya sur différents points, où il leur faisait fournir ce qui leur était nécessaire. Il fut souvent invité à recommencer les hostilités, mais, ne trouvant pas le moment favorable aux intérêts du roi, il ne voulut point s'y décider. >

Il ne fallut rien moins qu'un ordre royal pour vaincre la résistance éclairée de Stofflet, dont le cœur généreux répugnait à entraîner de braves gens dans une lutte désormais sans espérance; sujet fidèle, il obéit avec tristesse, mais la prévision d'une issue fatale n'enleva rien à l'énergie de sa volonté, à l'ardeur désintéressée de son dévouement.

<< Le chevalier de Colbert, rapporte Coulon, fut chargé, de la part des princes, d'une mission particulière auprès de Stofflet; il lui apporta la croix de Saint-Louis avec le brevet de lieutenantgénéral. M. le marquis de Rivière, aide de camp de MONSIEUR, M. le comte de Châtillon et plusieurs officiers supérieurs de Bretagne se réunirent pour décider Stofflet à rompre avec les républicains. Il connaissait parfaitement le danger où il se plongeait, mais il laissa son opinion particulière de côté pour s'attacher à celle de ceux qui lui disaient que le plus grand intérêt de la monarchie l'exigeait. L'abbé Bernier était de cet avis; il s'occupa de faire des proclamations, qui furent imprimées au Lavouër, et tous ces messieurs en emportèrent pour les différents pays qu'ils commandaient.

» Le 26 janvier 1796, la guerre fut reprise contre la République. Il y avait, à cette époque, peu de troupes dans l'Anjou; mais de l'instant où le gouvernement s'aperçut que l'on se disposait à recommencer les hostilités, on en fit considérablement descendre et nos projets furent déjoués, malgré toutes les bonnes intentions des officiers.

>> Les ordres furent donnés aux chefs de divisions de faire leurs rassemblements; celui du général était dans les landes des Mauges

ou des Cabournes. Le ciel se déclara contre nous. De grandes pluies eurent lieu; les eaux dérivèrent de toutes parts; les convocations furent sans effet. Il ne se trouva au lieu du rendez-vous que les chasseurs et ce que nous étions d'officiers au quartier général.

[ocr errors]

Le cantonnement de Chemillé était peu nombreux et nous nous décidâmes à l'attaquer, dans la nuit du 28. La grandeur et le nombre des feux que nous aperçûmes nous firent connaître que les bleus devaient être nombreux, et, sur les renseignements que nous primes, nous eûmes preuves acquises qu'il leur était venu d'Angers un renfort de six mille hommes. Nous nous retirâmes sans bruit et revinmes prendre un peu de repos à la Morosière; notre troupe campait à Neuvi. Les républicains marchèrent dès le matin sur nous avec une telle précipitation que nous nous trouvâmes pris entre deux colonnes au bourg de Neuvi. Heureusement qu'il n'y avait encore que leur avant-garde d'arrivée du côté du Lavouër, sans quoi nous étions bloqués sans retraite dans les plus mauvais chemins du pays. Nous gagnâmes les hauteurs du Cerisier et, par la bonne contenance que nous fîmes, nous ralentîmes la marche des bleus; la nuit et les grandes eaux les empêchèrent de nous poursuivre plus loin. Nous nous retirâmes en très bon ordre à Saint-Quentin, où l'on tint conseil sur ce que nous avions à faire; il fut reconnu que nous ne pouvions tenir et décidé que le licenciement aurait lieu, et que l'on attendrait un moment plus favorable pour se rassembler.

» Les habitants avaient goûté les douceurs de la paix et repris le cours ordinaire de leurs affaires; la mauvaise saison, le grand nombre de troupes qui arrivaient dans le pays, les proclamations de Hoche, qui disaient positivement que l'on n'en voulait qu'aux chefs, que la religion et ses ministres seraient respectés, tous ces motifs paralysèrent le parti royaliste.

» Nous primes là chacun de notre côté. Je suivis le général avec plusieurs de nos amis. M. Nicolas, chef de la division de Cholet, avait précédemment reçu l'ordre de faire son rassemblement aux Baudières, et nous dirigeâmes nos pas vers ce lieu. Arrivés à la pointe du jour sur la chaussée de l'étang de Péronne, on cria sur nous : « Qui

vive?» Persuadés que c'était le rassemblement de Nicolas, nous répondîmes Général Stofflet! On nous accueillit par des coups de fusil. C'était Caffin qui était venu camper là avec trois mille hommes. Stofflet, qui connaissait parfaitement les chemins, nous fit tourner l'étang, passer à travers les landes du Breuil, et ensuite gagner les bois d'Anjou, où nous nous reposâmes deux jours. Nous fùmes informés que M. de Beaurepaire avait un rassemblement dans les environs des Aubiers; nous le rejoignîmes et marchâmes ensuite sur Bressuire, où la garnison était moins forte qu'ailleurs (les forces majeures se tenaient dans l'intérieur du pays). Nous les attaquâmes à la porte Laborte avec tant de courage qu'ils ne purent tenir dans leurs retranchements; nous entrâmes tous pêle-mêle dans la ville; il en périt un grand nombre; ceux qui se sauvèrent se réfugièrent dans le vieux château. Nous prîmes dans cette affaire beaucoup de cartouches. Nous fùmes instruits qu'un convoi était parti de Châtillon pour Bressuire, nous prîmes la résolution de l'enlever; nous laissâmes une garde pour contenir le château, et, suivant la route de Châtillon, nous nous postâmes de manière à prendre les bleus entre deux feux. Il y avait à ce convoi quarante hommes d'escorte qui se défendirent, espérant que ceux du château viendraient à leur secours; ils furent tous tués ou prisonniers. Nous envoyâmes des prisonniers porter des proclamations à différents cantons, en leur assurant que ceux qui se réuniraient aux armées du roi conserveraient leurs grades, et ceux qui ne voudraient pas servir retourneraient dans leurs foyers. Tout fut sans succès. Nous fimes brûler à la vue des républicains ce que nous ne pûmes emmener. Nous vinmes coucher à Voultegon par le temps le plus affreux. Les colonnes furent instruites de nos marches et nous fùmes encore une fois obligés de chercher notre salut dans la retraite; les habitants se retiraient dans leurs foyers. Le général, quatre autres officiers et moi, nous vinmes nous réfugier dans la forêt de Maulévrier, où un nommé Papin, des Baudières, nous fit faire une loge et nous fournit ce qui était nécessaire à notre subsistance. Nous ne sortions point de la forêt; la neige qui couvrait la terre aurait décelé notre

retraite. Ce fut pendant notre séjour dans la forêt que le brave Nicolas, chef de la division de Cholet, fut attaqué à la Brarderie et y périt victime de son courage, avec les braves Charieu jeune et Renou; Fontaine, de Maulévrier, et le jeune Nicolas y furent faits prisonniers le premier fut fusillé à Cholet et le second envoyé prisonnier d'État à Limoges.

» Notre séjour dans la forêt fut d'environ quinze jours. Ce fut lå que le général reçut de l'abbé Bernier l'invitation de se rendre à la Saugrenière, en la paroisse de la Poitevinière, afin de se concerter avec des envoyés de toutes les armées de l'Ouest, pour prendre de nouveaux moyens d'offensive. Le général connaissait parfaitement l'opinion publique et savait par expérience que les habitants ne prendraient jamais les armes, dès l'instant où leurs intérêts ne seraient pas compromis; il en était tellement persuadé, qu'il me disait le long du chemin que nous marchions vers l'échafaud. Enfin, après avoir couru les plus grands dangers, nous arrivâmes à cette métairie de la Saugrenière, le 15 février 1796, à six heures du matin, où nous passâmes la journée; le soir, l'abbé Bernier et grand nombre d'officiers s'y rassemblèrent.

Le conseil se forma et tint sa séance jusqu'à deux heures du matin. Il fut décidé qu'un agent général de toutes les armées de l'intérieur serait nommé, que des instructions lui seraient données pour faire valoir leurs intérêts près de Sa Majesté et des puissances belligérantes. Ce fut M. le comte de Colbert de Maulévrier qui fut choisi pour remplir ces honorables fonctions. Le conseil renvoya sa séance au soir suivant. La Providence en décida autrement.

» Sur les quatre heures du matin, une colonne partie de Chemillé contourna la métairie de la Saugrenière où le général, avec le

1 Ici le souvenir de Coulon est infidèle. Les documents officiels fixent la date de la prise de Stofflet dans la nuit du 23 au 24 février.- Une autre hésitation de mémoire se remarque au début de ce récit. Coulon indique la première attaque contre Cholet au mercredi 14 mars; or le 14 mars 1793 était un jeudi. Mais il importait de respecter le texte, parce qu'un curieux débat subsiste, entre quelques érudits, sur la date précise du début de l'insurrection, et que cette variante pourra intéresser la discussion.

« PreviousContinue »