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MONSEIGNEUR FOURNIER

Le mois de juin a été marqué par un événement d'autant plus douloureux pour le diocèse de Nantes qu'il était moins prévu. Quel que fût l'âge de Mgr Fournier, telle était son activité et son énergie, tout au moins morale, qu'on oubliait les années avec lui et qu'il les oubliait lui-même. Trois fois déjà, il avait fait le voyage de Rome; les deux premières fois, comme simple prêtre, la troisième comme évêque; le moment fixé par les lois de l'Eglise pour le compte rendu de son administration n'était pas encore revenu; mais, avant de célébrer luimême les noces d'or de son sacerdoce, il avait à cœur d'aller célébrer à Rome, avec un pèlerinage nantais, les noces d'or épiscopales du pontife dont la ferme et puissante vieillesse fait la joie des chrétiens et l'admiration du monde.

Comment ne pas reconnaître là un des traits distinctifs du caractère de Mgr Fournier, son amour de l'Eglise romaine? Bien jeune encore et lorsque les traditions gallicanes étaient dominantes, il professait la foi la plus complète à l'infaillibilité pontificale et appelait de ses voeux le retour à la liturgie de l'Eglise-Mère. Cette tendance de son esprit, disons mieux, de sa foi, le mit, un instant, en rapport avec le célèbre abbé de la Mennais; mais il s'aperçut vite que la foi du grand écrivain

n'était pas à la hauteur de la sienne, et il fut des premiers à s'éloigner de lui. Il lui fut aussi donné de connaître l'illustre abbé de Solesmes, et l'amitié de dom Guéranger fut pour lui une lumière et une force.

Nous avons déjà dit, dans cette Revue, quel ardent foyer d'idées et de charité fut la cure de Saint-Nicolas, à partir du jour où l'abbé Fournier en prit possession; il avait alors trente-trois ans. Nous avons signalé les œuvres nombreuses qui prirent naissance dans cette cure, œuvres fécondes et parfois grandioses. Qu'il nous suffise de rappeler ici que l'abbé Fournier fut le premier, en France, à concevoir la pensée d'une basilique chrétienne, par l'art non moins que par la destination, à une époque où il n'y avait d'admiration officielle que pour les temples païens de Rome et d'Athènes, et qu'il fut le premier, dans notre diocèse, à introduire ces conférences de SaintVincent de Paul, qui font du riche, à tous les degrés de l'échelle sociale, mieux que le bienfaiteur, l'ami du pauvre. Le curé de Saint-Nicolas avait le don de l'initiative; mais il avait un autre don, plus rare encore, le don d'attirer à lui les pensées généreuses, de les grouper, d'être un lien entre elles, et de les mettre à l'œuvre, en les aidant de son concours, sans être pour elles une gêne par son autorité 1. S'il remuait facilement les pierres, je l'ai dit, c'est qu'il remuait aussi les âmes. Sa parole facile, élevée à la fois et familière, sympathique surtout et infatigable, se faisait entendre à toute heure et elle s'est fait entendre quarante ans au même auditoire, sans le lasser jamais. Ajouterons-nous que toutes les bourses de sa paroisse lui furent ouvertes pour ses œuvrees et que, pendant quarante ans, elles ne se lassèrent pas d'être ouvertes.

Comme évêque, Mgr Fournier a marqué son trop court épiscopal par des actes qui ne laisseront pas périr sa mémoire. Le

1 Voir t. xxvII, p. 36, et t. xL, p. 249.

1 C'est ainsi que se sont formées l'institution de Sainte-Marie pour les orphelines, de Bon-Secours pour les ouvrières infirmes ou sans travail, et ces écoles, ces ouvroirs, ces vestiaires où n'est oubliée aucune misère humaine.

premier fut la promulgation solennelle des décrets du concile du Vatican, qu'il fit dès le mois d'août 1870, moins d'un mois après le concile, sans vouloir attendre un jour, une heure après sa prise de possession de la chaire épiscopale; le second fut la consécration de son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus ; le troisième le vou, dans les circonstances les plus graves, de reconstruire l'église des saints patrons du diocèse, Donatien et Rogatien, et d'associer le vocable du Sacré-Cœur à leur vocable. Vint ensuite la constitution d'un comité catholique pour réunir en un faisceau toutes les bonnes volontés qui prennent leur source dans la foi. On sait avec quelle promptitude et quelle générosité il put, aidé de ce comité et des conférences de Saint-Vincent de Paul, venir en aide à la misère publique, lors des inondations. Lui-même parcourait en bateau les quartiers inondés, comme autrefois le cardinal Consalvi les rues de Rome, pour porter des secours et des consolations aux malheureux.

Nous ne dirons rien de sa charité et de son patriotisme pendant la guerre; il fut alors ce que furent tous les évêques.

Le diocèse de Nantes doit à Mgr Fournier l'établissement de deux branches de la grande et pieuse famille de Saint-François: les Pères Récollets ou Franciscains de l'étroite observance, à Saint-Nazaire, et les Pères capucins à Nantes. Ce fut lui-même qui indiqua aux premiers Saint-Nazaire; il sentait combien serait utile l'influence de ces pauvres volontaires, de ces amis du peuple, dans une ville naissante dont la population cosmopolite n'avait d'autre lien que la pensée du lucre. Il faisait plus, et, à l'exemple de notre Saint-Père Pie IX, il s'affiliait lui-même à cette admirable famille religieuse et prenait la livrée de son tiers ordre.

Lorsque l'enseignement supérieur eut conquis parmi nous une certaine liberté, le grand désir de notre évêque eût été de voir renaître l'ancienne université, fondée par le pape Pie II dans notre ville, comme au lieu le plus propre, « par la fertilité

de son sol, le nombre de ses habitants, la richesse de son commerce, à recevoir et à faire briller cette perle de la science, scientiæ margaritam, que l'Église cherche toujours à mettre à la portée de ceux qui sont le plus bas, afin de les élever le plus haut, ex infimo loco natos evehi ad sublimes »1. Ce désir était naturel; nous le partagions tous; mais, reconnaissons-le, il venait trop tard. Un grand évêque avait déjà pris l'initiative à nos portes et, s'il était permis encore de douter de son succès, nous ne pouvions aucunement compter sur le nôtre. Ce fut un vif regret pour notre évêque. Nous entendant raconter néanmoins, il y a peu de mois, les merveilles accomplies à Angers: - C'est une preuve, nous dit-il, que l'université est bien où elle devait être; dernières paroles qui

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méritent d'être retenues.

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De grandes œuvres d'ailleurs s'imposaient à Mgr Fournier. Saint-Donatien d'un côté, c'est-à-dire l'accomplissement d'un vou, la Cathédrale de l'autre, dont les travaux languissaient depuis plus de trente ans, étaient l'objet de ses plus constantes préoccupations; il ne lui a été donné ni de bénir ni d'achever la nouvelle église de Saint-Donatien, mais il a eu du moins la consolation de savoir que la plus grande partie de cette église serait prochainement livrée au culte; et, s'il n'a pu, comme son patron, saint Félix, couronner l'œuvre de sa cathédrale, cumulare opus, il a mis, du moins, la main au comble de l'édi fice, la veille même de son départ pour Rome, et est parvenu à réunir les fonds nécessaires pour assurer son achèvement. Son nom demeure donc inséparable de ce monument grandiose.

Mgr Fournier s'était préparé au voyage de Rome par une tournée pastorale où, suivant son habitude, il n'avait ménagé ni son temps ni ses forces. A Saint-Nazaire, il donnait successivement la confirmation dans les deux paroisses, visitait tous les établissements pieux, toutes les écoles, prenait la parole

1 Voir la bulle d'institution aux Preuves de Dom Morice, t. 11, col. 1748.

cinq fois dans le même jour, restait enfin sans repos pendant huit heures. Les plus jeunes de son entourage étaient épuisés, mais lui semblait dominer la fatigue. Le lendemain, à Guérande, il ne s'épargnait pas davantage, et, huit jours après, à Rome, il conduisait, lui-même, ses pèlerins à toutes les stations. Le premier jour, c'était à Saint-Pierre, le second, à Saint-Jeande-Latran, le troisième, à Saint-Paul hors des murs, le quatrième, à Sainte-Marie-Majeure. Partout il célébrait la messe et faisait entendre de ces allocutions ardentes qu'échauffait sa flamme de Français et d'apôtre; « il se surpasse, écrivait un de ses pèlerins 2, jamais il ne m'avait captivé à ce point par son éloquence. »- « Plusieurs évêques ayant vu ces exercices, lisions-nous dans l'Univers, ont publiquement manifesté l'admiration que leur inspirait l'attitude des pèlerins nantais », et un prélat italien disait : « Si tous les évêques français conduisent ainsi leurs fidèles, votre patrie est appelée de nouveau à un grand avenir. 3 »

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L'audience pontificale avait été fixée au vendredi 1er juin. Depuis un mois, Pie IX ne cessait de recevoir les adresses les plus remarquables, et cependant Mgr Fournier sut se faire écouter avec des marques visibles d'approbation, par ce don de l'à-propos qui lui manquait rarement. Il rappela à Sa Sainteté le premier apôtre du diocèse de Nantes, saint Clair, apportant de Rome le clou qui avait attaché la main droite de saint Pierre à la croix, et qui nous a tous attachés pour jamais, ajouta-t-il, à la chaire de Pierre; il rappela les La Moricière, les Pimodan, les Charette, les Guérin, ces gloires du diocèse qui sont aussi des gloires romaines; il évoqua notre ancien titre de pays d'obédience qui faisait rugir Voltaire dans ses lettres à

1 Univers du vendredi 8 juin.

2 M. l'abbé Stanislas Peigné, de l'Immaculée-Conception.

3 Semaine religieuse de Nantes, p. 538, et Espérance du Peuple. Lettre de M. H. Le Gouvello.

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