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LETTRES INÉDITES DU ROI CHARLES VIII

A LOUIS DE LA TRÉMOILLE

SUR LA GUERRE DE BRETAGNE

Au moment où nous venions d'achever notre étude sur La Trémoille et la guerre de Bretagne, notre excellent ami, M. Léopold Delisle, administrateur-général directeur de la Bibliothèque nationale, a bien voulu nous adresser la copie d'onze lettres inédites du roi Charles VIII, dont il vient d'acquérir les originaux pour le grand et admirable dépôt qu'il dirige avec une science et un zèle connus du monde entier.

Ces onze lettres sont toutes écrites au vainqueur de Saint-Aubin du Cormier, sauf la première qui est adressée à sa femme, et la dernière à un officier de finances, « secrétaire de la guerre. >>

La première de ces lettres est d'octobre 1487 et a trait aux derniers jours de la première campagne de Bretagne; elle montre combien était difficile, par les mauvais temps et les mauvais chemins d'automne, l'approvisionnement de l'armée royale en Bretagne: difficulté qui obligea de la retirer du duché presque tout entière pour prendre ses quartiers d'hiver en France.

Les dix autres lettres sont datées de juin à septembre 1488.

Celle du 1er juin (no II) est particulièrement intéressante, parce qu'elle donne le chiffre exact des troupes envoyées de France à cette date pour former l'armée de La Trémoille, chiffre qui monte à 16,092 hommes, sans compter les pensionnaires du roi. Il est vrai qu'il y avait des manquants, parce que tous les capitaines n'étaient pas assez soigneux de « faire retirer leurs gens à leur enseigne »; mais pour la faute qu'ils en font, dit TOME XLI (I DE LA 50 SÉRIE.)

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le roi, nous n'en laissons pas à payer l'argent. » Jaligny dit qu'au siége de Châteaubriant, c'est-à-dire au début de la campagne, en avril 1488, l'armée française était de 12,000 combattants. En observant avec soin tous les renforts mentionnés depuis cette date dans la Correspondance de Charles VIII, nous avions été amené à en porter le chiffre à 15,000 hommes au moment de la bataille de Saint-Aubin (ci-dessus, p. 223); la lettre ci-dessous no II nous donne pleinement raison.

Les nos III et IV ont trait à la prorogation de la trève qui suspendit, pendant le mois de juin, les hostilités entre les deux partis.

Les nos V, VI, VII, VIII (22 juin à 24 juillet) concernent diverses mesures de détail prescrites par le roi pour augmenter la force de ses troupes et assurer leur bon armement.

Par le n° IX (27 juillet) nous apprenons que, quelques jours avant la bataille de Saint-Aubin, un combat (jusqu'ici ignoré des historiens) avait eu lieu entre les gens d'armes du sire d'Albret et un détachement de l'armée française: apparemment ces deux troupes, battant de part et d'autre la campagne en éclaireurs, se rencontrèrent entre Fougères et Andouillé, où le quartier général breton resta jusqu'au 26. On remarquera que cette lettre de Charles VIII a pour objet un acte de clémence, qui confirme tout ce que nous avons dit des dispositions du roi dans notre Légende du souper de La Trémoille.

D'après le n° X, Charles VIII apprit seulement le 2 septembre 1488 la ratification du traité du Verger par le duc de Bretagne ratification que les ambassadeurs français étaient allés dès le 25 août demander au duc. La longueur de ce délai autorise à croire qu'il y eut, au dernier moment, contre ce traité un peu de cette opposition que prévoyait Charles VIII 2. Les louanges et les remerciements que le roi prodigue dans cette lettre à ses auxiliaires suisses prouve l'importance capitale de leur rôle dans cette campagne.

Enfin, cette lettre et la dernière (no XI) montrent que la Bretagne fut évacuée par l'armée du roi au commencement de septembre.

Nous ne saurions trop remercier M. Delisle de cette précieuse communication, qui couronne, en l'éclairant, notre travail et complète la belle publication de M. le duc de La Trémoille.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

1 Dans Godefroy, Hist. de Charles VIII, p. 48.

*Voir Corresp. de Charles VIII, n° 193, p. 214, et ci-dessus, p. 277.

I

(Laval, 20 octobre 1487.)

A MA COUSINE MADAME DE LA TRIMOILLE'.

Ma cousine, j'ay esté adverty presentement que en mon ost y a tres grande necessité de vivres, par ce que les vivres qui sont és estappes, mesmement à Chasteau Gontier, ne peuvent vuider pour faulte de charroy. Pourquoy je vous prie, sur tout le plaisir que vous me desirez faire, que vous vueillez faire secourir mes commissaires des vivres de Chasteau Gontier dudit charroy, en manière que les vivres qui sont audit lieu en grande quantité puissent estre charriez et menez en l'ost; car autrement l'avitaillement et fourniture desdiz vivres ne se pourroit continuer, qui me seroit ung dommage irréparable, comme assez le pouez entendre. Et en ce faisant, vous me ferez ung tres singulier plaisir ; car à plus grant affaire ne pourroit venir ladicte ayde. Et adieu, ma cousine.

Escript à Laval, le xxe jour d'octobre 2.

CHARLES.

E. PETIT.

II

(Angers, 1er juin 1488.)

A NOSTRE CHER ET FÉAL COUSIN LE SIRE DE LA TRimoille, nostre LIEUTENANT, Et a noz amez ET FÉAULX LES CAPPITAINES ESTANS EN SA COMPAIGNIE, ET AUTRES QUE Y ENVOIASMES HIER.

De par le roy.

Cher et féal cousin, et vous noz amez et féaulx, pour ce que les seneschaulx et le sieur de Saint André, eux estans par deça et

Gabrielle de Bourbon, femme de Louis II de La Trémoille.

2 Il est constant que Charles VIII séjourna à Laval pendant la plus grande partie d'octobre 1487; le Conseil du roi y tint séance, entre autres, les 4, 6, 8, 11, 12 et 15 de ce mois (Arch. Nat. V5 1040). On ne voit nulle part, au contraire, que le roi ait résidé en cette ville à aucune époque de l'an 1488.

débatant de noz affaires avec noz gens estans icy, ne peurent pas bien savoir le nombre des gens de guerre que nous avons là où vous estes payez à nostre soulde, tant gens de cheval que de pyé, et qu'il nous a semblé qu'il estoit besoing que le sceussiez au vray pour vous en ayder et en faire le departement selon l'affaire que vous adviserez ensemble, nous avons fait chercher les papiers de noz gens de finances, et les avons trouvez par le menu, lesquelz nous vous envoyons cy dedans, qui doy vent estre en nombre XVI IIII** XII hommes, sans noz pencionnaires et autres qui ilz sont allez de leur voullenté.

Et sy vous dictes que le nombre n'y est pas, nous croyons bien que non, mais il fault bien que chascun entende qu'il tient à ceulx quilz ne nous servent pas ainsi qu'ilz doyvent, c'est à assavoir à noz cappitaines tant des grans ordonnances que des gens de pié, et aussy à noz commissaires. Car pour la faulte qu'ilz en font, nous n'en laissons pas à payer l'argent, et par noz clers qui en font les payemens, qui sont là où vous estes, le pourrez savoir: parquoy est besoing que vous parlez à tous les cappitaines qui sont par dellà, vous nostre cousin de la Trimoille et noz gens qui sont aujourduy partiz d'icy, affin que chascun face retirez ses gens à son enseigne : car il sera besoing de faire une reveue entre cy et peu de temps, affin que nous congnoissons ceulx par qui la faulte vient.

Et au seurplus faictes nous tousjours savoir de voz nouvelles, et de ce qui nous seurviendra en serez incontinant advertiz.

Donné à Angiers, le premier jour de juing.

CHARLES.

III

BERZIAU.

(Angers, 15 juin 1488).

A NOSTRE CHER ET FÉAL COUSIN LE SIRE DE LA TRIMOILLE, NOSTRE

LIEUTENANT.

De par le roy.

Cher et féal cousin, nostre frère le duc de Bourbon fait responce aux lettres que le sieur de Dunoys luy a escriptes. Nous les vous

envoyons en ung pacquet avecques aucunes autres lettres. Faictes qu'ilz les ayent aujourd'huy avant soleil couché, ou à la plus grant dilligence qu'il vous sera possible.

Donné à Angiers le XVe jour de juing.

CHARLES.

DE SAINT-MARTIN.

(Cédule attachée par une épingle.)

En ensuyvant ce que aujourduy nous vous avons escript1, nous sommes d'avis que ne devez demain partir. Et gardez bien pour tout le jour qu'il ne se face aucune course.

IV

(Angers, 16 juin 1488.)

A NOSTRE CHER ET FÉAL COUSIN LE SIRE DE LA TRIMOILLE, NOSTRE

LIEUTENANT EN NOSTRE OST.

De par le roy.

Cher et féal cousin, nous vous envoyons cy dedans encloz le double d'unes lettres que le duc de Bretaigne nous a aujourduy escriptes, ensemble de la responce que luy avons sur ce faicte, affin que vous voiez sur le tout bien amplement de nostre intencion. Et pour ce faites selon le contenu de nostredicte responce jusques à samedi prouchain, combien que par noz autres lettres vous ayons lousjours mandé jusques à vendredi pour tout le jour seullement 2. Et au regard des lettres qui vous ont été escriptes de Nantes,

1 C'est-à-dire, la lettre n° 122 (p. 137) de la Correspondance de Charles VIII, datée du 15 juin, où le roi dit à La Trémoille: Nous avons receu vos lettres, ensemble celles que le sire de Dunoys escripvoit à nostre frère le duc de Bourbon..... Ne partez demain pour tout le jour et ne faites course en ce pays qui leur soit dommageable. D. Morice a aussi publié cette lettre (Hist. de Bret., t. II, p. CCXLIX).

2 Les lettres du roi à La Trémoille, des 14 et 15 juin, portent en effet textuellement : « Jusques à vendredi prochain pour tout le jour. » (Corresp. de Charles VIII, n° 117 et 122, p. 134 et 137). Cette lettre-ci est donc nécessairement postérieure et doit avoir été écrite dès le lendemain, c'est-à-dire le 16 juin, pour faire connaître au général la prolongation de la trève jusqu'au samedi.

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