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amical. Après les deux grands succès de La Trémoille,

Saint

Aubin et Saint-Malo le ton de Graville change et tourne à l'aigre. Ses deux dernières lettres, du 17 et du 28 août 1488, sont celles d'un homme obligé de garder des mesures, mais brouillé à fond. Le ton du roi vis-à-vis de son général se modifie dans le même temps et dans le même sens : les deux lettres du 31 août, dont on a déjà parlé, en faveur des habitants de Fougères et de Saint-Malo, sont d'un style impérieux, presque menaçant 2. Le même jour, Charles VIII prend une autre mesure qui a presque, à l'égard de La Trémoille, un caractère de méfiance. Au lieu de lui laisser le soin qu'il avait pris jusque-là de régler les difficultés soulevées entre les vainqueurs par le partage du butin et des prisonniers de Saint-Aubin et de Saint-Malo, le roi prescrit de mettre tout en sa main pour en décider lui-même souverainement 3. En même temps il donne à Graville le gouvernement de Saint-Malo (pure sinécure). Il est facile, après cela, de reconnaître la main qui, en octobre 1488, fit refuser à La Trémoille la direction de la nouvelle guerre de Bretagne.

L'oubli des intérêts ou plutôt des droits du vainqueur de SaintAubin alla plus loin. Il avait fait, durant son commandement, pour les nécessités urgentes de la guerre de grandes dépenses: sa femme s'était vue obligée d'engager ses bijoux pour lui envoyer de l'ar

1 Corresp. de Charles VIII, n** 190 et 194, p. 211, 215.

2

Et pour ce pourvoiez-y (dit le roi) ainsi qu'il appartient, nous donnons merveilles que ne l'avez autrement entendu, et ne serions pas content qu'il y eust faulte. ▾ Ibid., n° 195, p. 217.

3. Cher et féal cousin, plusieurs capitaines et gens d'armes se sont plaints à nous de la manière qui a esté tenue jusques icy touchant les prisonniers, morts, butin et toutes autres choses qui y doivent estre mises, tant de ce qui fut pris et gagné à la bataille de Saint Aubin que de tout ce qui depuis a esté fait à Saint Malo, nous requérans y donner provision. A ceste cause, nous avons ordonné que le tout sera mis et arresté en nos mains, quelque part qu'il y en ait, ensemble les deniers qui jà en sont venus et peuvent venir... Et pour ce donnez y ordre en manière que ce que en avons ordonné et appointé soit tenu et gardé, car s'il y en a aucuns qui soient trouvès faisans le contraire, nous n'en serons pas contents et voulons qu'il n'y ait point de faute. Ibid., 196, p. 218.

gent, ses avances au roi pour cet objet dépassaient 12,000 livres (plus de 400,000 fr. de nos jours). En novembre 1488, on ne lui avait pas encore remboursé un sou; il était contraint d'écrire au roi pour se rappeler à lui et lui recommander aussi ses vassaux du Craonnais fort maltraités par la guerre. Le roi lui répondait le 17 novembre: « Je sçay bien que vous avez faict des despenses et vos » subjets des pertes; mais aussi vous avez eu de l'honneur large» ment, qui est demy récompense de la mise que vous y avez faicte. » Toutefois je parfournirai le demourant en manière que voz en» fans ne se sentiront point de ce dommaige 2. »

C'est seulement l'année suivante que le roi assigna sur ses recettes une somme de 12,000 livres à La Trémoille « pour partie de la » récompense des fraiz et despenses qu'il a convenu audit sei

gneur faire l'année passée (1488) en l'armée de Bretaigne dont il » estoit chef 3. » Aux termes de la lettre de Charles VIII du 17 novembre, cette somme de 12,000 livres ne représenterait guère que la moitié des avances de La Trémoille, l'honneur l'ayant indemnisé du surplus.

En 1489, La Trémoille n'eut plus de charges de ce genre. La guerre de Bretagne recommença, il n'y parut pas; il l'eût vraisemblablement finie cette année même, son absence la fit durer deux ans de plus. Pour la Bretagne, deux ans de plus de ravages et de souffrances, mais aussi deux ans de plus d'une résistance qui accrut son honneur. Pour la France, deux ans de plus de lourds sacrifices en hommes et en argent, fécondés par des pratiques d'une loyauté douteuse, en un mot une perte sèche.

XXV

Par un jeu du sort plus imprévu qu'étonnant, moins d'un siècle après la mort du vainqueur de Saint-Aubin, sa famille avait pris

Ibid.. n° 217. p. 243.

2 Ibid., n° 200, p. 222.

3 lbid., n° 234, p. 264.

Louis de La Trémoille fut tué en 1524, à la bataille de Pavie,

place à la tête de l'aristocratie bretonne. La baronnie de Vitré, entrée dans cette maison par suite d'une alliance au commencement du XVIIe siècle, lui donnait, alternativement avec Rohan, la présidence des États de Bretagne pour l'ordre de la noblesse. L'héritier du destructeur de l'indépendance bretonne était désormais le défenseurné des libertés de Bretagne. Dans ce nouveau rôle, les La Trémoille montrèrent envers cette province la même loyauté, la même fidélité au devoir que leur illustre aïeul envers la couronne de France sur le champ de bataille de Saint-Aubin. Jusqu'à la révolution, ils rendirent aux Bretons les plus grands services; ils se firent chez eux un renom de courtoisie, de droiture et d'honneur, qui dure

encore.

En publiant la Correspondance de Charles VIII, si utile pour éclairer les annales bretonnes, M. le duc de La Trémoille n'a fait que continuer, à l'égard de la Bretagne, une tradition de famille. Comme Breton, nous tenions à l'en remercier. La meilleure manière de le faire était, croyons-nous, de montrer en partie du moins — les précieuses ressources, les grandes lumières que cette publication fournit à l'histoire.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

LE SOUS-PRÉFET

COMÉDIE EN TROIS ACTES

Personnages:

M. DE NOIRVILLE;

MARGUERITE, sa fille;

M. LE BORGNE DE VILLENEUVE, sous-préfet;
JULES MARTIN, journaliste.

ACTE PREMIER.

La scène se passe au château de M. de Noirville, dans son cabinet.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. DE NOIRVILLE, seul, regardant de temps en temps à la fenêtre. - Quel affreux orage! Le tonnerre et la pluie ne veulent pas cesser, voilà deux heures que cela dure, et je ne sais pas où ces dames auront pu se réfugier. Elles sont sorties à pied depuis le déjeuner, pour quelque tournée de charité; je leur disais bien que le temps était menaçant, mais je ne soupçonnais pas de telles avalanches. J'ai envoyé à tout hasard la voiture à leur recherche; elle ne rentre pas. Il me semble que j'en entends rouler une du côté de l'avenue. (Il écoute.) Oui, le bruit se rapproche. Nous allons voir au détour. -Non, ce n'est pas mon cheval blanc. Qui peut songer à me faire une visite par un temps pareil? La voiture s'arrête bien au perron. Un jeune homme inconnu en descend. Il offre la main à une jeune fille. Je ne me trompe pas, c'est Marguerite.

Quelle aventure! Et où est ma femme? Ah! la voici qui des

cend à son tour toute ruisselante. Allons à leur rencontre. (Il ouvre la porte).

VOIX DE FEMME, du dehors, avec un éclat de rire.

Nous n'entrons pas, mon père, et allons vite nous changer dans nos chambres. Nous sommes mouillées comme des éponges.

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- Je le crois bien, si vous avez reçu toute cette

Nous n'en avons pas perdu une goutte.

SCÈNE II.

M. DE NOIRVILLE, LE SOUS-PRÉFET.

M. DE NOIRVILLE. service, Monsieur ?

LE SOUS-PRÉFET.

--

A qui ai-je l'honneur d'être redevable de ce

A votre nouveau sous-préfet, M. de Villeneuve, qui ne s'attendait pas à vous faire ainsi sa première visite. M. DE NOIRVILLE. Je croyais avoir lu que notre nouveau souspréfet se nommait M. Le Borgne.

LE SOUS-PRÉFET.-M. Le Borgne de Villeneuve, si vous le voulez bien.

M. DE NOIRVILLE. Daignez recevoir mes excuses, Monsieur de Villeneuve, et plus encore mes remerciements. Comment avez-vous rencontré ces dames?

LE SOUS-PRÉFET. - Blotties contre une haie, qui ne les protégeait guère, je vous assure. Je rentrais d'une course et regagnais la ville, de toute la vitesse de mon cheval de louage, quand je les ai aperçues ainsi au bord de la route. Naturellement je me suis arrêté pour les recueillir, et je me suis fait un devoir de les ramener chez elles. M. DE NOIRVille.

votre attention.

Je suis on ne peut plus reconnaissant de

Le sous-préfet. — La chose la plus simple du monde. Qui n'en

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