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NOTICES ET COMPTES RENDUS

LES CONFRÉRIES BRETONNES, leur origine, leur rôle, leurs usages et leur influence sur les mœurs, par M. Léon Maître, membre de la Société de l'Ecole des Chartes, officier d'Académie, archiviste de la Loire-Inférieure. In-8° de 50 pages. (Nantes, Vincent Forest et Emile Grimaud, place du Commerce, 4. Se trouvent chez les principaux libraires de Bretagne).

Ce titre seul attire l'attention et mérite l'intérêt; il le mérite d'autant plus que l'auteur, M. Léon Maître, n'est certes point un fantaisiste qui fait de l'histoire à vol d'oiseau, mais un érudit sérieux, minutieux, dont chaque ligne repose sur un document, chaque appréciation est justifiée par une étude où la science et la conscience sont toujours d'accord. Déjà M. Maître nous a prouvé, pièces en mains, que le vieux temps, le temps de Bossuet et de Corneille, n'avait été pour personne en France le temps de l'obscurantisme; il nous a fait suivre les pas de la charité, cette sœur aînée, très-aînée de la philanthropie, depuis ses premières aumôneries constamment ouvertes aux pauvres, aux malades, aux voyageurs, jusqu'à nos hôpitaux actuels, incomparables pour l'entente de l'hygiène, pour tout ce qui tient à la science technique, mais qui ne sont arrivés à ce point de perfection que par les essais accumulés de bien des siècles de tâtonnement et de dévouement. Aujourd'hui, c'est encore l'histoire de la charité qu'il nous donne, mais sous une autre forme, celle des secours mutuels, c'est-à-dire de la fraternité. On s'étonne quelquefois que les anciens hospices fussent surtout consacrés aux pèlerins et aux indigents et que la pensée des malades n'y vînt que la dernière; mais pourquoi ? Parce que le soin des malades revenait de droit aux membres de leur confrérie. Il n'y avait, en effet, que les gens sans aveu qui n'appartinssent pas à quelqu'une ou à plusieurs de ces associations fraternelles dont le but était de s'aider à vivre et, quand le jour était venu, à bien

mourir. Un homme sans aveu était précisément un homme sans avoué, ou, en d'autres termes, sans patron, sans confrères, à peu près ce qu'on appelle aujourd'hui un vagabond ou un repris de justice.

M. Léon Maître constate que son collègue du Morbihan, M. Rozensweig, a rencontré des confréries dans les plus humbles villages et que lui-même, sans avoir eu le temps de fouiller les archives de toutes nos paroisses, avait pu s'assurer souvent de l'existence d'une confrérie au moins, dans les plus petites. A Nantes seul, il en compte vingt-six, indépendamment des corporations de métiers, qui étaient elles-mêmes de véritables confréries. Tel était l'état des choses avant la grande époque qu'on nous donne comme l'ère fatidique de la fraternité.

D'où provenaient ces institutions de piété et de bienfaisance? M. Léon Maître n'hésite pas à le dire: elles provenaient de l'Evangile. C'était la traduction en œuvres de la parabole du Samaritain et de toute cette loi d'amour qui ne voyait que des frères dans tous les hommes. C'était aussi, comme le fait très-bien remarquer M. Maître, la pensée de l'éternité avec ses chances terribles. Prier les uns pour les autres fut toujours et partout la première préoccupation des confrères; il y avait même des confréries qui n'avaient pas d'autre but. Hier encore, à Rome, avant l'invasion du Kulturkampf, le plus pauvre convoi se distinguait à peine du plus riche, tant étaient nombreux les confrères qui lui formaient cortége, et étincelant de lumières le cénotaphe de la confrérie. Les suppliciés eux-mêmes avaient leur escorte, leurs torches, leurs messes, leurs prières, que leur assuraient les statuts de diverses associations.

Augustin Thierry a voulu voir l'origine des confréries dans la Ghilde des Scandinaves; c'est oublier, lui répond très-bien M. Maître, qu'entre la Ghilde des sectateurs d'Odin et les confréries des disciples du Christ, il y a eu la période des invasions barbares et le cataclysme moral qui en fut la suite; c'est méconnaître, en outre, le caractère fondamental des associations chrétiennes, qui était la prière. Quant au principe de secours mutuels que Thierry signale dans la Ghilde, M. Léon Maître le met en doute: « Je n'ai pas » trouvé, dit-il, dans les pièces justificatives du livre, la moindre > confirmation de cette théorie hasardée. »

Qu'était-ce en effet que la Ghilde? C'était un banquet funèbre où

des coupes, disons plus justement, des cornes, étaient vidées en l'honneur des dieux, des héros et des amis. Tous ceux qui y prenaient part faisaient le serment de se défendre les uns les autres, voilà tout; mais la pensée de l'avenir, vous ne l'apercevez pas. Le membre de la Ghilde est nommé le Convive; le membre de la confrérie est nommé le Confrère; n'y a-t-il pas là toute une différence?

Je sais bien que le mot de Ghilde se retrouve souvent dans les lois saxonnes avec un sens chrétien et appliqué à des associations chrétiennes; mais je sais également que le mot d'Olympe figure dans quelques-unes de nos hymnes; ce qui ne prouve nullement qu'on ait jamais confondu, dans le christianisme, la demeure de Dieu avec la demeure des dieux.

En définitive, la confrérie était un pacte d'amitié comme la Ghilde, et sa fête patronale était ordinairement suivie d'un banquet; mais le banquet était la partie principale dans la Ghilde; il n'était que l'accessoire dans la confrérie. Les confrères n'y voyaient qu'un souvenir des agapes chrétiennes, qui apparemment ne remontaient pas à la Ghilde.

Si maintenant nous voulions entrer dans le détail, que de différences! Les convives de la Ghilde s'entraidaient les uns les autres; les confrères faisaient plus : non-seulement ils pratiquaient la charité entre eux, mais ils la pratiquaient encore hors du cercle de la confrérie. Il était rare qu'une quête ne fût pas faite pour les pauvres, et le produit de ces quêtes a suffi quelquefois pour soutenir des hospices. L'obligation de s'aider n'était pas, en outre, vague et générale; elle précisait l'entretien des pauvres, le soin des malades; quelquefois, des dots pour les jeunes filles 2; en première ligne, partout l'enterrement des confrères et des prières pour leurs âmes. Que sont nos sociétés de secours mutuels près de celte vaste et fraternelle organisation? Par les tiers-ordres, le christianisme, suivant le mot de Montalembert, avait introduit la vie monastique dans la

L'hôpital du Saint-Esprit, à Marseille, ne pourvoyait à la nourriture des pauvres auxquels il servait d'asile, que du produit des quêtes faites par la confrérie des droits de l'évêque et du clergé, fondée en 1212. On pourait citer bien d'autres exemples.

L'archiconfrérie de la Sainte-Annonciade, à Rome, distribuait, à elle seule, 400 dots à de jeunes filles pauvres, le jour de sa fête. Le nombre des jeunes filles dotées dans la capitale du monde chrétien, s'élevait à plus de 1,500, et le total des dots à 600.000 écus (plus de 3.000.000 de francs).

famille et la société; par les confréries, il introduisait, en quelque sorte, la société et la famille dans l'étroite fraternité dont la vie monastique était le plus complet modèle.

M. Léon Maître nous donne les statuts de trois confréries bretonnes: celle des saints Pierre et Paul, dans notre cathédrale, de Toussaint à Vannes, et de Toussaint sur les ponts de Nantes. Le premier statut est toujours consacré au devoir de la prière et à l'assistance aux messes, vêpres et divers offices de la confrérie. Des amendes sont prononcées contre les absents, contre ceux qui vont vagabonds par l'église au lieu d'aider à chanter, suivant leur possibilité et scavance; contre ceux qui, à bon escient, font cheoir de la cire sur leurs confrères; puis vient le chapitre de la charité. Si un frère est malade, les autres frères sont tenus de le visiter et conforter et caritativement inducer au salut de son âme. Est-il indigent ou besoigneux, chaque membre de la confrérie est tenu de lui aider, ainsi comme un frère est tenu faire pour l'autre.

Le dîner qui réunissait les membres de la confrérie, au jour de la fête patronale, devait être donné en lieu honnête, et se passer en silence, sans scandale, ni murmure, ni moquerie d'aucune personne par signe ou autrement, et si quelqu'un osait le contraire, s'il advenait discension ou riote, une amende était prononcée contre le coupable. Ces statuts sont des modèles de prévoyance et de convenance. Mais, quelque soin que l'on prît de s'assurer de la bonne vie et honneste conversacion de tous les confrères, ils étaient trop nombreux pour qu'avec le temps on ne vit plus d'un abas. Les œuvres pieuses ne se soutiennent que par la piété, et, si la piété diminue, elles déclinent. Le diner donna lieu parfois à des désordres. M. Léon Maître ne les dissimule pas. Les confréries, d'un autre côté, accaparèrent un peu trop les églises, comme si elles leur appartenaient. Je pourrais citer telle confrérie des Trépassés, dans notre diocèse, qui encombrait l'église paroissiale, le jour des Morts, de blé, de laine, de lin, de victuailles mortes ou vivantes dont elle faisait une distribution aux pauvres après l'office; et, pendant l'office, le bruit, l'agitation, les piaulements, les querelles rendaient tout recueillement impossible. Les curés protestaient, mais les sacristains, nommés à l'élection et choisis de préférence parmi les particuliers bons enfants, laissaient trop souvent faire.

1 Ce sont les termes mêmes dont se servent les curés.

Il y avait donc beaucoup à réformer; la Révolution réforma à sa manière, c'est-à-dire qu'elle supprima; comme elle ne pouvait cependant supprimer le besoin d'association, qui est de l'essence même de l'humanité, et que, d'ailleurs, toutes les associations ne lui déplaisaient pas, il s'établit un courant terrible vers les sociétés secrètes et ténébreuses, compagnonages, franc-maçonnerie, ventes, serments sur le poignard. A ce courant fatal répond heureusement aujourd'hui un autre courant, le vieux courant chrétien, rendant sa fécondité ancienne à notre sol dévasté. Les anciennes confréries renaissent, sans le banquet peut-être, mais avec la charité et la piété des premiers temps. La Révolution croyait avoir inventé les sociétés de secours mutuels; elle est réduite à s'apercevoir que ces sociétés sont aussi anciennes que la foi et que jamais elles ne sont plus nombreuses que dans les pays où règne la foi. Comment énumérer toutes les associations pieuses de notre siècle? Leurs statuts et comptes rendus forment déjà bien des volumes qui promettent une riche moisson aux archivistes de l'avenir: conférence de SaintVincent-de-Paul, pour l'assistance des malheureux; sociétés de SaintFrançois Xavier, de Saint-François Régis, de Saint-François de Sales pour aider l'ouvrier, soutenir la famille, protéger la foi contre l'hérésie; confréries du Saint-Sacrement, du Saint-Rosaire, de la Bonne-Mort, etc., etc., s'étudiant à renouveler dans le monde l'esprit de prière. Tel est le spectacle que nous offre notre époque. Si l'âme y est souvent attristée, elle y trouve aussi bien des motifs d'espoir et de consolation. En face de l'ennemi, la famille chrétienne resserre ses liens; on se rapproche, on s'appuie, on sent mieux chaque jour combien il est doux pour des frères de vivre, de marcher et de combattre ensemble: Quàm bonum et quàm jucundum habilare fratres in unum!

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

LES SONGÈRES, roman, par M. Ch. Robinot-Bertrand.

jésus. Paris, A. Lemerre, 1877.

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Le public aime les romans; bons ou mauvais, il lui en faut. Récréation pour les gens occupés, ce genre de lecture est, pour les oisifs, un moyen de passer le temps. Le fait est qu'à aucune époque, celte forme de la pensée n'a tenu dans la littérature une place com

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