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d'y laisser chacun monter à sa guise et se grouper selon les sympathies. Enfin tout le monde est casé; les chevaux piaffent d'impatience; nous croyons partir, mais une large distribution de mirlitons, excite à la joie générale. C'est le commandement de la gaîté et le signal du départ.

Nous parcourons la paisible cité que M. Ardouin Dumazet a comparée à un poulpe étendant ses tentacules à cause de ses longs faubourgs rayonnant sur les routes. Il faut croire que le soleil s'était fait inscrire aussi sur la liste de l'excursion, car il s'est montré, après avoir boudé toute la semaine, avec ses chaudes caresses, tempérées par une légère brise. Aussi la route de Bailleul à Ypres s'estelle déroulée à nos regards avec ses plus beaux décors.

A gauche, se dresse dans le lointain le mont des Cats environné de lumière; à droite, nous longeons l'asile des aliénées que nos amis ont visité dimanche dernier, et derrière nous, dans le fond du paysage, apparaît toute l'agglomération de Bailleul.

Nous traversons ce pays essentiellement agricole et particulièrement favorisé des dons de Cérès, et nous sommes heureux de nous retremper dans la calme atmosphère des champs, au milieu d'une campagne fertile et pittoresque à la fois. Bientôt nous découvrons à droite le mont Noir, assez aride, mais entouré de riants pâturages; puis quelques collines, on plutôt quelques légères excroissances de terrain que l'on dénomme « monts » sont semées par ci, par là, et viennent rompre l'uniformité du paysage. Mais voici que le pas des chevaux se ralentit; nous gravissons une côte, par un chemin coquettement couvert d'une voûte de verdure, à la sortie duquel nous faisons halte à Locre, petit village belge. Nous dominons un peu le pays et nous apercevons, se profilant bien découpés à l'horizon, deux nouveaux monts, le mont Rouge et le mont Aigu.

Le second village belge qui se trouve sur notre chemin est Klite avant d'arriver à Dyckebusch. Ici nous descendons de voiture et nous nous dirigeons vers l'étang de Dyckebusch, vaste étendue d'eau (59 hectares) d'une profondeur de 3 à 4 mètres, où pullulent, paraît-il, les brochets. Par une claire journée, le panorama, qui s'offre à nos yeux, n'est rien moins que séduisant. Dans le lointain, le mont Kemmel surplombé de son observatoire, en avant la nappe liquide sur laquelle les nymphéacées semblent pencher leurs têtes jaunes et blanches; à gauche et à droite, de verdoyantes prairies venant mourir aux bords de l'étang.

Après avoir admiré ce charmant décor, nous remontons en voiture pour nous diriger directement vers Ypres, où nous arrivons vers midi. Notre entrée dans la ville par la rue au Beurre (une des principales artères) fait sensation, et c'est à travers une double haie de curieux que défilent nos équipages. C'est l'heure de la sortie de la messe; la foule endimanchée nous regarde avec étonnement; c'est aussi le jour des élections, ce qui donne une animation inaccoutumée à la petite cité d'ordinaire endormie et dont l'aspect monacal nous fait penser à Bruges-la

Morte.

Autrefois capitale de la Flandre occidentale, Ypres comptait près de 200,000 habitants. Au XIVe siècle, elle possédait 4,000 métiers de tisserands; elle était alors la métropole de l'industrie des draps. Il ne reste de cette ancienne splendeur que les monuments que nous admirons aujourd'hui, et la population réduite à 11,000 habitants a peine à vivre en fabriquant des dentelles.

Ypres, sur l'Yperlée, est située dans une plaine fertile conquise sur des marais. On remarque encore, à l'entrée de la ville, d'anciens bastions plongeant dans l'eau. Son histoire est assez curieuse. Ypres fut prise quatre fois par les Français (1648, 1649, 1658, 1678). Elle resta à la France jusqu'à 1715 et fut démantelée en 1782. Elle fut encore française de 1792 à 1814.

Notre temps est précieux; nous consacrons les instants qui nous séparent du dîner à visiter la Halle et la Cathédrale.

La Halle des Drapiers est l'édifice le plus intéressant de la ville. Baudouin de Constantinople en posa la première pierre en 1200. Elle fut achevée en 1300. Sa forme est celle d'un trapèze irrégulier, dont la superficie est de 4.800 mètres carrés et les quatre côtés forment une longueur de 350 mètres.

La façade, d'une longueur approximative de 130 mètres, est percée de deux rangs de fenêtres ogivales. Ces fenêtres alternent avec des niches dans lesquelles se tiennent des statues, qui, brisées en 1792, ont été restaurées en 1860. Ce sont les statues des comtes de Flandre depuis Baudouin Bras-de-For jusqu'à Charles-Quint. A chaque extrémité une tourelle et au milieu le beffroi, tour carrée, flanquée de quatre tourelles.

A la Halle est adossé l'Hôtel de Ville, dont la construction hardie date de la Renaissance. C'est l'heure du dîner, aussi avons-nous du mal à trouver un cicerone pour nous faire visiter la Salle écherinale qui sert aujourd'hui de salle des mariages. On est frappé en entrant par la richesse de cette salle ornée depuis 1809, dont les panneaux sont lambrissés de belles peintures murales de G. Greffens et J. Swerts représentant l'entrée de Philippe-le-Hardi dans Ypres en 1304, la lecture d'une ordonnance réclamant un secours pour les pauvres en 1530 et les échevins visitant les écoles. Aux divers coins de la salle sont sculptés de petits écussons représentant les corporations. A retenir aussi le beau plafond en bois et la magnifique cheminée par Malfait, de Bruxelles.

Nous pénétrons ensuite dans la Salle des drapiers, immense galerie où les drapiers traitaient jadis leurs affaires. Les murs ont été décorés depuis 1876 de peintures murales à la cire par F. Pauwels, qui rappellent les principaux événements de l'histoire de la ville pendant sa période de prospérité, c'est-à-dire depuis 1150 jusqu'en 1390. Au fond de la salle est le fameux épisode du siège d'Ypres et de la destruction de ses faubourgs par les Gantois en 1383, ce qui contraint les tisserands à émigrer.

Dans l'autre moitié de la galerie, l'on rencontre des peintures allégoriques relatives à la profession de drapier, exécutées par Delbecke. On a conservé dans cette galerie le pignon en bois d'une vieille maison de boulanger (XVe siècle).

A l'extrémité de la salle se trouve la maquette de la statue de Baudouin de Constantinople, qui orne une des places publiques de Mons.

De l'Hôtel de Ville nous nous rendons à la Cathédrale, à deux pas de la Halle. Dans un square, près de l'église, s'élève la statue d'Alphonse Vandenpeereboom, auteur des << Ypreana », échevin et bourgmestre de la ville d'Ypres, et membre de la Chambre des Représentants.

La Cathédrale St-Martin est la plus belle église d'Ypres, de style romanoogival. La tour est du XVe siècle. Le chœur date de 1221. On y remarque de vieilles fresques et un triptyque de 1525 représentant la Chute de l'homme et la Rédemption. Le chœur renferme la pierre tumulaire du fameux Jansénius, fondateur de la secte des Jansénistes.

Les détails que je viens de donner sur cette vieille cité flamande paraitront un peu sobres aux lecteurs. Je les engage vivement à lire le compte rendu de mon ami G. Houbron, publié dans le Bulletin de la Société (année 1892, 2o semestre, page 367) (1).

Nous voyons ces choses intéressantes un peu trop vivement, mais la consigne

(1) Voir aussi Bulletin, 1885, p. 504, et Bulletin, 1888, 2o semestre, p. 317.

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est de...... dîner, et c'est à l'hôtel de la Tête-d'Or qu'un repas très confortable nous est servi. Au dessert, M. Didry, de Roubaix, lève son verre à la santé de M. Beaufort, qui répond en termes charmants aux quelques paroles improvisées de notre compagnon de voyage. Sur la proposition de M. Beaufort, un vivat est entonné en l'honneur de M. Paul Crepy, Président de la Société de Géographie.

Après une promenade de digestion, nous remontons dans nos voitures et en avant pour le Mont Kemmel! La route est délicieuse, sillonnée de superbes maisons de campagne. Sur la chaussée, quelques grassouillettes figures rubicondes et imberbes de paysans, avec leurs bourgerons luisants et plissés, nous regardent passer l'air ėbahi; d'autres, impassibles, n'interrompent nullement la partie de boule commencée sur le trottoir.

Nous nous arrêtons au pied du mont Kemmel que nous gravissons aisément, et sans nous en apercevoir nous arrivons au sommet, près de l'Observatoire qui s'y dresse. Grande est notre surprise de voir sous la tour, dont la base est à clairesvoies, un ours brun (1) se dodelinant dans sa cage! L'illusion est complète : les habitants du mont Kemmel veulent décidément que leur mont soit une montagne. Du haut du belvédère, la vue s'étend à l'infini. Des villes et des villages se dessinent à l'horizon, de quelque côté que se porte le regard. Le gardien de la tour braque sa longue-vue et nous fait distinguer la grande cheminée de Croix, Tourcoing, l'église Ste-Catherine de Lille. Le coup d'œil est très pittoresque.

Enchantés de notre ascension, nous redescendons le petit sentier ombragé qui dévale en pente assez douce jusqu'au pied du mont. Un lunch nous est servi dans un cabaret flamand. où la propreté va de pair avec la politesse, et notre Directeur nous annonce le départ dans un quart d'heure.

Quelques dames profitent des instants qui restent pour s'aventurer dans un labyrinthe que leurs yeux malicieux ont découvert tantôt. L'heure du départ a sonné et les dames n'arrivent pas. « C'est qu'elles sont égarées dans le labyrinthe, dit un gai compagnon; il faut aller à leur secours ». Nous partons avec nos omnibus et du haut des impériales, nous voyons des dames et quelques messieurs se démener dans le dédale comme des diables dans l'eau bénite. « Prenez à gauche pour sortir » crions-nous. Le conseil n'est pas bon: on veut escalader les haies; impossible, elles sont trop élevées. Enfin, de guerre lasse, nous demandons du secours au jardinier de l'endroit qui s'empresse de tendre à nos infortunés compagnons le fil d'Ariane. Heureux de recouvrer la liberté et pressé par l'heure du départ, chacun reprend sa place en voiture en devisant joyeusement de ce comique incident.

Nous contournons le mont de Kemmel par un chemin boisé et superbe; les douces senteurs du soir montent dans l'atmosphère; on respire le parfum des foins coupés. Déjà le crépuscule envahit la campagne; le soleil, comme un globe de feu, descend à l'horizon et nous l'admirons dans toute la splendeur de son déclin. Nous traversons le village de Neuve-Église; sur sa vaste place s'élève l'église lourde et

massive et sans aucune architecture.

Nous voici sur la route de Steenwerck et quelques minutes plus tard à la gare de cette petite localité, où nous descendons de voiture pour reprendre le train de Lille.

A neuf heures et demie nous retrouvions notre grande cité dans toute l'animation d'une soirée de dimanche et, après avoir serré la main au sympathique organisateur de l'excursion, nous regagnions nos pénates, enchantés et ravis de ce petit voyage.

Docteur ALBERT VERMERSCH.

(1) Cet ours a été rapporté par M. Hubert Brunel d'un de ses récents voyages.

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