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compris ceux de Hammerfest et de Vadsö, ce dernier à l'est du cap Nord, ne gèlent jamais. Cela excite la convoitise de la Russie, dont les ports de la mer Blanche et de la Baltique sont pris pendant quatre ou cinq mois chaque année.

La même cause produit aussi une grande différence de climat entre la Suède et la Norvège. En Suède, aux environs mêmes de Stockholm, par 60o de latitude, le thermomètre descend jusqu'à 30 et 40° au-dessous de zéro, et la glace a parfois une épaisseur de 4 mètres, ce qui n'empêche pas, cependant, la Suède, de posséder le chemin de fer le plus septentrional du globe.

Il a été inauguré par le roi au mois d'août 1894, et va de Lulea sur le golfe de Bothnie, à Gellivara. Franchissant le cercle polaire, il s'élève jusqu'à 67° 15′ : c'est à peu près la latitude qui fut atteinte par Regnard, notre poète comique, il y a plus de deux siècles, en 1681, lorsqu'il parvint à Jukasjaervi. Cette petite ville est située à 80 lieues au nord d'Haparanda, que vous voyez au fond du golfe de Bothnie, et dont les journaux nous donnent la température quotidienne ; et à peu près à la même distance du cap Nord. Sur le registre de l'église de Jukasjaervi, Régnard écrivit le vers suivant:

Sistimus hic tandem, ubi nobis defuit orbis?
(Il fallut s'arrêter, le monde nous manquait ! )

Ce lieu a depuis été visité par Linné en 1732, et en 1796 par le duc d'Orléans, qui fut depuis le roi Louis-Philippe. Le vers de Régnard n'était qu'une simple boutade de poète, car il aurait parfaitement pu s'avancer plus loin : il n'était pas du tout au bout du monde. Du reste, il faut bien le dire, son Voyage en Laponie est d'une lecture agréable à cause de l'élégante facilité du style; mais les savants y apprendront peu de choses, et il contient peu d'observations originales. L'auteur serait bien surpris, s'il revenait aujourd'hui sur terre, d'apprendre qu'on peut aller de Paris au cap Nord en six ou sept jours, lui qui avait dépensé tant de temps et tant d'efforts pour aller seulement au centre de la Laponie suédoise. Ce sont de semblables comparaisons qui montrent le progrès et la marche en avant de l'humanité !

Avançant toujours au nord, nous arrivons à Hammerfest, qui compte 2,200 habitants et fut fondée en 1787. C'est la ville la plus septentrionale du globe par 70° 40′. Quatre navires de guerre anglais étaient à l'ancre quand nous y arrivâmes; mais l'agent consulaire français me disait qu'il y avait dix-huit ans qu'on n'y avait pas vu notre pavillon.

Voilà qui ne prouve pas que nous soyons en progrès! Il est vrai que les renseignements qui me furent fournis manquaient d'exactitude, et que notre agent consulaire n'avait pas conservé le souvenir du passage à Hammerfest du Coligny, qui transporta à Vadsö, en 1881, la mission scientifique de M. le Dr Pouchet et du baron Jules de Guerne (1).

Les habitants d'Hammerfest puisent, dit-on, de l'eau à un ruisseau pendant tout l'hiver, tant la températuro y est douce. Ils ont la lumière électrique, bien précieuse pendant les trois mois d'hiver, où ils sont plongés dans une nuit complète, éclairée seulement par la lune et par les aurores boréales. C'est d'ici que partent les flottes de bateaux de pêche pour le Spitzberg.

Une colonne a été élevée à Hammerfest en souvenir de la mesure faite par l'astronome russe Struve, d'un arc de méridien passant par cette ville et s'étendant sur une longueur de plus de 25o, jusqu'au bord du Danube, à travers la Norvège, la Suède et la Russie.

La petite île de Skaarö (pron. Chôreu), voisine de Tromsö, contient un atelier de dépeçage et de fonderie d'huile de baleine. Il y avait cinq ou six baleineaux qu'on était en train de travailler quand nous nous y arrêtâmes; les résidus graisseux de cet énorme animal, appelės justement guano de baleine et qui sont un de ses produits principaux, répandent une odeur infecte dont vous ne pouvez pas vous faire une idée.

Il n'est peut-être pas inutile de vous donner quelques-unes des dimensions de ce cétacé. La baleine bleue, la plus grosse des mers de la Norvège, a 30 à 32 mètres de longueur, pèse environ 100 tonnes ou 100,000 kilogrammes, et certaines de ses veines ou artères ont 18 à 20 centimètres de calibre. La plus grosse artère de l'homme, l'aorte, ne mesure pas 3 centimètres de section.

Le petit de la baleine atteint parfois, en venant au monde, la longueur de 10 mètres. C'est, comme dit M. Pouchet, le plus grand animal de la création passée et présente. » On prend la baleine avec un harpon muni d'un explosif et lancé par un canon placé à l'avant d'un bateau à vapeur. Cette photographie et deux autres qui ont passé sous vos yeux m'ont été obligeamment prêtées par M. Charles Rabot.

(1) Le distingué conférencier omet de mentionner que notre excellent collègue, M. le Dr Barrois, Professeur d'Histoire naturelle à la Faculté de Médecine, était attaché à cette Mission.

Voir sa conférence du 23 novembre 1891. - Bulletin de 1892, page 293.

Nous arrivons enfin au cap Nord, par 71° 10′ de latitude! C'est un roc de 295 mètres de hauteur, formé par un schiste noirâtre, battu par la tempête, sans végétation, ou tout au moins sans végétation apparente, car un médecin autrichien qui était à bord a découvert au milieu des rochers de délicates petites fleurs, visibles seulement pour un botaniste. Le cap Nord forme l'extrémité de l'ile Magerö ou ile maigre; l'extrémité continentale de l'Europe, appelée Nordkyn (pron. Nordkune), est située un peu à l'est et à 8 kilomètres au sud. Nous sommes bien au-dessus de l'Islande, à la même latitude que l'ile Jan Mayen, et à moins de trois jours de navigation du Spitzberg, qui s'étend du 77° au 80o.

Les derniers jours de notre navigation n'étaient pas des jours de vingt-quatre heures. En effet, par suite de la courbe décrite par les côtes de la Norvège, il y a 23° de différence en longitude entre Bergen et le cap Nord, ce qui donne à ce dernier une avance d'une heure vingt minutes, c'est-à-dire que, lorsqu'il est midi au cap Nord, il n'est encore que 10 heures 40 à Bergen. Or, comme les degrés de longitude deviennent de plus en plus courts à mesure qu'on se rapproche du pôle où ils se confondent tous, on n'est plus, à la fin du voyage, séparé du pôle que par 19° de latitude et, par suite, les degrés de longitude sont très courts. On en parcourt plusieurs en un jour; on va ainsi au-devant du soleil et la journée n'a plus la durée ordinaire de vingtquatre heures. S'il était possible de voyager longtemps dans de semblables conditions, on vivrait un plus grand nombre de jours et on allongerait par suite son existence, mais ce serait une illusion de plus à ajouter à toutes celles qui nous entourent.

Je vous ai dit que nous n'avions qu'un seul Anglais à bord, il faisait le voyage pour la seconde fois. Pendant le trajet, il avait été insensible à tout; il ne voulait qu'une seule chose: roir le soleil de minuit du haut du cap Nord, spectacle qu'il avait manqué la première fois. Eh bien! il a été de nouveau désappointé, le soleil de minuit nous a été caché ce jour-là par une brume épaisse. Je ne sais pas si notre compagnon fera une troisième tentative.

Quant à nous, nous l'avons vu en pleine mer, par le travers de l'ile Fuglö, l'île des Oiseaux, dont le nom rappelle le mot allemand Vogel qui a la même signification. Cette île est située entre Tromsö et Hammerfest. C'est un phénomène au sujet duquel il a été dépensé beaucoup d'encre, et qui a excité les railleries comme les enthousiasmes de beaucoup de voyageurs.

Je n'hésite pas à vous dire, Messieurs, que le soleil de minuit est un spectacle sublime, tout au moins quand on le voit pour la première fois, car il est probable qu'on doit s'y habituer comme on s'habitue à tout sur la terre. Tous les passagers étaient sur le pont, silencieux, pleins d'admiration, haletants. A droite, nous avions des îles rocheuses éclairées par la lumière blafarde d'un soleil pâle et sans chalour: l'astre s'abaissa, plongea la moitié de son disque dans les flots, parce que nous étions au 26 juillet et que nous ne contemplions pas le phénomène placés sur une hauteur; puis il se releva lentement, et ses rayons éclairèrent subitement d'une lumière rosée les îles rocheuses dont je vous parlais tout à l'heure.

Au surplus, permettez-moi de vous donner un renseignement qui compensera la sécheresse, la pauvreté et la rapidité de mon récit. La meilleure description que je connaisse des beautés naturelles et pittoresques de la Norvège et de son soleil de minuit est due à la plume de M. L. de Launay, professeur à l'École des mines, qui l'a publiée dans l'Annuaire du Club alpin français de 1890.

Je ine hâte de combler une lacune, car je m'aperçois que j'ai omis de vous parler des Danoises et des Norvégiennes. Les Danoises sont blondes, roses, et ressemblent à Mlle Reichemberg de la Comédie française; elles ont son air ingénu, mais c'est une ingénuité qui n'est pas feinte et n'est pas destinée à affronter les feux de la rampe.

Quant aux Norvégiennes, on a dit qu'elles manquaient de rondeurs et de rotondités, et qu'elles étaient taillées à coups de hache; vous m'avouerez que ce serait manquer moi-même de galanterie que de traiter un sujet aussi délicat. Aussi je préfère, en terminant, vous parler de la touchante et gracieuse habitude qu'ont les Norvégiens de répandre, en été, tous les samedis, des fleurs sur les tombes de leurs parents et amis disparus. Le cimetière devient ainsi un lieu de promenade et de fête. La nature est si rebelle dans ces contrées du Nord, et les conditions de la vie y sont si dures, qu'un pessimiste ne manquerait pas de vous dire que cet usage est un remerciment inconscient et anticipé à la mort qui leur apparaît comme une délivrance. Mais, comme la majeure. partie des Scandinaves ne connaît pas de contrée plus méridionale où la vie est plus douce et plus facile, je veux croire que, malgré les caractères de révoltés et de révoltées qu'lbsen a peints avec tant de vigueur, ses compatriotes s'accommodent assez bien de leur sort, ce qui est, somme toute, le secret du vrai bonheur.

IMPRESSIONS D'UN LILLOIS

DANS UN VOYAGE AU CENTRE DE L'AFRIQUE

Suite (1).

A partir du 26, nous nous occupons tous à préparer les colis pour le transport à Brazzaville. De mon côté, je me mets en campagne pour recruter des porteurs; à cet effet, je visite les commerçants recruteurs qui m'annoncent que d'après les dernières nouvelles, un conflit se serait engagé entre les miliciens et les indigènes de l'intérieur, sur la route des caravanes entre Loango et Brazzaville; il y aurait eu deux blessés du côté des miliciens, un mort et un blessé du côté des habitants; ce conflit aggrave encore la situation au point de vue du portage, car les porteurs Loangos, à cette nouvelle, ont éprouvé une véritable panique.

Après avoir pris l'avis des commerçants, je propose au capitaine Germain de faire placer un petit poste de tirailleurs à l'endroit où a cu lieu la querelle, de façon à protéger le passage des caravanes. La question, soumise à l'administrateur de Loango, est adoptée, et il est décidé que le sergent Bernard partira par la première occasion avec des instructions très détaillées.

26 Juin. J'apprends la cause du conflit les habitants ont cru que les isolateurs placés sur les poteaux télégraphiques empêchaient la pluie de tomber; en conséquence, ils ont détruit tous ceux qu'ils trouvèrent les miliciens voulurent les en empêcher; de là survint la rixe.

27 Juin. Je viens d'assister à la promenade dite de la « Ticombi > plus généralement appelée < Calebasse, un des traits les plus

(1) Voir tome XXVI, 1896, page 186.

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