Page images
PDF
EPUB
[graphic][subsumed]

Les femmes sont vêtues de jupes aux couleurs voyantes, le plus généralement, et portent de lourdes et disgracieuses bottes.

Je ne dirai naturellement rien de la bourgeoisie, dont les femmes suivent les modes de Paris, et encore moins de la haute société et de la noblesse, dont l'éducation et le bon ton sont bien connus. La langue française est usitée dans ce milieu et l'on parle le russe avec la basse classe et les domestiques.

Dans la classe moyenne même, un certain nombre de personnes parlent également notre langue, comme dans l'armée, de la bonne tenue de laquelle j'ai déjà parlé. J'ai vu défiler des régiments et je n'ai pû m'empêcher de remarquer l'aspect de vigueur et la crânerie des jeunes soldats, avec leurs uniformes sombres, les bottes et la toque. A la méthode allemande ils ont des fifres dans leur musique.

Dès notre arrivée en ville, ce qui nous surprend, c'est cet aspect inoubliable d'un peuple en fête. Dès les premiers pas nous ne voyons que rues avec arcs de triomphe en charpente décorés de feuillages, d'emblèmes, de drapeaux, des sortes de reposoirs avec les bustes de l'Empereur et de l'Impératrice, des portraits aux devantures des boutiques, des façades de maisons ornées pittoresquement de feuillages, des oriflammes, des draperies aux couleurs tricolores de la nation. On voit que pour donner plus d'éclat aux fêtes, les habitants n'ont reculé devant rien.

La visite de la ville et de ses monuments nous ayant été plus laborieuse qu'en temps ordinaire, par suite des fêtes et de la difficulté de pénétrer dans le Kremlin pendant le séjour de l'Empereur, nous nous efforcerons de faire une description rationnelle de ce que nous avons vu, sans tenir compte de marches et contre-marches que nous avons dû faire.

A ce sujet, il est bon de faire observer que le mieux pour un touriste, même habitué à se tirer d'affaire avec son guide Baedeker ou autre, est d'embaucher un guide local, comme on en trouve dans les hôtels, qui par sa connaissance de la langue et de la ville, vous évitera bien des petits ennuis et des contre-temps; mais il faut tomber sur un homme intelligent, suffisamment instruit et possédant son affaire, comme l'on dit. Certains monuments ne se visitent en effet que certains jours, à des heures fixes, et même pour certains il faut des permissions spéciales, autant d'obstacles et de pertes de temps pour le touriste.

Comme il est toujours intéressant d'avoir une vue d'ensemble pour se rendre compte de la ville et de sa position, nous monterons d'abord au célèbre mont des Moineaux. C'est de là, rapporte l'histoire, que le 14 septembre 1812, Napoléon contempla la ville qu'il avait voulu atteindre et au prix de quels efforts! Le désir de satisfaire cette ambition immodérée fut la première cause des désastres qui devaient entraîner la chute du conquérant.

La vue s'étend grandiose sur la belle vallée sinueuse de la Moskova, au-dessus de laquelle brillent étincelants les dômes et les flèches d'or parmi les tours et les clochers qui couronnent les blanches murailles et les édifices aux toits de couleur. Ce spectacle merveilleux sous un ciel azuré d'Orient dans l'éblouissement d'un grand soleil, a bien son charme, à l'heure mystérieuse où les couleurs se fondent en une pittoresque silhouette découpant le ciel de bizarres dentelures. Enfin la nuit, quand la blanche Phébé inonde la terre de ses pâles rayons, l'impression doit être étrangement majestueuse.

En une pente rapide et boisée le terrain descend à la rivière, au delà de laquelle les murs blancs du couvent de Novodévitchy, surmontés des dômes et clochetons des églises, s'enlèvent crûment sur le vert paysage qui les entoure, tandis que sur le côté les bizarres clochers du couvent Donskoi dominent la verdure des parcs qui s'étendent au long de l'eau. Un tramway à vapeur conduit à ce poste d'observation, où un restaurant avec véranda-belvédère retient les visiteurs,

Nous sommes loin d'être seuls et beaucoup de personnes ont eu la même pensée que nous, on parle même français dans différents groupes, aussi pour un peu nous croirions-nous un instant transportés sur un coin de la patrie lointaine, comme par un coup de baguette magique.

Nous croisons la mission française, déléguée pour assister aux fètes du couronnement de l'Empereur, sous la conduite de son chef le sympathique général de Boisdeffre, à qui on a fait une réception enthousiaste, à son passage à Varsovie, comme tous les journaux l'ont, du reste, relaté, applaudissant à ce resserrement de la Grande Alliance.

Il a été parlé du couvent Donskoï, arrêtons-nous y done en passant, il est du reste un joli spécimen du genre, avec son enceinte fortifiée, flanquée de tours, peinte en rouge avec ornements en blanc, on dirait (ne riez pas !) une belle pièce de pâtisserie pour un banquet aux parfums de fraise et vanille... Au-dessus apparaissent des dômes bizarres blancs avec des étoiles d'or ou de couleurs.

Dans l'église un grand iconostase est tout garni d'images saintes, parmi lesquelles la Vierge célèbre du Don, enrichie de pierreries dont on estime la valeur à plus de deux millions de roubles. Il est difficile, du reste, ainsi qu'il a déjà été dit plus haut, de se faire une idée exacte des richesses de ces couvents russes. Dans l'intérieur du monastère, en dehors de la demeure des moines dont l'un, sentant l'eau-de vie, devenait encombrant en nous faisant les honneurs de chez lui, il existe un cimetière aux tombes curieuses et aux chapelles funéraires dans le style russe, et une vieille église basse.

On peut regagner le centre de la ville par un de ces tramways qui circulent en tous sens, surtout dans les quartiers plus fréquentés, sans avoir oublié toutefois de donner un coup d'œil au jardin Neskoutchny, dont l'accès est momentanément interdit au public à cause de la présence de l'Empereur, qui pendant les fêtes, doit successivement résider au Palais Alexandre qui s'élève dans ce parc, au Château de Pétrovsky, que nous verrons tont-à-l'heure et au Kremlin.

Le quartier de Moscou qui s'étend au sud de la rivière est peuplé surtout de commerçants et de rentiers. Les rues sont silencieuses et bordées surtout de petites maisons avec jardins. Au passage, nous apercevons une demeure particulière luxueusement construite dans le style russe, dont elle donne un joli échantillon. Quelques voies principales cependant, comme celles convergeant à la grande place Kaloujkaïa sont plus animées. Dans une rue déserte, un musée de peinture ouvre cependant ses portes au public. C'est la galerie Trétiakov, comportant deux étages de salles garnies, au rez-de-chaussée, de dessins et aquarelles, et au-dessus de tableaux de tous genres, dont beaucoup reproduisant des épisodes historiques ou des scènes nationales sont fort instructifs. Nous y retrouvons groupées des œuvres françaises connues, de Bastien Lepage, Corot, Daubigny, Troy on, Meissonnier, J.-P. Laurens, Detaille, Dupré, Fromentin et autres encore. que nous revoyons avec plaisir.

Cinq ponts franchissent la Moskova, dont le grand pont en fer Kamenny; ils n'offrent rien d'intéressant du reste. si ce n'est le coup d'œil dont on jouit de ce dernier, sur le Kremlin avec ses tours vertes aux formes bizarres, surmontées de la masse jaune du grand Palais et du groupe des églises avec leurs dômes que domine la tour au toit d'or d'Ivan Véliky. Les tours d'angle de la célèbre citadelle sont surmontées de flèches ainsi que les portes.

Le Kremlin, rappelons-le, est situé au centre de la ville, appuyé à la rivière qu'il domine de près de 30 mètres. Il renferme tous les plus précieux souvenirs du passé. C'est un lieu sacré, car c'est là que les tsars sont couronnés et reçoivent la double consécration de leur puissance temporelle et spirituelle.

Un vieux proverbe dit : au-dessus de Moscou, il n'y a que le Kremlin, et au-dessus

[graphic][merged small][merged small][graphic][merged small][graphic][merged small]
« PreviousContinue »