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cela est malheureusement certain; qu'elle doive subsister longtemps encore, c'est au moins fort probable; qu'elle puisse être prise comme base première de notre science, nous le contestons absolument. En matière de droit international privé, la diversité des systèmes équivaut à l'inexistence du droit lui-même et ce n'est pas exagérer que d'avancer qu'il n'existe pas actuellement de droit international privé entre peuples civilisés. La réflexion la plus élémentaire démontre la vérité de cette appréciation. Aussi longtemps que les divers États n'auront pas adopté un même système de solution des problèmes du droit international privé, les parties intéressées dans chaque affaire ne connaîtront le droit qui leur sera appliqué qu'au moment où elles connaîtront le tribunal chargé de trancher leur différend. Suivant que leurs intérêts seront agités dans un pays ou dans l'autre, elles tomberont sous l'application de deux systèmes juridiques différents et la loi dont on leur aurait fait l'application dans le pays A n'est plus celle qui régira leurs rapports s'ils viennent à être appréciés par la justice du pays B. Cela est illogique au premier chef: il appartient à l'office du juge de déclarer le droit et non pas de le créer. Or, dans l'hypothèse de la pluralité de systèmes de droit international privé, le juge crée véritablement le droit, puisqu'il suffit qu'un rapport tombe dans la compétence de sa juridiction, pour qu'il se trouve par là même soumis à une législation différente de celle qui l'aurait régi s'il avait été porté aux tribunaux d'un autre État. La compétence législative doit précéder la compétence judiciaire et non pas la suivre 1.

mais sous l'empire d'une véritable nécessité, parce que seule l'application d'une méthode générale peut procurer au monde la communauté du droit dans les relations internationales d'ordre privé, communauté en dehors de laquelle il n'y a pas de droit véritable. C'est là la plus grande force de ce parti et sa justification absolue. On trouvera également une critique très sage de ces deux méthodes dans Bustamante, Tratado de derecho internacional privado, t. I, pp. 171 et suiv.

1 Ch. Brocher exige, avec raison, de tout bon système de droit international privé que « chacun puisse prévoir avec quelque certitude d'après

Et surtout cet état de droit est destructif du droit luimême. Il est de l'essence du droit de poser certaines restrictions à la liberté des individus et, à cette condition, de prêter à leurs intérêts la garantie de la puissance publique. Tout droit suppose ses préceptes connus à l'avance de ceux qui ont à en subir l'effet. La certitude du droit, la garantie que procure cette certitude apparaissent, si l'on veut bien y songer un peu, comme la raison d'être du droit lui-même, la cause de sa légitimité. Toute loi est une restriction à la liberté humaine. Cette restriction se trouve compensée par la certitude qu'elle donne aux intérêts particuliers. S'il en était autrement, le droit, au lieu d'être une garantie, ne serait qu'un piège et, loin de rassurer les intérêts commis à sa garde, apparaîtrait contre eux comme une menace de plus. Il en est fatalement ainsi avec la pluralité des systèmes de droit international privé. Les parties ne peuvent pas savoir de science certaine devant quel tribunal elles pourront être appelées à débattre leurs intérêts; les questions de compétence dépendent de circonstances nombreuses, changeantes, impossibles à prévoir. Elles ignorent. done aussi la loi qui les régira et se trouvent par là dans l'impossibilité de se mettre en règle par avance avec les prescriptions de cette loi. Impossible également d'empêcher que le hasard des circonstances amène un mème rapport de droit à la barre de deux tribunaux d'États différents, ce qui aura pour résultat de le soumettre simultanément à

<< quelles lois seront appréciés les droits qui s'attachent à sa personne, à «ses biens, à chacun de ses actes » (Théorie du droit international privé, R. D. I, 1871, p. 412). L'emploi d'une méthode universelle est recommandé par Meili (Das internationale Civil und Handelsrecht, I, p. 181) et surtout en termes très expressifs et très justes par Zitelmann (Internationales Privatrecht, I, p, 8). Ce dernier observe notamment qu'entre pays admettant différents systèmes de droit international privé, l'exécution garantie aux jugements étrangers peut aboutir à une absurdité véritable. Il en est ainsi dans tous les cas où les juges des deux pays avaient à la fois compétence dans l'affaire. Les juges de l'un des deux pays seraient amenés ainsi à faire exécuter une décision étrangère contraire à celle qu'ils auraient rendue eux-mêmes, s'ils avaient été saisis de l'affaire.

deux lois peut-être contradictoires; de là pour les parties une nouvelle impossibilité d'obéir à la loi 1.

Cela suffit à montrer que le droit international doit être un ou bien qu'il ne peut pas exister.

36) Cette idée d'un droit international privé unique présidant aux rapports entre législations différentes et indépendantes les unes des autres peut paraître étrange aux jurisconsultes de notre époque. Il n'est pas inutile de rappeler que c'est sous cette forme générale, avec ce caractère unitaire que le droit international a apparu, qu'il s'est maintenu pendant une longue série de siècles. La doctrine des postglossateurs était générale comme était générale l'autorité du droit romain qui lui servait de base. Les jurisconsultes de Bologne la transportèrent en France, telle qu'elle s'enseignait dans les universités où ils étaient allés la puiser. On ne pensait pas alors que ce qui était réputé la vérité au delà des Alpes pût être une erreur en deçà. Quoi de plus général que la doctrine des statutaires ? La réalité des lois, la distinction des statuts en réels ou personnels, suivant qu'ils concernent les biens ou les per

1 Jitta, dans son bel ouvrage sur la Méthode en droit international privé, a parfaitement analysé les mérites respectifs de la méthode individuelle et de la méthode universelle. Il reconnaît, comme nous, que l'avenir du droit international privé est lié à la cause de son unification, que l'emploi de la méthode universelle peut seul réaliser. Mais, d'après lui, la pratique de la méthode individuelle serait la meilleure voie, celle qui conduirait le plus sûrement à la découverte des principes (v. pp. 457 et suiv.). Nous ne sommes pas de son avis sur ce point et nous pensons qu'une analyse aussi profonde qu'on le voudra des textes en vigueur dans les diverses législations ne servirait pas à grand'chose à ce point de vue, sinon à rien. Les codes sont l'œuvre de praticiens qui consacrent les solutions les plus facilement reçues, les plus équitables: c'est en vain que l'on chercherait à en dégager des principes rationnels que l'on puisse ériger en lois universelles. Quels principes déduirait-on de notre code civil alors que l'on ne sait même pas s'il a eu pour objet de donner une nouvelle existence à la théorie des statuts ? Les codifications les plus récentes ne seraient pas sensiblement plus instructives et nous doutons que l'on puisse tirer des idées générales bien nettes des dispositions du nouveau code allemand.

sonnes, sont des principes avoués dans tous les pays; partout les tribunaux appliquent les mêmes règles, il existe alors un véritable droit international privé. Ce n'est pas que l'on ne puisse signaler certaines variations et l'on dira bien, par exemple, que les Hollandais furent en général plus strictement réalistes que les Français. Mais, qu'on le remarque bien, il y avait là de simples divergences d'écoles comme cela arrive dans toute science voisine de ses débuts, mais il n'y avait nullement cette idée que le droit international privé ait, comme la législation intérieure, quelque chose de local, quelque chose de variable de pays à pays. Les jurisconsultes et les juges de toutes nations acceptaient la doctrine des statuts comme une loi naturelle s'imposant à tous, ils ne cherchaient même pas à en démontrer le caractère universel et nous ne croyons pas, que l'on puisse trouver chez aucun d'entre eux un passage autorisant à penser qu'il entretenait le moindre doute touchant cette universalité.

En réalité la diversité des systèmes de droit international privé est fille de la codification, c'est un phénomène relativement récent, un produit de notre siècle. Les divers législateurs ont jugé bon de se préoccuper de certaines questions de cet ordre: ils y ont appliqué leurs propres vues, se sont inspirés des nécessités locales, ont cédé trop souvent à une préférence peu éclairée pour leur œuvre, leur législation propre. Il était fatal qu'en procédant ainsi on aboutît à des résultats divergents et inconciliables. Cet esprit particulariste étant aussi celui de la jurisprudence, il était naturel que ces divergences allassent s'accentuant et c'est ce qui est arrivé en effet.

37) Doit-on pour cela renoncer à arriver jamais au rétablissement d'une doctrine commune ? L'histoire la plus récente de notre science permet de repousser des conclusions aussi pessimistes. Si de nos jours la coutume ne paraît plus destinée à jouer le grand rôle qu'elle a eu autrefois, il semble que l'on peut attendre des traités un service

analogue. Les projets de traités élaborés à La Haye sont, à cet égard, d'un grand enseignement. Déjà on les voit faire justice des préjugés les plus ancrés dans la pratique de certaines nations. Nous signalerons comme tout à fait remarquable à cet égard l'adoption du principe de la personnalité de la succession ab intestat par la dernière conférence de La Haye. On n'aurait pas osé espérer, il y a quelques années à peine, surtout en présence du peu de succès des premières tentatives faites dans cette voie, qu'une semblable réforme pût être acceptée, et déjà il est certain qu'à brève échéance elle le sera. Il est désormais permis d'attendre des traités l'unification du droit international privé. Les traités considérés comme source de notre science n'ont pas toutes les qualités de la coutume. Les traités ont quelque chose de rigide et de fixe, la coutume va se perfectionnant sans cesse. En outre, cette dernière source, consistant dans une série d'applications d'un principe exprimé ou sous-entendu à des espèces concrètes porte en quelque sorte avec elle son interprétation. C'est encore une supériorité pour elle. Le traité n'est qu'une loi plus générale, loi brève, rapide, trop souvent susceptible d'interprétations diverses, loi difficile à améliorer parce qu'il est toujours malaisé de convertir plusieurs volontés à un même objet. Le système actuellement suivi a ses points faibles, il ne constitue pas moins un très notable progrès.

Il est donc permis d'affirmer que ni l'expérience du passé ni le spectacle des choses présentes ne sont propres à faire conclure à l'impossibilité de l'établissement d'un système général de droit international privé, et il demeure toujours vrai que notre science doit, pour remplir son office social, offrir, à défaut de l'unité de législation impossible à réaliser, l'unité dans le régime destiné à coordonner et à harmoniser les législations divergentes.

38) Mais n'existe-t-il pas à cette unification des obstacles. de droit et la variété des législations n'est-elle pas de na

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