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en ce qu'elle tend à établir une discipline commune, applicable à tous les rapports internationaux d'ordre privé, de même que le droit intérieur soumet à l'empire d'une règle commune les rapports juridiques qui n'ont rien d'international, et sous une forme particulière à chaque État, forme variable, quoique les problèmes auxquels elle correspond soient identiques et intéressent fatalement plusieurs lois et par elles plusieurs États.

33) A ces deux formes différentes correspondent deux catégories de sources. On appellera générales celles qui sont susceptibles de fournir une doctrine commune telle est l'action scientifique, telle est aussi l'influence de la tradition, lorsqu'elle tend à faire appliquer des principes dont l'autorité est universelle et incontestée. Les sources particulières à un pays sont, au contraire, spéciales. Nous trouvons dans cette catégorie la loi1, le traité, la coutume?.

1 La loi est très généralement considérée comme une source positive de notre science. Observons cependant qu'une analyse rigoureuse tendrait à lui refuser cette qualité. La loi peut statuer sur des questions internationales, mais elle ne peut pas leur donner des solutions internationales. Non seulement un juge n'est nullement tenu de résoudre un conflit suivant la règle portée par un législateur étranger, ce qui est d'évidence, mais un jugement, rendu dans le pays où la loi est en vigueur et sur le fondement de ses dispositions, ne sera pas exécutoire à l'étranger s'il contrarie les doctrines adoptées par la législation du pays d'exécution. A strictement parler, la loi n'est donc pas une source du droit international privé.

2 La jurisprudence est-elle une source du droit international privé? Dans les pays où les précédents ont un caractère obligatoire, la jurisprudence est une branche de la loi, elle possède la même autorité. Il en est autrement, lorsque les juges sont, comme chez nous, réputés de simples interprètes dont les décisions n'ont d'autorité que pour la cause soumise à leur appréciation. Cependant le rôle de la jurisprudence dans le développement du droit international privé est considérable. Étant donnée la rareté des textes législatifs, le juge se trouve souvent dans la nécessité de créer de toutes pièces la doctrine qu'il applique. Il peut, en ce cas, et il doit prendre en considération directe la nature des institutions juridiques et les besoins du commerce international, il appliquera alors la doctrine qui lui paraîtra plus conforme aux besoins communs des nations. En droit la jurisprudence n'est pas une source du droit interna

Fréquemment on appellera théoriques les sources qui font partie du premier groupe et positives celles qui appartiennent au second. Ces dernières ont, en effet, l'avantage de faire partie de la législation du pays où elles sont reçues et de jouir de la force obligatoire qui s'attache aux préceptes de cette législation, au lieu que les déductions scientifiques n'ont d'autre autorité positive que celle qu'elles obtiennent par leur réception dans quelque acte légalement obligatoire. C'est ainsi que beaucoup de personnes pensent que l'ancienne théorie des statuts est. encore en vigueur en France comme ayant été implicitement adoptée par les rédacteurs du code civil. Ce raisonnement est familier à notre jurisprudence. Nous exposerons plus loin les raisons qui nous empêchent de l'accepter. De son côté la théorie italienne de Mancini a acquis une valeur positive incontestable en Italie et en Espagne, grâce aux codifications plus récentes qui en ont manifestement accepté les principes.

34) L'existence de deux groupes de sources aussi distants l'un de l'autre a donné naissance à deux méthodes issues de points de départ différents. L'une, que l'on peut appeler méthode générale, se préoccupe surtout de créer un système international rationnel de droit privé et tend à établir une harmonie entre les lois divergentes des différents pays. Cette méthode n'ira naturellement pas chercher ses principes dans les législations en vigueur : loin d'y rencontrer l'unité qu'elle désire, parce qu'elle la juge indispensable, elle ne trouverait devant elle que dissemblance et variété et serait bientôt obligée de renoncer à son œuvre, se reconnaissant incapable de la mener à bien avec des éléments aussi disparates. Elle se placera donc forcément au-dessus des législations positives et s'étudiera à trouver

tional privé, en fait elle constitue l'agent le plus puissant de la pénétration de la doctrine internationale dans la pratique des diverses nations. V. sur ce point les bonnes remarques, de Gemma (Propedeutica, pp. 58 et suiv.). Cf. Gény, Méthode d'interprétation, pp. 580 et suiv.

des principes qui, sans appartenir particulièrement à aucune des législations positives, s'imposent également à toutes. L'étude des traditions communes aux lois existantes, la considération de la nature de la loi, l'appel à l'idée de justice, l'examen des rapports des États entre eux lui fourniront ses éléments. C'est ainsi que cette méthode se fera sa loi, puis, cette loi une fois définie, elle se préoccupera des moyens de la faire entrer dans la pratique des nations.

La seconde méthode est tout à fait à l'opposé de la première. Elle consiste à étudier le droit international dans les législations particulières. Son principe philosophique est qu'il n'existe pas de droit sans une sanction effective et par suite que l'on ne doit pas aller chercher le droit international privé ailleurs que dans les textes législatifs qui ont statué sur les questions de son domaine 1. C'est évidemment la méthode qui s'impose d'abord au juge; le juge doit, sur ce point comme sur tous les autres, appliquer la loi de l'État au nom duquel il rend la justice. Toutes les fois où cette loi a donné une solution à la question qui se pose devant lui, le juge doit faire sienne cette solution, fûtelle contraire à sa conviction personnelle, fùt-elle même absurde, il n'importe. Parmi les jurisconsultes elle a rallié tous ceux qui sont convaincus par avance de l'inanité des

1 « Nous considérons le droit tel qu'il est et non pas tel qu'il devrait ou pourrait être », tel est le raisonnement accoutumé des jurisconsultes de cette école. Un pareil argument paraît sans réplique. En réalité, il est assez faible. Irréprochable dans la bouche d'un juge qui a une loi à appliquer (ce qui n'est pas toujours le cas), il dénote chez tout autre une singulière méconnaissance, sinon un oubli volontaire des conditions d'application propres à notre science. Donner une solution nationale à une question internationale équivaut à ne point donner de solution du tout. C'est se résigner à admettre que la capacité d'une personne ou son incapacité, la validité d'un acte ou sa nullité dépendront nécessairement et avant tout du tribunal chargé de vider le litige. C'est reconnaître implicitement que dans le commerce international les intérêts particuliers ne peuvent pas compter sur le secours du droit. Les auteurs qui considèrent l'unité de doctrine comme un but auquel tend le progrès du droit international privé (v. Gemma, loc. cit., p.67) ne vont pas assez loin : il s'agit, pour notre science, d'une question d'existence et non pas seulement de progrès.

résultats de toute méthode générale 1. Quelques-uns l'ont adoptée sous l'influence de l'esprit particulariste de leurs nations. Ce sont les auteurs anglais et américains. L'Angleterre a été la patrie d'élection du système de la comitas gentium. De nos jours encore on peut penser que les jurisconsultes anglais et américains mettront un temps fort long à se pénétrer de cette idée que leurs patries ont intérêt à se plier à l'observation d'une doctrine différente de leurs coutumes traditionnelles, pour assurer par là une meilleure administration de la justice dans les rapports internationaux d'ordre privé 2. C'est pour eux question de sentiment

Il faut mentionner comme occupant une place intermédiaire entre les deux doctrines la méthode préconisée par Kahn (loc. cit., pp.69 et suiv.). Pour cet auteur, le droit international privé est un droit privé, mais ce n'est pas un droit exclusivement national. Ses principes résultent plutôt de l'examen comparatif des diverses législations, examen qui consistera à dégager le but respectif des lois des divers pays et qui aboutira à les classer en un certain nombre de groupes dans l'intérieur desquels l'établissement d'une règle d'harmonie sera possible. Cette méthode de comparaison avait déjà été recommandée par de Bar (t. I, p. 7). Par la considération du but de la loi, elle se rapproche assez de la doctrine que nous avons émise sur la solution des conflits et que l'on retrouvera dans cet ouvrage. Mais le principe adopté par Kahn laisse subsister dans la théorie une lacune sans remède. Elle n'expliquera jamais comment les inductions les plus certaines tirées du but des lois diverses ou de toute autre circonstance peuvent obliger des États indépendants à donner aux collisions que ces lois engendrent une solution identique.

2 Sur le sens de la doctrine anglaise, v. Dicey, Conflict of laws, Introd., pp. 18 et suiv., et plus encore Harrison dans le Journal de droit intern. privé, 1880, pp. 417 et suiv., 533 et suiv., qui va jusqu'à refuser à notre discipline le nom de droit international privé et propose de la qualifier de droit intermunicipal pour mieux marquer qu'elle n'est rien autre qu'une part de la législation intérieure. Harrison lui-même reconnaît (p. 421) qu'il existe une très grande concordance et une très grande unité entre les différentes versions nationales du droit international privé », mais il considère cette circonstance comme purement accidentelle et dénonce comme un sophisme fantastique (p. 433) l'opinion suivant laquelle notre science pourrait former un système universel dû aux méditations des jurisconsultes et s'imposant par la force de sa valeur logique aux tribunaux des divers pays. Voilà un sophisme que les faits sont en train de transformer en réalité. Quant à l'opinion de Harrison, elle provient de ce que cet auteur ne comprend pas que l'existence d'une société internationale doit avoir pour corollaire l'application d'un droit international, à peine pour cette société de demeurer dans le désordre et dans l'anarchie.

plus que de raison. Sur le continent cette méthode a trouvé son expression la plus pure et la plus absolue dans la doctrine de Waechter qui veut, comme on sait, qu'à défaut de texte le juge du for décide des questions de conflit pendantes devant lui exclusivement d'après le sens et l'esprit de sa loi nationale et qu'à défaut de cette ressource, il applique aux parties en cause cette loi nationale elle-même.

Une méthode semblable a pour conséquence logique la nationalisation de la science du droit international privé. De même qu'il existe en fait autant de droits internationaux positifs que de pays différents, de même il existera autant de doctrines de droit international privé. Certains auteurs se sont placés à ce point de vue dans leurs ouvrages 1, mais ils l'ont fait pour venir en aide à la pratique et on aurait tort de tirer de cette circonstance une induction quelconque quant à leur méthode. Bien au contraire, et nous ajouterons à cela que ceux-là mêmes, qui préconisent comme procédé scientifique l'étude des législations positives, ne le font que dans l'espérance de voir un rapprochement s'établir entre ces législations et l'unité conquise progressivement par ce moyen. Reste à savoir si la voie par eux choisie est la plus sûre.

35) De ces deux méthodes, la première est, à notre avis, de beaucoup la meilleure et, à vrai dire, la seule dont on puisse attendre la formation d'un véritable droit international privé 2. Que la diversité des systèmes existe en fait,

1 Par exemple, Brocher (Cours de droit international privé suivant les principes consacrés par le droit positif français), Vesque von Püttlingen (Handbuch des in Esterreich Ungarn geltenden internationalen Privatrechts) et Jettel (Handbuch des internationalen Privat. und Strafrechtes mit Rücksicht auf die Gesetzgebungen Esterreichs Ungarn, Croatiens und Bosniens).

2 Dicey (Conflicts of laws, Introduction, pp. 14 et suiv.) instruit d'une façon fort nette et avec une rare indépendance d'esprit le procès de ces deux méthodes opposées. Il est un point cependant qu'il n'indique pas, c'est que les partisans des méthodes générales (theoretical methods) ne les adoptent point par fantaisie ni même en vertu de leur libre choix,

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