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juridique possible, d'un pays à un autre pays, un droit acquis dans les limites d'un État serait fatalement paralysé et impuissant une fois ces limites franchies, en pleine iner et sur les territoires qui n'appartiennent à personne il n'y aurait pas d'autre loi que celle de la force brutale. Aucun commerce international ne serait possible parce qu'il n'existerait aucune sécurité internationale 1.

Il faut donc, il faut de toute nécessité une communauté juridique internationale, il faut une formule juridique com mune, qui sera la loi de cette société internationale d'ordre privé que la pratique du commerce entre nations a constituée. Cette loi sera le droit international privé et nous le définirons la science qui a pour objet la réglementation juridique des rapports internationaux d'ordre privé 2.

l'étranger est poursuivi chez les peuples restés le plus longtemps en dehors du commerce international. Mais on observera aussi dans l'histoire de la condition des étrangers qu'il n'y a aucune époque et aucun droit où l'on ne rencontre certaines institutions favorables aux étrangers (proxénie, hospitalité, etc.). C'est que dans tous les temps la nécessité d'un commerce international a été reconnue.

1 Cf. Dicey, A Digest of the law of England with reference to the conflict of laws, Introduction, p. 9.

2 Cette définition sera élucidée et complétée par les développements contenus au prochain chapitre. Donnons à titre de curiosité quelques définitions empruntées à des auteurs modernes: Fœlix, Le droit international privé est l'ensemble des règles d'après lesquelles se jugent les conflits entre le droit privé des diverses nations; Fiore, Le droit international privé est la science qui établit les principes pour résoudre les conflits de législation et pour régler les rapports réciproques des sujets des États divers; Asser, On appelle droit international privé l'ensemble des principes qui déterminent quelle loi est applicable soit aux relations juridiques entre personnes appartenant à des États ou territoires différents, soit aux actes faits en pays étrangers, soit enfin dans tous les cas où il est question d'appliquer la loi d'un État dans le territoire d'un autre État; Westlake, Private international law is that department of national law which arises from the fact that there are in the world different territorial jurisdictions possessing different laws; Lainé, Le droit international privé peut être défini le droit qui règle les rapports des États au sujet du conflit de leurs lois; de Bar, Das internationale Privatrecht bestimmt die Competenz der Gesetzgebung und der Organe (Gerichte, Behoerden) der einzelnen Staaten für die privaten Rechtsverhaeltnisse; Rolin (qui fournit une bonne critique des diverses définitions proposées), Le droit international privé pourrait être défini l'ensemble

4) Cette loi, comment arrivera-t-on à la constituer? Le problème est compliqué et sa difficulté justement célèbre. Il ne faut pas songer à imposer aux peuples une loi commune au lieu et place des législations diverses qui les régissent actuellement. Il n'existe pas d'autorité supérieure et unique qui puisse accomplir cette tâche, et, si l'on entreprenait d'obtenir de la persuasion un résultat que la force ne peut pas procurer, on échouerait par cette double raison qu'une même loi ne peut pas convenir à tous les pays. et qu'un État ne saurait accepter l'autorité d'une législation commune, si bonne fût-elle, sans renoncer par là même au droit d'améliorer sa législation, ce qui constituerait de sa part l'abandon de son devoir essentiel, une véritable désertion 1.

Il serait tout aussi téméraire d'espérer déterminer les États à souscrire à l'établissement d'une doctrine commune qui, dans chaque État, se superposerait à la loi nationale et réglerait les rapports privés entretenus avec l'étranger, de même que dans l'empire romain le jus gentium fut employé à régir les relations entre citoyens et pérégrins. Cette espé

des règles qui définissent les droits des étrangers et la compétence respective des législations des divers États en ce qui concerne les rapports de droit privé; Jitta, Méthode (pp. 45 et 51 combinées), Le droit international privé est la face ou modalité du droit privé qui doit soumettre les relations sociales entre les individus aux règles juridiques qui conviennent à leur nature; Weiss, Le droit international privé est l'ensemble des règles applicables à la solution des conflits qui peuvent surgir entre deux souverainetés à l'occasion de leurs lois privées respectives ou des intérêts privés de leurs nationaux; Surville et Arthuys, Le droit international privé est le droit qui détermine le domaine respectif des lois civiles des divers pays, quand elles se trouvent en conflit à l'occasion d'un acte quelconque; Dicey, He (the writer) will himself remember and vill attempt to impress upon his readers that these names are nothing more than convenient marks by which to denote the rules maintained by the Courts of a given country, as to the selection of the system of law which is to be applied to the decision of cases that contain, or may contain foreign element, and also the rules maintained by the Courts of a given country, as to the limits of the jurisdiction to be exercised by its own Courts as a whole, er by foreign Courts. Les tendances des diverses écoles se font déja suffisamment reconnaître dans ces définitions. 1 Cf. de Mohl, Die Pflege der internat. Gemeinschaft, etc., p. 603.

rance pourtant est moins chimérique, et même dans un certain domaine, celui des relations commerciales et économiques, elle a déjà été en partie réalisée. C'est ainsi que de grands traités, plus connus sous le nom d'Unions, assujettissent, chacun pour son objet particulier (postes, télégraphes, monnaies, chemins de fer, propriété industrielle, propriété littéraire et artistique), un grand nombre d'États à un régime commun. Qu'un mouvement se soit produit en ce sens, cela est certain, mais il n'est point assez avancé encore pour permettre d'augurer qu'il puisse aboutir à créer une législation complète, ce succès n'est pas même fort souhaitable, car on pourrait craindre qu'une innovation aussi considérable ne fût de peu de durée. En général, chaque peuple tient à garder ses institutions particulières et les nécessités internationales les plus pressantes ne changeront rien à son sentiment sur ce point.

Que l'on remarque ici combien la tâche du droit international privé est plus ardue que celle du droit international public. On peut dire qu'il y a entre eux toute la différence qui sépare la marche sur un terrain libre de celle qui se pratique sur un sol hérissé d'obstacles. L'édification d'un droit des gens ne rencontre pas d'empêchements dans la législation intérieure des pays qu'il régira. Le droit intérieur ne s'occupe pas des rapports des nations entre elles; au contraire, il s'occupe des rapports des particuliers entre eux et, lorsque ces rapports, par les conditions de leur établissement, deviennent internationaux, il est impossible de faire abstraction de la réglementation qu'ils ont reçue dans les lois intérieures des États intéressés.

La législation de chaque État renferme quantité de dispositions relatives aux rapports des particuliers entre eux. C'est ce qu'on appelle proprement le droit civil de la nation. Fort peu de ces dispositions sont consacrées aux rapports entre sujets d'États différents.

Quelques dispositons sur les droits accordés aux étrangers et sur les charges particulières qui les frappent, quelques articles sur les lois régissant les Français à l'étranger,

c'est tout ce qu'on trouve dans notre code civil et, si les recueils plus récents sont aussi un peu moins incomplets, il demeure vrai qu'aucun d'entre eux n'offre un ensemble de dispositions assez large pour servir de base à toute une. série de rapports qui se présentent dans les domaines les plus divers du droit privé1.

A défaut d'une loi commune unique ou superposée au droit civil de chaque nation, il faut (c'est la dernière solution la seule possible, la seule tentée en fait) adopter entre les lois des différents peuples un système de combinaison rationnelle qui assure à chacune d'entre elles la part d'influence et l'étendue d'application qu'il est légitime de lui laisser 2. Telle est la communauté de droit privé que

1 Il est à remarquer que les diverses compilations écrites dans le courant du XIXe siècle s'inspirèrent d'un esprit de plus en plus ouvert aux nécessités internationales. Hamaker (Das internationale Privatrecht, seine Ursachen und Ziele) fait ressortir d'une comparaison établie entre les codes civils français (1804), hollandais (1838) et italien (1866), combien le point de vue adopté par ces divers législateurs s'est élevé avec le progrès du temps. L'article 11 du code français est une œuvre de défiance pure; l'art. 9 du code civil néerlandais s'élève à l'idée d'égalité non sans faire certaines réserves; l'art. 3 du code italien se rallie franchement et sans arrière-pensée à cette idée.

L'opposition n'est pas moins sensible dans les lois consacrées à la solution des conflits que dans la matière de la condition des étrangers. Le code de 1804 s'occupe surtout des Français à l'étranger (art. 3, 3, 47, 170, 999), et s'il considère parfois les étrangers qui sont en France (art. 3, 21 et 2) c'est lorsqu'il s'agit de leur appliquer la loi française ; la loi néerlandaise du 15 mai 1829, un peu plus explicite, n'est pas conçue dans un esprit différent. (Cf. Jitta, La Méthode du droit international privé, pp. 292 et suiv.); le code civil italien (Introd., art. 6-12), au contraire, est conçu en termes généraux et vraiment internationaux. Il est intéressant d'observer que le code italien a exercé la plus grande influence sur le code civil espagnol de 1888 et sur les projets de revision du code belge. La loi d'introduction du nouveau code civil allemand est moins nette dans ses dispositions touchant au droit international privé (sect. I). Elle parait le fruit d'une transaction entre le point de vue international général et un point de vue strictement germanique. Il est à craindre qu'elle ne donne lieu à de très nombreuses difficultés d'interprétation.

« Cette combinaison, dit fort bien Charles Brocher, doit se faire de telle sorte que l'activité sociale puisse, dans une certaine mesure tout << au moins, se déployer sur le vaste échiquier du monde avec la même << liberté et la même sécurité que si elle se renfermait dans les frontières

l'on peut établir entre les nations, communauté qui n'est point sans doute absolument parfaite, mais qui représente dans ce domaine le plus grand effet auquel le droit puisse atteindre1. Cette communauté consistera à accorder dans chaque pays aux étrangers une somme de droits suffisante pour leur permettre de jouir pleinement et librement des bienfaits du commerce international, elle tracera aux conflits des principes de solution rationnels justes, propres à jouir en tout pays d'une autorité indiscutée, elle accordera à chacun la garantie des droits qu'il peut avoir acquis, dans le domaine des relations internationales. Sans doute l'empire du droit intérieur est plus fort et son action plus complète, mais il faut savoir se résigner à faire du droit international privé une science imparfaite si l'on veut qu'elle soit effective et respectueuse de la part d'indépendance qui appartient à chaque État en matière de législa–

tion.

5) Depuis que ce problème a été posé, nombreuses ont été les formules successivement proposées pour le résoudre. Les premiers parmi les jurisconsultes qui s'y adonnèrent vivaient à une époque où l'autorité du droit romain, ravivée par les travaux de l'école de Bologne, était universelle et incontestée. Ils eurent recours à cette panacée pour résoudre les conflits que faisaient naître les rapports entre habitants de cités voisines 2. Le remède était pu

« d'un seul État. » (Théorie du droit international privé dans la R. D. I., 1871, p. 415.) Cf. Asser, Droit international privé et droit uniforme dans la R. D. I., 1880, p. 3.

1 Il est important de bien définir ce que l'on entend par communauté de droit dans notre science, car il arrive souvent que l'on emploie cette expression sans préciser suffisamment sa signification. Je n'ai jamais bien compris, pour ma part, quel est le sens de cette communauté de droit dont il est question dans l'œuvre de Savigny (Droit romain, t.VII, pp. 30 et suiv.) et comment elle tend nécessairement à identifier les deux cas de collision qu'il distingue.

2 On peut être étonné de la persistance des idées anciennes sur ce point. Savigny et Phillimore considèrent encore le droit romain comme une source appréciable de droit international privé (Savigny, Droit ro

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