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l'a précédé. Par conséquent ce divorce doit être refusé. Et nous remarquerons qu'il doit être repoussé mème par les tribunaux de l'État auquel le demandeur appartient. Cet État, comme les autres, a le devoir de respecter les droits internationalement acquis; il ne lui appartient pas de les mettre en échec en se prêtant à un acte fatalement destitué de validité internationale 1.

316) Un autre exemple peut être emprunté à la matière redoutable des conflits de nationalité. Certains pays n'admettent pas que l'on puisse dépouiller leur nationalité et cela n'empêche naturellement pas d'autres pays de recevoir chez eux, à titre de naturalisés, les sujets du premier. Un Russe, par exemple, se fait naturaliser Français. Cet individu sera considéré comme Russe en Russie et comme Français en France. Cela va de soi, car ces matières sont d'ordre public et lorsqu'il s'agit d'ordre public l'indépendance de l'État est la règle 2. Mais à quelle nationalité sera-t-il reconnu dans un tiers pays, en Italie par exemple? Les juges italiens n'ont aucun titre à se porter arbitres entre la loi russe et la loi française, ils n'ont aucun intérêt et partant aucun droit à appliquer leur propre système à une affaire qui ne concerne en aucune façon la nationalité italienne, quelle solution donneront-ils ? On a imaginé pour

1 La même solution s'imposera toutes les fois où un effet juridique dépend de la loi personnelle de chacun des intéressés, lorsque ceux-ci n'ont pas le même statut personnel. En supposant que l'effet de l'adoption dépende à la fois de la loi de l'adoptant et de celle de l'adopté et que ces deux lois soient contraires sur le point de savoir si celui-ci succède à celui-là, le droit de succession n'existera pas, faute d'un droit régulièrement acquis capable d'établir cette relation particulière entre deux personnes naturellement indépendantes l'une de l'autre. En dehors de la théorie des droits acquis, les questions de cette espèce sont complètement insolubles.

2 Ce point particulier fait la différence de cette question à la précédente. Les lois sur la nationalité sont rigoureusement obligatoires, et en cette matière (comme dans toutes celles qui concernent directement l'ordre public) le point de vue national l'emporte sur le point de vue international.

eux des moyens divers de se tirer d'affaire, sans réussir à trancher véritablement cette question. Elle a cependant une solution qu'il faut aller chercher dans le principe du respect dù aux droits acquis. L'État tiers (l'État italien dans l'espèce), qui n'est gêné lui par aucune considération d'ordre public, jugera que l'ancienne nationalité constituait pour l'individu en question un droit acquis, que la nouvelle ne possède pas, au contraire, ce caractère, puisqu'elle n'a pas eu pour conséquence de libérer le sujet en question des liens de sa nationalité primitive. Il se prononcera donc pour cette dernière.

Notre méthode permet également d'écarter la situation anormale de l'heimathlosat, toutes les fois où l'heimathlos a eu une nationalité primitive qu'il a ensuite dépouillée sans en acquérir une nouvelle 1. Cette nationalité primitive constituait pour cet homme un droit internationalement acquis que son abdication n'a pas pu faire disparaître, puisqu'elle ne lui a pas conféré une qualité nouvelle capable de remplacer la précédente au point de vue international?.

317) Ces exemples montrent que nos principes permet

1 Ainsi le Tribunal de la Seine a décidé (21 mai 1897, Cl. 98, p. 135) qu'une femme dont le mari n'a pas de nationalité déterminée doit être censée avoir conservé sa nationalité antérieure au mariage.

2 Cette dernière application suppose que l'on ne peut pas admettre, au point de vue international, qu'un homme soit sans nationalité. Il semble que ce point de départ puisse être accepté, étant donné le rôle essentiel joué par la nationalité dans l'application internationale des lois privées. Ce point étant admis, le principe exposé au texte fournira la solution de plusieurs autres conflits semblables. En voici encore un exemple. Les lois civiles de chaque pays, par un empressement naturel mais assez mal entendu, sont plus favorables à l'acquisition de la nationalité de ce pays qu'à son abdication. Il arrivera ainsi, par exemple, qu'un Italien devenu Français n'aura pas perdu pour l'Italie la nationalité italienne. Français en France, Italien en Italie, que sera-t-il pour les États tiers? Il sera demeuré Italien faute d'avoir opéré complètement, et même par rapport à sa patrie d'origine, son changement de nationalité. De même, dans le cas où à la suite d'un traité d'annexion des lois rendues dans les deux pays intéressés donnent à certains des annexés une nationalité différente, ceux-ci devront être réputés, au regard des États tiers, avoir gardé leur nationalité primitive.

tent de faire disparaître certaines des difficultés les plus épineuses du droit international. Nous n'allons pas jusqu'à dire qu'ils les font disparaître toutes. Certaines questions subsistent auxquelles nous n'apercevons aucune solution. scientifique tel est, par exemple, le conflit entre le jus soli et le jus sanguinis dans la détermination de la nationalité d'un enfant qui vient de naître.

Il n'est pas nécessaire de pousser plus loin ces investigations touchant l'effet international des droits régulièrement acquis. Nous avons exposé le principe et ses principales conséquences. Cela suffit. Il tombe du reste sous le sens que tous les actes juridiques régulièrement passés donnent naissance à des droits acquis appelés à bénéficier d'un respect universel. D'autre part il serait impossible d'énumérer tous les cas dans lesquels l'effet de ce principe peut se trouver paralysé par les exigences de l'ordre public.

Il convient de rappeler, en terminant sur ce point, que si la théorie des droits acquis apporte au droit international un complément indispensable en fournissant la solution de questions qui ne mettent point en jeu de véritables conflits de lois et sont cependant du domaine du droit international privé, elle ne peut, en aucune façon, suppléer à la théorie des conflits de lois. Les questions auxquelles répondent ces deux branches de la doctrine sont entièrement différentes. A la théorie des conflits de lois appartient la tâche de déterminer à quelles lois sont soumis les rapports de droit présentant quelque élément international. C'est elle qui énonce les conditions de validité de ces rapports. La théorie des droits acquis correspond, comme nous l'observions au début de cet ouvrage, à un autre moment dans l'existence du droit. Elle suppose un acte valable et se demande jusqu'à quel point il est assuré de ses effets en pays étranger. Les domaines de ces deux théories sont différents et c'est courir au-devant de l'obscurité et de l'erreur que de les confondre.

Mais, quelles que soient ces différences, il reste vrai que c'est un principe supérieur commun qui nous a conduit à

leur solution. Le respect que se doivent mutuellement les États nous a fourni la grande règle de solution des conflits qui consiste à donner à la loi l'effet le plus conforme à ce principe supérieur de respect; la même idée nous a permis de fonder sur un principe rationnel incontestable l'effet international des droits acquis. On se rappelle qu'elle n'avait pas été étrangère non plus à la détermination scientifique de la condition des étrangers. Ainsi s'affirme la parenté des diverses questions que comprend notre science; nous avons vu que leur nature est semblable, parce que toutes elles mettent en jeu des questions de souveraineté, nous voyons que leur solution exige également des procédés semblables et ne peut, en dernière analyse, être obtenue que de l'étude des rapports des États entre eux. Cette seule constatation peut être invoquée comme un argument très fort en faveur de notre doctrine.

318) Nous avons ainsi achevé l'étude des diverses questions qui constituent le domaine propre du droit international privé, cherchant à les bien distinguer les unes des autres, à déterminer exactement leur nature et à leur donner des solutions vraiment internationales, c'est-à-dire obligatoires pour tous les États compris dans la communauté internationale. Nos lecteurs auront observé que, si nos idées aboutissent parfois à donner des solutions nouvelles à des questions anciennes, cela n'arrive que fort rarement; maintes fois elles ne tendent qu'à fournir des réponses plus certaines à des interrogations faites depuis longtemps ou, plus souvent encore, tout simplement à donner des justifications plus profondes à des principes. reconnus et appliqués par tous. Tel était, en effet, le but de notre œuvre : jeter un peu plus de lumière sur une science demeurée très obscure en dépit des efforts incroyables dépensés pour la constituer en discipline raisonnable et raisonnée. Si modeste que soit ce résultat, nous ne regretterons pas, si nous l'avons atteint, les années passées

à la recherche d'une bonne solution des problèmes du droit international privé.

Nous parlons d'une bonne solution. L'expression n'estelle pas déjà trop ambitieuse et les recherches par nous poursuivies n'ont-elles pas montré une fois de plus l'imperfection nécessaire de notre science. Combiner diverses lois, régler leurs prétentions respectives, fixer la limite où s'arrêtera l'empire de l'une et où commencera l'empire de l'autre, cela n'est pas toujours possible et cela n'est possible, même dans les cas les plus favorables, qu'à la condition d'énerver l'action de la loi en la dépouillant de certains de ses effets. Il faudrait, pour arriver à des résultats plus parfaits, s'attaquer à la diversité des législations ellesmêmes et courber la communauté internationale tout entière sous l'empire d'une loi unique qui ne paraîtrait bientôt plus à tous qu'une servitude commune. Ainsi s'accuse, dans notre domaine, l'imperfection radicale et nécessaire de la science, de cette science que proclament seuls toutepuissante ceux qui ne la connaissent que de très loin.

Plus de dix années se sont écoulées depuis que les premiers linéaments de notre théorie ont paru dans le Journal du droit international privé. Bien souvent, au cours de ce long espace de temps, nous avons fait retour sur nos doctrines, les soumettant toujours et toujours à de nouvelles épreuves. L'effet de cette élaboration constante a été sur certains points de modifier nos idées, sur d'autres de les compléter, mais, en général, de les affermir de plus en plus dans notre esprit. Il ne nous a pas paru, en effet, que les productions les plus récentes aient rien apporté qui pût nous faire douter de la solidité des bases de nos spéculations, rien qui ait démontré l'inanité de nos raisonnements. Un auteur est, à cet égard, un mauvais juge, un professeur est peut-être un juge meilleur et, je l'avouerai en terminant, c'est surtout l'effet que ces doctrines nouvelles ont produit sur mes élèves qui m'autorise à les présenter, avec une certaine confiance, à l'appréciation du public savant.

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