Page images
PDF
EPUB

pratiques de beaucoup et plus intéressantes pour nous. C'est d'abord la question si débattue du régime international des titres au porteur perdus ou volés 1. Les titres au porteur sont des meubles incorporels qui, au point de vue des actes de transmission dont ils peuvent être l'objet, sont assimilables aux meubles corporels, parce que la possession de la créance dont ils sont le signe est liée à la possession du titre qui la représente. Voyons d'abord quelles sont les règles à suivre en matière de propriété de meubles corporels. L'embarras est ici causé par la diversité des législations. Les unes, comme la nôtre, appliquent la maxime: En fait de meubles possession vaut titre, d'autres demeurées conformes à la tradition romaine ont une prescription acquisitive en matière mobilière. Lorsqu'un meuble aliéné a non domino se trouve revendiqué, quelle loi déterminera l'effet de la transmission dont il a été l'objet? Les avis diffèrent beaucoup sur ce point, les uns adoptant la loi du for, d'autres celle de la situation réelle du meuble, quelques-uns même la loi personnelle du propriétaire. Ce grave dissentiment provient ici encore de ce que la question a été mal posée et que l'on a voulu rapporter aux conflits ce qui appartenait à l'effet des droits acquis.

La question de conflit est, comme nous l'avons dit plus haut, très simple. Il est incontestable que les lois sur la transmission de la propriété mobilière sont des lois d'ordre public applicables sans distinction aux étrangers et aux nationaux sur le territoire où elles sont en vigueur. Lors donc qu'une transmission de meuble corporel a non domino est faite dans un pays, c'est exclusivement d'après la loi de ce pays que se jugera la question de savoir si l'acquéreur est ou n'est pas devenu propriétaire. Mais le meuble peut ensuite être transporté dans un autre pays où la

1 V. Buchère dans Cl. 1880, p. 260, et 1881, pp. 26 et suiv.; Wahl, Titres au porteur, t. II, pp. 340 et suiv.

2 En ce sens, Reichsgericht, 6 octobre 1897, Cl. 98, p. 378.

question de propriété vient alors à se poser. Ce changement est-il de nature à exercer quelque influence sur la question de propriété? La nouvelle question soulevée par cette circonstance concerne l'effet du droit acquis à l'étranger. Il suffit de l'apercevoir, car elle est aussi simple que la précédente. L'aliénation du meuble a, dès le moment où elle a été accomplie, fait naître un droit acquis au profit de l'acquéreur, droit plus ou moins complet, plus ou moins étendu suivant la législation en vigueur au lieu de cette aliénation. Ce droit doit être reconnu et respecté à l'étranger tel que la loi compétente l'a constitué/ Donc, que la question de propriété surgisse dans le pays où l'aliénation a eu lieu ou dans une autre contrée, le droit du possesseur demeure toujours tel qu'il résulte de la loi du lieu de l'aliénation. Il faudrait, pour qu'il en fût autrement, que cette question de propriété intéressat l'ordre public du pays où l'action en revendication est intentée, supposition. absolument irréalisable, car une aliénation ne concerne jamais que l'ordre public du pays où elle s'accomplit. /

Tels sont les principes dont nous allons faire l'application aux titres au porteur perdus ou volés. On sait que la loi du 15 juin 1872 a sur ce point deux ordres de dispositions: les unes tendent à la reconstitution du titre et au paiement des arrérages au profit du propriétaire dépouillé par la perte ou par le vol; les autres, dérogeant à l'art. 2279, autorisent la revendication du titre nonobstant toute transmission postérieure à la dénonciation de la perte ou du vol par le moyen du bulletin des oppositions. Ce sont ces dernières dispositions qui intéressent surtout le commerce. international et ont fait naître les plus graves difficultés.

314) Nous avons déterminé antérieurement la portée de la loi du 13 juin 1872 au point de vue des conflits qu'elle fait naître, considérons maintenant l'application à la matière du principe du respect dù aux droits acquis. Si une aliénation de titres perdus ou volés, français ou étrangers, a lieu en France, elle ne rendra pas l'acquéreur de

bonne foi propriétaire : la situation ainsi constituée représente un droit régulièrement acquis, et si, plus tard, une contestation s'élève à l'étranger entre le propriétaire et ce possesseur, le propriétaire pourra exiger la restitution de son titre en vertu du respect que mérite un droit régulièrement acquis. Il importe peu que la lex fori admette ou n'admette pas le principe de notre loi de 1872. Ce n'est pas cette loi qui régit les conséquences de l'aliénation, mais bien celle du lieu où elle s'est produite.

Supposons maintenant que le titre perdu ou volé soit l'objet d'une aliénation à l'étranger et sous l'empire d'une législation qui soumet les titres perdus ou volés aux mèmes règles que tous les autres. Cette aliénation aura-t-elle fait acquérir la propriété au possesseur de bonne foi? Nos tribunaux ont une tendance à répondre négativement à cette question et à appliquer notre loi de 1872 même aux aliénations ayant eu lieu à l'étranger, au moins lorsqu'il s'agit de titres français. Si louable qu'elle puisse paraître, cette tendance n'en est pas moins directement contraire aux principes certains du droit international. La même règle de compétence qui autorise le législateur français à méconnaître l'effet translatif d'une remise effectuée sur son territoire, autorise également et par la même raison un État étranger à concéder chez lui un effet translatif à cette même tradition 1. Ces deux décisions, contraires l'une à l'autre, sont l'expression d'une même compétence, compétence internationalement reconnue et qui doit, par conséquent, produire des effets internationaux.

Qu'il s'agisse d'un titre français et que la perte ou le vol aient eu lieu en France, cela importe peu. Le juge fran

↑ Il faudrait, pour en décider autrement, prétendre que la circonstance de la perte ou du vol suffirait à affecter le titre d'une sorte d'inaliénabilité permanente qui le suivrait en tout lieu. Mais cela même conduirait à donner compétence à la loi du lieu où la perte est survenue, où le vol a été commis, toutes circonstances inconnues des tiers acquéreurs ultérieurs. Où serait alors la garantie de ces tiers? En outre, comment peut-on justifier que la loi française détermine les effets d'une aliénation à l'égard des tiers, lorsque cette aliénation a eu lieu à l'étranger?

çais doit donner à l'aliénation l'effet qui lui est attaché suivant la loi du pays où elle s'est produite. Il arrive fréquemment que le titre ait été l'objet de toute une série d'aliénations entre l'époque où il a été volé et celle où on le retrouve dans les mains d'un tiers possesseur. Il suffit qu'une seule de ces aliénations ait eu pour résultat, d'après la loi territoriale compétente, de rendre l'acquéreur propriétaire, pour condamner à un échec certain l'action du propriétaire dépossédé. Ces principes sont loin, sans doute, de donner une garantie complète au propriétaire dépossédé, mais seuls ils peuvent jouir d'une autorité internationale certaine, parce qu'ils résultent de principes premiers non contestés. Pour obtenir un résultat plus complet, une entente formelle serait nécessaire qui aurait le double objet de procurer aux oppositions une publicité internationale et de garantir par le moyen d'une législation uniforme les droits du propriétaire de titres. Cette entente ne serait peut-être pas très difficile à réaliser.

315) Il reste une dernière conséquence à tirer de notre principe. Un droit régulièrement acquis au point de vue international doit être respecté aussi longtemps qu'il n'a pas été remplacé par un autre droit régulièrement acquis au point de vue international: il subsiste donc, mème au cas où un rapport plus nouvellement formé tend à le paralyser, si ce dernier ne présente pas les caractères auxquels on reconnaît les droits régulièrement acquis. Étant donné, en effet, que l'action internationale d'un rapport de droit est liée à certaines conditions, il est d'évidence que les mêmes conditions doivent être remplies par tout acte ayant pour objet de modifier ce rapport de droit. Cette déduction de nos principes présente ceci de particulier qu'elle permet de résoudre certaines questions qui étaient jusqu'ici considérées comme insolubles. Nous pouvons donner au moins deux exemples à l'appui de notre affirmation.

Une question très pratique est celle de savoir si un époux

peut divorcer alors que son conjoint ne le peut pas. L'hypothèse est connue. Deux époux sont mariés sous l'empire d'une législation qui ne permet pas le divorce. L'un d'eux se fait naturaliser dans un pays où le divorce est permis, alors que l'autre demeure engagé dans les liens de leur nationalité ancienne. Le conjoint naturalisé pourra-t-il user du droit au divorce que lui confère sa nouvelle législation? Cela semble assez naturel, mais on réfléchit de suite qu'il y a quelque chose d'anormal et de contradictoire à cette dissolution du mariage qui ne produit et ne peut produire effet que par rapport à l'un des conjoints. Si l'on entreprend de résoudre cette question de droit par ces raisons d'équité ou de convenance qui font trop souvent la loi en droit international privé, on ne sait vraiment que répondre. Notre jurisprudence, après avoir repoussé les divorces demandés dans de semblables hypothèses, tend aujourd'hui à les admettre1, au moins lorsque la naturalisation n'est pas entachée de fraude; elle n'a jamais donné de bonnes raisons de l'un ni de l'autre de ces deux partis.

Examinée à la lumière de nos principes. cette même. question se prète, au contraire, à une solution rationnelle. Il y avait dans l'hypothèse un rapport de droit régulièrement établi, l'état de mariage, il n'y a qu'à se demander si le divorce de l'époux naturalisé est susceptible de constituer un nouveau droit régulièrement acquis remplaçant le premier. Ici la négative s'impose. Un État tiers désintéressé dans la question ne peut pas, en effet, reconnaître qu'un mariage existe par rapport à l'un des conjoints sans exister par rapport à l'autre, il ne peut donc pas reconnaître ce divorce unilatéral autorisé par le statut personnel. de l'un des conjoints, défendu par le statut personnel de l'autre, qui aurait fatalement cette conséquence. Un tel divorce n'engendre done pas un droit régulièrement acquis, il ne peut pas dissoudre le mariage régulièrement établi qui

1 En ce sens, Trib. de la Seine, 3 juillet 1896, Cl. 96, p. 848; contrà Narbonne, 21 décembre 1898, Cl. 99, p. 350.

« PreviousContinue »