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doctrine. Partant du même principe, on pourrait réclamer à ce créancier, comme ayant été indûment payée, la part de dividende qui correspond à cette part de sa créance qui a été éteinte par le dividende reçu à l'étranger. Mais il y a plus. Bien que les faillites ouvertes en des pays différents soient, dans leur marche, indépendantes les unes des autres, la somme touchée dans la faillite étrangère constitue à l'intérieur un paiement partiel de la créance, paiement qui doit être annulé comme remontant à une époque postérieure à la cessation des paiements (art. 447 du code de commerce). Il n'est pas douteux que la sanction de l'art. 447 atteindrait un paiement amiable fait à l'étranger. Nous ne voyons pas pourquoi elle n'atteindrait pas également la remise d'espèces à laquelle la production à la faillite étrangère a abouti. La somme touchée devra donc être rapportée et cette solution limitera l'utilité de la déduction cidessus mentionnée au cas fort rare où le paiement du dividende, dans la faillite étrangère, serait antérieur de plus de dix jours à l'époque fixée par la juridiction intérieure comme étant celle de la cessation des paiements.

310) Les difficultés les plus graves se présentent en matière de concordat et ces difficultés portent précisément sur le point qui nous intéresse ici: quel est l'effet international de cet acte? Peut-il ètre invoqué hors du pays où il a été passé? Peut-il être opposé soit aux créanciers qui y ont pris part, soit même à ceux qui y sont demeurés étrangers? C'est bien, comme on le voit, une question concernant l'effet international des droits acquis. Et c'est une question particulièrement délicate à cause de la nature indécise du concordat, dont les effets participent du contrat et de l'autorité directe de la loi. Un concordat régulièrement conclu donne naissance à un droit acquis, cela paraît certain. Il ne s'agit plus, en effet, ici d'une simple procédure tendant à la réalisation d'un droit, il s'agit d'une transformation des créances, d'une remise partielle ayant pour corrélatif les sacrifices auxquels le débiteur

s'est obligé. C'est une sorte de transaction qui présente ceci de particulier qu'elle procède non pas d'un contrat véritable, mais d'un acte dans lequel le sentiment de la majorité lie la minorité.

Mais quels sont les effets de cet acte? Dans le pays où il a été accompli, il est évident qu'il produit tout l'effet que la loi locale lui reconnaît et notamment qu'il lie tous les créanciers, même ceux qui auraient négligé de prendre part aux opérations de la faillite. Mais au dehors? En principe le droit acquis dans un pays a ses effets dans les pays étrangers, mais encore faut-il pour cela qu'il n'y blesse pas quelque règle d'ordre public. Or, précisément, ne doit-on pas considérer comme blessant l'ordre public local la loi étrangère qui prétendrait substituer un arrangement amiable à la loi intérieure gouvernant les rapports du débiteur et de ses créanciers? Un concordat conclu à l'étranger ne saurait donc avoir aucun effet: il n'empêche pas les créanciers d'exercer leur droit soit individuellement, s'il n'y a pas de faillite déclarée dans le pays, soit collectivement dans le cas opposé, sauf à rapporter les sommes touchées par eux à l'étranger en exécution du concordat comme ayant été payées au détriment de la

masse.

La jurisprudence française va beaucoup plus loin dans la voie de l'extraterritorialité du concordat. Elle admet que le concordat passé en France empèche les créanciers d'exercer leurs poursuites sur des biens situés à l'étranger et les oblige à rapporter ce qu'ils auraient pu y toucher. Elle admet de même que le concordat passé à l'étranger oblige en France tous ceux qui l'ont consenti et les empêche, par suite, de poursuivre leur débiteur. C'est une conséquence tirée du caractère contractuel du concordat et qui fait abstraction de son côté d'acte d'exécution.

Quant aux créanciers qui n'auraient pas adhéré au con

1 Trib. de la Seine, 17 novembre 1886, Cl. 87, p. 181.

cordat, le point de savoir s'il peut leur être opposé donne lieu à contestation; d'après l'opinion la plus suivie, la solution varierait suivant que le jugement étranger d'homologation a ou n'a pas été en France l'objet d'une sentence d'exequatur 1. En adoptant ce système, notre jurisprudence a marqué son intention de se rapprocher du parti de l'unité de la faillite. Ce désir peut colorer des solutions que l'observation des principes ne tolérerait pas. Mème homologué, un concordat n'est rien autre qu'un incident de la procédure d'exécution: il ne peut avoir de valeur que dans les limites de l'État où il intervient, et l'on ne conçoit même pas que l'on puisse parler d'exequatur en ce qui concerne les décisions de cette espèce.

311) Empruntons une dernière application à la matière de la responsabilité délictuelle. Considérées au point de vue des conflits qu'elles peuvent faire naître, les obligations procédant de cette source sont régies dans l'opinion prépondérante par la loi du lieu où le délit a été commis. Si donc les circonstances du fait obligent la victime du délit à porter son action à la barre d'un tribunal étranger, ce n'est point sa propre loi, loi du for, que ce tribunal appliquera, mais bien la loi du lieu où le délit a été commis. Cette loi déterminera l'étendue de la responsabilité, les personnes à qui elle s'étend, les motifs d'exonération que celles-ci peuvent faire valoir. Dira-t on pour cela que les lois touchant la responsabilité délictuelle appartiennent au statut personnel? Ce serait absurde, aucune loi ne présentant plus nettement que celles-là le caractère de lois d'ordre public. Voilà donc encore un résultat considérable qui ne peut se justifier que par l'idée du respect dù aux

1 Lyon-Caen et Renault, ibid., p. 462. Dans le sens de l'opinion adoptée au texte, v. Thaller, ibid., p. 377. La solution qui résulte des principes dépouille de tout intérêt la question de savoir si certains modes de libération usités à l'étranger comme l'order in discharge du droit anglais pourraient produire effet sur notre territoire.

droits acquis. Les mèmes principes existent pour la responsabilité contractuelle, lorsqu'elle excède les limites. mises par la loi à l'autonomie des contractants.

312) Les exemples qui précèdent suffisent à nous révéler toute l'importance pratique de la règle du respect international dû aux droits acquis. Ils nous ont montré, en particulier, comment cette règle est nécessaire à la justification rationnelle d'un certain nombre de solutions que l'usage admet depuis longtemps, parce qu'elles sont nécessaires, mais auxquelles la doctrine commune était impuissante à donner une base théorique, visible et certaine. Nous n'avons pas épuisé par là la théorie des droits acquis en droit international privé. Nous avons montré comment on les établit, voyons maintenant de quelle façon ils disparaissent.

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Aussi longtemps qu'il existe, un droit acquis doit être respecté, mais jusqu'à quel moment existera-t-il? Il est possible qu'un droit disparaisse parce qu'il a produit l'effet que l'on en attendait c'est le cas d'une obligation éteinte par un paiement ou par suite de la révélation d'une cause d'annulation ou de révocation qu'il portait en lui, comme il arrive quand un droit s'éteint par l'effet d'une action en nullité ou en révocation. En pareil cas, le droit acquis disparaît par l'effet de causes qui lui sont inhérentes, il n'y a plus de droit acquis, il n'y a plus de droit du tout et même, si l'extinction s'est produite avec un effet rétroactif, à certains égards les choses se passent comme si le droit n'avait jamais existé.

L'hypothèse qui nous intéresse surtout est un peu différente. Elle se présente lorsqu'un droit disparaît par l'effet d'une cause nouvelle, parce qu'un acte juridique a été conclu, qui a pour objet de modifier gravement les effets du premier. Nous dirons de cet acte nouveau ce que nous avons dit du précédent. Il engendre lui aussi un droit nouveau appelé à bénéficier d'un effet général et ce droit est soumis aux mêmes conditions que le premier; si lors

de sa naissance il n'a soulevé aucun conflit, il suffit qu'il réponde aux conditions légales existant dans le pays où il est né; dans le cas contraire, il faut que le conflit ait été résolu par l'observation des lois compétentes. A ces conditions, le nouveau droit est internationalement acquis et les transformations qu'il apporte au droit antérieurement existant doivent être reconnues dans tous les pays. Si donc il vient abolir le droit précédent, ce droit n'existe plus pour personne, s'il est venu le modifier, ce droit existe encore au point de vue international, mais sous la forme nouvelle qui lui a été donnée. La conséquence opposée n'est pas moins évidente. Si le droit nouvellement établi n'a pas été régulièrement acquis, il n'a pas d'effet au point de vue international et le droit antérieur continue à subsister seul comme si aucun fait nouveau ne s'était passé.

Ces principes formulent la réaction que peuvent opérer les uns sur les autres plusieurs droits successivement acquis. Ils abondent eux aussi en conséquences intéressantes et fournissent, à notre avis, la solution claire et certaine de questions réputées pour leur extrême difficulté. Tout d'abord on aperçoit sans peine leur influence dans la matière de l'extinction des obligations, lorsque cette extinction est indirecte et résulte d'un fait juridique nouveau, par exemple d'un paiement avec subrogation, d'une novation, d'une compensation. La question de l'extinction de la première obligation se confond avec celle de la validité internationale de la seconde. Que l'on ne cherche donc pas dans l'obligation la plus ancienne des motifs de valider ou d'invalider l'acte postérieur. On raisonnerait à faux. Cette obligation existe en vertu de l'effet qui s'attache aux actes régulièrement acquis, il va de soi que ce même effet peut aboutir à anéantir le lien obligatoire qu'il avait fait reconnaître. C'est le cas d'appliquer au droit international la vieille maxime romaine sur l'identité des causes de formation et d'extinction des obligations.

313) Mais ces idées appellent d'autres questions plus

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