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de déclaration de faillite n'est susceptible, en France, d'aucun effet, notamment qu'il ne peut y être l'objet d'une instance en exequatur. La jurisprudence française est en sens contraire sur ce point. Il ne faut cependant pas exagérer la distance qui sépare sa doctrine de la nôtre. L'exequatur donné au jugement étranger n'a qu'un effet qui lui soit propre, la confirmation des pouvoirs du syndic étranger. Du reste, la procédure d'exécution se produit en France conformément aux lois françaises, et il n'y a guère de différence entre la faillite résultant d'un jugement rendu à l'étranger et celle qui aurait été directement ouverte en France. La première, cependant, n'est pas publiée en France suivant la forme prescrite en l'art. 442 du code de com., et cela est fàcheux. Cet inconvénient disparaît, si l'on admet qu'il ne peut y avoir en France que des jugements français de déclaration de faillite.

307) Le principe de respect dû aux droits acquis entre en scène si l'on se préoccupe des droits des créanciers étrangers. Il n'est pas douteux que, dans une faillite ouverte en France, les créanciers étrangers doivent être reçus à produire comme les créanciers français eux-mêmes. C'est un principe général et qui n'a rien de particulier aux faillites ouvertes en France. On le justifie généralement par l'idée d'égalité entre les créanciers. Or cette idée d'égalité, qui fixera justement la condition des créanciers étrangers, lorsqu'ils seront admis à la faillite ouverte en

1 Jurisprudence constante. V. Paris, 14 novembre 1901. Cl. 1902, p. 110. Cf. Turin, 13 décembre 1898, Cl. 1901, p. 850, et la note de M. Chrétien. La procédure de faillite a pour unique objet de réaliser la mainmise des créanciers sur le patrimoine de leur débiteur. Les lois qui la concernent peuvent passer, à juste titre, pour le type des lois de crédit public et de garantie sociale. C'est comme agent d'exécution que l'État intervient ici et nul ne doute que ses pouvoirs à cet égard ne soient purement territoriaux. A-t-on jamais parlé d'exequatur d'un jugement d'expropriation pour cause d'utilité publique ? ou d'extraterritorialité des lois sur la saisie mobilière ou immobilière ? Pourquoi prétendre, dès lors, traiter différemment la faillite, alors que sa nature est identique?

France, est absolument impuissante à nous expliquer qu'ils doivent y être admis. Les lois sur la faillite sont territoriales, et pour admettre un créancier étranger en vertu de l'idée d'égalité, il faudrait un traité stipulant que l'égalité servira de règle dans les rapports des nations entre elles 1. Ce que l'idée d'égalité n'explique pas, le principe du respect dû aux droits acquis le justifie sans peine. C'est parce qu'un État ne peut pas méconnaître l'existence et la validité de créances régulièrement nées à l'étranger, qu'il doit admettre les titulaires de ces créances à participer au bénéfice de la réalisation des biens du débiteur sur le territoire. Voici donc une loi générale et qui devrait être appliquée même dans les pays où le principe d'égalité n'existerait pas 2.

Les créanciers étrangers seront donc admis, mais quelle sera leur condition? Nous ne nous occuperons pas de la façon dont ils justifieront de l'existence de leur créance: on suivra ici les principes qui donnent compétence à la loi du lieu où la créance est née. Relativement à l'étendue des droits que ces créanciers peuvent faire valoir, nous distinguerons entre le cas où il n'existe qu'une faillite ouverte en France et celui où on trouve en même temps d'autres faillites ouvertes à l'étranger.

La première hypothèse est la plus simple. Leurs créances une fois vérifiées, les créanciers étrangers auront, dans la faillite ouverte en France, tous les droits des

1 Comme cela a lieu entre la France et la Suisse par l'effet de l'art. 6 du traité du 15 juin 1869.

2 Le principe de l'admission des créanciers étrangers à une faillite ouverte en France est reçu par notre jurisprudence (Montpellier, 12 juin 1884, Cl. 85, p. 82). Cette doctrine libérale et que l'arrêt cité justifie bien, en disant que l'on n'est pas en droit d'organiser dans le silence de la loi un système de rétorsion, ne sera pas sans inconvénient dans nos rapports avec les pays qui n'admettraient pas les créanciers étrangers aux faillites ouvertes sur le territoire ou ne les admettraient qu'après paiement des créances indigènes. Certaines législations étrangères ont subordonné l'admission des créanciers étrangers à la règle de la réciprocité (Autriche-Hongrie, loi de 1868, art. 51 et 52; Empire allemand, loi du 10 février 1877, art. 4).

créanciers français. Ils auront les mêmes avantages et toucheront les mêmes dividendes. La question se complique un peu lorsque l'on considère que tous ces créanciers ne sont pas de simples chirographaires : ils ont peut-être des privilèges et des hypothèques et les sûretés qu'ils possèdent sont, en outre, sujettes à éprouver des modifications sensibles par suite de l'état de faillite du débiteur. C'est ainsi que chez nous la masse tient de la loi une hypothèque sur les immeubles du failli et que l'hypothèque légale de la femme subit, en cas de faillite du mari, de très importantes réductions (art. 563 code com.). Il n'est pas douteux que toutes ces causes de préférence qui viennent modifier l'ordre de distribution des deniers sont des lois de crédit public à effet territorial. C'est donc la loi du lieu où la procédure de faillite se poursuit qui déterminera l'ordre de ces préférences et la mesure dans laquelle chacune d'elles pourra être invoquée. Toutefois, le respect des droits acquis aura encore sa place sous l'influence de cette loi de territorialité. Il est possible que le privilège ou l'hypothèque ait sa cause dans un acte accompli à l'étranger. Ainsi le failli peut s'ètre marié à l'étranger. Cela n'empêchera pas sa femme, si du reste elle jouit des droits civils en France, de faire valoir son hypothèque sur les immeubles dépendant de la faillite de son mari et situés sur notre territoire, de la même façon et dans la même mesure qu'elle le ferait si elle avait été mariée en France. Cette assimilation ne peut se justifier que par l'effet international reconnu aux droits acquis1.

308) La faillite n'a pas seulement pour conséquence la

1 On justifie généralement cette solution par la réalité des lois immobilières. Il est aisé de montrer l'insuffisance de cette explication. La réalité des lois immobilières pourra suffire à montrer quels immeubles sont, en cas de faillite du mari, atteints par l'hypothèque de la femme, mais vouloir l'utiliser pour déterminer les créances garanties par T'hypothèque de la femme, c'est pousser cette idée de réalité au delà de toute limite raisonnable. L'idée de réalité conduirait à appliquer à ces créances la loi du lieu où elles sont nées.

réalisation de l'actif du commerçant insolvable au profit de ses créanciers: elle produit, à titre accessoire, certains effets dessaisissement du failli, incapacité de contracter des dettes opposables à la masse, nullité des actes accomplis pendant la période suspecte évidemment destinés à mettre les créanciers à l'abri des tentatives que pourrait faire leur débiteur pour échapper à leur poursuite. Ces effets de la faillite sont, eux aussi, territoriaux.

Il en est certainement ainsi du dessaisissement. Il ne peut exister en France qu'à la suite d'un jugement français. Et inversement un commerçant déclaré en faillite dans un pays demeure maître des biens qu'il possède dans un autre pays, capable de contracter et de payer comme l'est toute personne en possession de ses droits. On s'est élevé non sans une certaine raison contre les inconvénients pratiques de cette solution; il faut convenir cependant qu'elle ne préjudiciera jamais qu'à des créanciers négligents.

Pour les incapacités, il semble que leur nom seul proteste contre la solution que nous venons de donner et c'est ce nom, en effet, qui a inspiré le système assez étrange de l'application de la loi nationale du failli à la faillite. Si l'on applique notre méthode à cette question, aucun doute n'est possible. Ces lois n'ont pas d'autre but que de renforcer le grand principe de crédit public en vertu duquel le patrimoine d'une personne est le gage de ses créanciers. Elles sont done, comme ce principe lui-même, de nature territoriale. Il en est de même des nullités qui peuvent atteindre les actes passés par le failli.

309) L'hypothèse de plusieurs faillites simultanément ouvertes dans divers pays est plus délicate 1. Il est difficile, en effet, de concilier le principe de l'égalité des créanciers

↑ Il y aura lieu à pluralité de faillites toutes les fois où l'insolvable aura des établissements commerciaux (indépendants ou subordonnés les uns aux autres, il n'importe) ou même simplement des biens dans divers pays. Il est certain, du reste, que la faillite d'un non commerçant ne pourra s'ouvrir que dans les pays où les non commerçants peuvent être

avec l'indépendance respective des procédures d'exécution ouvertes sur des territoires différents. Nous savons déjà qu'en principe un créancier quelconque peut produire dans une faillite quelconque. Mais que touchera-t-il? Supposons un créancier étranger se présentant dans une faillite ouverte en France. L'application de la loi d'égalité qui lui sera faite devra tendre à lui donner autant qu'à un créancier français, mais rien de plus. Si cet étranger n'a encore produit qu'en France, la solution sera simple: il recevra son dividende intact, sans que l'on ait à se préoccuper de la faculté qu'il possède de se procurer un nouveau dividende par une production ultérieure dans une faillite étrangère. Mais l'hypothèse opposée sera plus ordinaire créancier étranger aura produit en même temps dans les faillites ouvertes à l'étranger. Notre jurisprudence, dans ce cas, l'oblige à rapporter à la masse française les sommes qu'il peut avoir touchées dans les faillites étrangères 1. Cette jurisprudence, très critiquée par la doctrine, nous paraît devoir être approuvée par application du principe du respect des droits acquis, qui va, cette fois, fonctionner au profit de la masse et contre les créanciers ayant pris part à plusieurs distributions dans des pays différents.

le

Un premier point est certain, c'est que le dividende touché par le créancier à l'étranger a diminué d'autant sa créance et que cette diminution, procédant d'un acte internationalement valable, doit avoir son effet en tout lieu. Le créancier ne pourrait donc, en tout cas, produire que pour sa créance, moins la somme par lui touchée, et ce résultat empêcherait déjà qu'il puisse retirer de plusieurs faillites ouvertes en des pays divers plus qu'il ne lui était dû, résultat évidemment fàcheux et qui préoccupe à bon droit la

mis en faillite. Ailleurs les règles de la déconfiture seront appliquées. Pour juger de la qualité de commerçant la loi locale sera compétente si le failli a un établissement dans le pays; si non, il faudrait tenir compte de la loi du lieu où il exerce son industrie. La qualité que lui donne cette loi est pour lui un droit internationalement acquis.

Montpellier, 12 juin et 8 août 1884,'cités dans Vincent et Pénaud, Diction., v. Faillite, n° 103 et suiv.; Bâle, 5 juillet 1883, Cl. 85, p. 340.

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