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industrielle une protection aussi étendue que celle dont jouit celui qui a acquis dans le pays même un droit semblable. Cette assimilation est-elle si complète que l'on ne doive tenir aucun compte des lois étrangères sous l'empire desquelles le droit de propriété a été acquis? La question se posait déjà en France pour la propriété littéraire et artistique, sous l'empire du décret-loi du 28 mars 1852. Elle se présentait surtout en ce qui concerne la durée de cette propriété. Que le droit acquis à l'étranger ne pût pas excéder en France le temps accordé aux auteurs et artistes nationaux, cela allait de soi. On était là en présence d'une loi d'ordre public, dont la généralité d'application ne pouvait soulever aucun doute. Mais le droit de l'étranger était-il toujours aussi durable que le droit de l'auteur français, même dans le cas où la loi du lieu d'édition de l'œuvre assignait à cette propriété une vie moins longue? La jurisprudence tendait à résoudre négativement cette question et à admettre concurremment, en ce qui concerne l'extinction du droit, l'autorité de la loi du lieu où on l'invoque et celle de la loi de son origine. Mais quelle raison donnait-on de cette solution? Qu'il était peu équitable et même choquant de traiter un auteur étranger plus favorablement qu'il ne le serait dans le pays où il avait édité son œuvre, raison bien faible en vérité et qui ne suffisait pas à dissiper l'incertitude planant sur cette question.

acquis dans le pays où l'exécution est poursuivie, il serait purement et simplement assimilé aux nationaux. Il n'existe pas, du reste, à ce point de vue une analogie complète entre la propriété littéraire et la propriété industrielle L'Union de Berne, complétée sur ce point par la convention du 4 mai 1896, admet à la protection internationale quiconque a publié son œuvre dans un pays faisant partie de l'Union. Le traité de Paris de 1883 ne s'applique qu'aux sujets et citoyens des États contractants (art. 2) et à ceux qui, ne possédant pas cette qualité, ont leur domicile ou un établissement industriel sur le territoire de l'un des États de l'Union (art. 3). Cette différence contribue déjà à donner une grande importance au point de savoir si les produits d'un certain art (la photographie, par exemple) sont des œuvres artistiques ou des produits industriels.

1 Cass., 25 juillet 1887, S., 88-1-17, et la note de M. Lyon-Caen ; Trib. Seine, 5 janvier 1898, Cl. 98, p. 758.

Les traités particuliers conclus de 1852 à 1883 consacraient en général la solution donnée par la jurisprudence et l'Union de Berne a formellement accueilli cette solution. Mais si la durée du droit de propriété littéraire ou artistique ne peut plus donner lieu à conflit, notre question générale n'a rien perdu de son intérêt quant aux autres points intéressant le régime international de cette propriété. Quelles sont les personnes protégées? Quelles œuvres ont droit à réclamer cette protection? Contre quels empiétements est-elle donnée? En quoi consiste-t-elle précisément et quelle réparation assure-t-elle aux individus lésés? Quelles sont les causes d'extinction auxquelles elle est soumise? On ne peut pas poser une seule de ces questions, sans se demander si la loi du lieu d'origine de l'œuvre ne doit pas être considérée dans sa solution 1.

La convention de 1886 a fait à cet égard certaines précisions. Elle a exigé avec raison que les formalités et conditions prescrites par la législation du pays d'origine de l'œuvre aient été accomplies (art. 2. § 2). A cela la déclaration interprétative de 1896 a ajouté, avec raison, que ces conditions seraient seules exigées, c'est-à-dire que l'on ne demanderait pas de justifier en outre de l'accomplissement des conditions prescrites dans le pays étranger où le droit est invoqué. Tout cela est très conforme à cette idée que la régularité d'un droit acquis à l'étranger dépend exclusivement des dispositions des lois étrangères compétentes. En outre sur beaucoup de points, pour trancher des controverses auxquelles les conventions plus anciennes avaient donné lieu, la convention de 1886 a énoncé expressément les conditions et les limites de la protection internationale qu'elle avait pour objet d'assurer. Elle définit ce que l'on entend par œuvres littéraires et artistiques, parle de la traduction, de la représentation des œuvres drama

1 Sur un seul point le conflit ne peut pas s'élever. Il est certain que la sanction pénale des contrefaçons est la même dans chaque pays pour les auteurs étrangers et pour les auteurs nationaux. C'est un effet de la territorialité des lois pénales.

tiques, etc. Il y a là comme une esquisse de législation commune. Mais est-ce bien d'une législation commune qu'il s'agit là, d'une législation se suffisant à elle-mème et dérogeant, le cas échéant, en faveur des œuvres étrangères aux dispositions moins libérales que peuvent contenir les lois intérieures des pays où ces œuvres ont vu le jour? Ou bien doit-on penser que l'Union de Berne ne protège jamais que les œuvres déjà protégées dans le pays de leur origine et ces prescriptions sont-elles seulement des limites à la protection internationale dont les œuvres littéraires ou artistiques sont susceptibles?

Le doute est possible, on le voit, sur un très grand nombre de points. Comment sera-t-il tranché? Il ne peut l'être d'une façon décisive que par un appel fait à la théorie des droits acquis. Ces droits, que les auteurs ou artistes étrangers viennent faire valoir dans un pays de l'Union, en France, par exemple, ne sont point des droits nouveaux qui se fixent sur leur œuvre au moment où elle franchit la frontière, ce sont les droits acquis au lieu d'origine de l'œuvre, droits que ces auteurs viennent invoquer dans un pays différent. Donc aussi ces droits ne seront jamais et ne pourront jamais être que ceux qu'ils possèdent dans le pays d'origine de leur œuvre. Ils supporteront sans doute l'effet des définitions et des limitations que contient le traité, ils supporteront également le contre-coup des actes de la puissance publique locale, en tant que ces actes se traduisent par l'émission de lois d'ordre public, mais, bien que le traité de Berne n'en dise rien, ils supporteront avant tout l'influence des règles juridiques sous l'autorité desquelles leur droit s'est constitué. L'Union de 1886 a consacré, en matière de propriété littéraire, l'effet international des droits acquis, mais elle n'a pas pu changer leur nature, effacer le fait qu'il s'agit de droits acquis à l'étranger et donner à ces droits une indépendance qu'ils ne sauraient posséder sans mentir à leur nature. Et c'est en cela que consistera la différence de l'auteur étranger qui a édité son œuvre dans le pays à celui qui, l'ayant publiée dans sa

patrie, en débite des exemplaires à l'étranger. L'un et l'autre seront soumis aux règles restrictives contenues dans la loi du lieu où ils invoquent leur propriété, mais le premier ne sera soumis qu'à ces règles seules, alors que le second pourra se voir opposer, en outre, les conditions et limitations sanctionnées par la loi du lieu où son œuvre a paru pour la première fois.

Cette doctrine ne correspond pas pleinement aux vœux émis par les intéressés, elle n'est pas conforme à l'avis de ceux qui voudraient assimiler en tout point la propriété intellectuelle à la propriété des objets matériels, mais ces raisons ne doivent pas nous arrèter. Quoi qu'on dise, il existera toujours un abime entre ces deux sortes de droit. et il n'y a pas deux façons de réglementer une situation juridique donnée. Il faut lui appliquer les principes généraux du droit on se résigner à édifier, par une complaisance excessive, une construction arbitraire bientôt destinée à disparaître. La propriété industrielle soulève les mêmes questions. Elles devront être résolues de la même façon et pour les mêmes motifs.

306) La matière de la faillite va nous fournir d'autres applications tout aussi considérables de nos idées. On sait qu'il n'en est pas dont le régime international présente de plus nombreuses obscurités. La première question qui se présente ici est celle de l'unité ou de la pluralité de la faillite. Un commerçant qui a des établissements dans plusieurs pays ou y possède simplement quelques biens donnera-t-il lieu, par son insolvabilité, à autant de faillites différentes qu'il y a de pays dans lesquels il possède des capitaux ou, au contraire, à une seule procédure instituée contre lui dans le lieu où il a son principal établissement? Nous avons observé plus haut que les lois sur les faillites appartiennent à la catégorie des lois d'ordre public. Il faut pourtant revenir sur ce point pour nous demander si une faillite ouverte dans un pays n'engendre pas, au profit des créanciers qui y ont produit, un droit acquis de nature

à produire ses effets à l'étranger. Certaines décisions de la jurisprudence pourraient nous incliner à considérer cette thèse comme fondée 1.

Observons que cette idée aurait pour résultat non pas de fonder la compétence exclusive de la juridiction du domicile de l'insolvable, mais de donner des effets extraterritoriaux à toute faillite régulièrement déclarée suivant la loi locale. Mais cette idée elle-même n'est pas fondée. Si la faillite opérait une sorte de novation, si elle ajoutait quelque chose au droit des créanciers, on pourrait parler ici de droits acquis. Mais il n'en est pas ainsi. La faillite n'est rien autre qu'un procédé particulier d'exécution contre les commerçants (et dans certains pays même contre les non-commerçants), elle ne nove pas les droits antérieurs des créanciers, elle se borne à les faire valoir. On ne peut donc pas parler de droits acquis, et la faillite ouverte dans un pays ne saurait avoir d'effet que sur les biens qui s'y trouvent. Rappelons en passant que cette territorialité dérivée du but social des lois en question. n'a rien de spécial aux immeubles; elle demeure donc la même quels que soient les éléments dont se compose l'actif du failli.

La faillite est donc une matière strictement territoriale?. On est fondé à conclure de là qu'un jugement étranger

1 C'est ainsi que l'on peut entendre un jugement du Trib. de comm. d'Anvers du 27 mai 1896, rapporté dans Cl. 96, p. 1078.

2 Cette, 3 juillet 1890, Cl. 91, p. 203; Bordeaux, 8 juillet 1891, Cl. 92, p. 664; Paris, 23 novembre 1895, Cl. 96, p. 610; id., 31 janvier 1896, Cl. 97, p. 131. La doctrine est divisée, mais paraît, au moins par le nombre des suffrages, pencher vers le système de l'unité. Cf. Lyon-Caen et Renault (Droit commercial, t. VIII, pp. 450 et suiv.) et Thaller (Des faillites, t. II, pp. 353 et suiv.). Ce dernier auteur nous paraît avoir seul bien déterminé le caractère international de la faillite. Encore nous séparonsnous de lui sur un point déjà indiqué. La stricte territorialité de la faillite ne vient pas de ce qu'elle concerne les biens, mais de ce qu'elle constitue un mode d'exécution. Pour MM. Lyon-Caen et Renault, la faillite ne rentrerait ni dans le statut personnel ni dans le statut réel. Cependant, si l'on adopte le principe de l'école statutaire, comme ces savants auteurs paraissent le faire, on ne peut pas contester que les lois sur la faillite aient les biens du débiteur pour objet.

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