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point est capital, on le sait. Voyons donc quels seront les pouvoirs des juges à qui l'exequatur est demandé. Ils vérifieront la compétence d'après la loi étrangère, constateront la régularité formelle de cet acte d'après les attestations que l'on aura eu soin d'y ajouter; ils apprécieront si l'exécution demandée n'est point contraire à l'ordre public de leur pays. Mais leurs pouvoirs s'arrêtent là. En particulier ils ne possèdent pas le droit de reviser la sentence du juge étranger. Sur ce point, cependant, une distinction doit. être faite suivant que l'arrêt étranger a statué sur des questions de pur droit intérieur ou sur des questions du ressort du droit international privé. Dans le premier cas, notre principe est absolu; il ne l'est plus dans le second. Si une question de condition des étrangers, de conflit ou de droits acquis existait dans le procès et a été résoluecontrairement aux doctrines admises dans le pays où l'exécution est demandée, le juge de ce pays sera autorisé à reviser la sentence sur ce point. Il s'agissait, par exemple, de statut personnel, et un juge anglais a appliqué la loi du domicile de la personne. Un juge français ne saurait être obligé à donner effet à cette décision. A la loi du domicile il substituera la loi nationale dans le jugement. Pourquoi cette différence ? C'est qu'en matière de droit international privé aucun législateur et aucun juge ne peuvent imposer aux autres leur manière de voir; précisément parce que cette branche du droit règle les rapports juridiques des États entre eux, il n'existe jamais, en cette matière, de compétence exclusive et chacun, comme nous l'avons dit plus haut, définit ses propres droits et ses propres obliga

1 A moins que leur loi nationale ne le leur accorde formellement. La décision de principe émise au texte n'est pas contredite, à notre avis, par notre législation française, car rien n'est moins certain que la survivance de l'art. 121 de l'ordonnance de 1629 et, d'autre part, les art. 2123 et 546 ne font aucune allusion à ce droit. On sait que la jurisprudence française est contraire à cette interprétation et maintient très énergiquement le droit de revision. Cette jurisprudence, critiquable en droit, est, en fait, assez intelligible et nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il serait, pratiquement, désirable de la voir modifiée.

tions. Il est évident que l'on ne pourrait pas, sous couleur d'exécution d'un jugement étranger, tourner cette règle et faire sanctionner par l'État un principe de droit interna tional qu'il n'accepte pas.

3o Rappelons ici qu'il n'y a pas de motif de distinguer l'autorité de la chose jugée de la force exécutoire et que, par suite, aucune raison n'existe de donner au juge des pouvoirs plus étendus au second de ces deux points de vue qu'au premier : il s'agit toujours de donner à un jugement étranger un effet que l'État seul peut conférer aux décisions des magistrats. Et même si une distinction était à faire, ce serait bien plutôt en sens contraire. Requérir l'exécution d'un acte passé à l'étranger est moins grave, comme atteinte à la souveraineté, qu'exiger le respect de la chose jugée à l'étranger. Ce qui le prouve, c'est que jamais l'exécution des actes authentiques n'a donné lieu aux mêmes difficultés que l'exécution des jugements.

Il n'y a pas lieu davantage de placer dans une catégorie exceptionnelle les jugements relatifs à l'état des personnes. Bien que cet état fasse partie du statut personnel de l'individu, il ne faut pas oublier qu'il dérive d'une décision judiciaire rendue à l'étranger qui a besoin, pour produire ses effets, d'être reconnue, et qui ne le sera que dans les conditions exigées des reconnaissances de cette sorte. On peut constater ici cette confusion contre laquelle nous avons mis en garde plusieurs fois le lecteur. De ce qu'un certain rapport constitue un statut personnel, il suit que la loi étrangère sera applicable chaque fois que ce rapport sera en question, mais il n'en résulte nullement que l'acte, en vertu duquel ce rapport existe, soit assuré de ses effets à l'étranger.

4o L'exécution d'un jugement aura lieu suivant les lois du pays où elle se produit. C'est, nous le savons, une matière d'ordre public. Dès lors, il n'y a rien de choquant à ce qu'un jugement qui, d'après les lois du lieu où il a

1 Cf. Riom, 3 mai 1897, Cl. 98, p. 138.

été rendu, ne jouit pas de l'hypothèque judiciaire, bénéficie de cette garantie en France, lorsque son exécution y est demandée. Il en serait de même de l'hypothèque appartenant aux créanciers du failli sur les immeubles dépendant de la faillite.

303) Une autre idée sur laquelle il faut insister est la suivante quand on prétend exercer dans un pays un droit acquis à l'étranger, le droit que l'on invoque est le droit même que l'on possédait à l'étranger et non pas un droit nouveau qui serait soumis à un régime différent. Il est, en effet, inadmissible, comme l'observe très bien Dicey1, qu'un droit transporté d'un pays dans un autre change pour cela de nature.

Le droit invoqué à l'étranger demeurera donc identique à ce qu'il était dans le pays où il a eu son origine. Lorsqu'il s'agira de mesurer l'amplitude de ce droit, de peser ses conséquences, de scruter sa nature, c'est à la loi étrangère que l'on devra demander la solution de ces questions. Cet incontestable principe est fécond en applications pratiques; il va nous permettre d'envisager sous

nouveau jour et de résoudre plus sûrement certaines difficultés bien connues du droit international privé.

304) Tout le monde sait qu'il n'est peut-être pas, dans toute notre science, de matière plus complexe que celle de la lettre de change, qu'il n'en est pas non plus où le point de vue international compte davantage. La lettre de change est un instrument de crédit destiné à la circulation; il lui arrive fréquemment de franchir plusieurs frontières pendant la courte période de son existence. A l'occasion d'une lettre de change, un grand nombre de rapports différents peuvent naître entre le tireur et le tiré, le tireur et le preneur, le tireur et le donneur d'aval, des en

1 Digest, General principle, no 5, pp. 56 et suiv.

dosseurs au tiré, des endosseurs entre eux ou à l'égard du tireur. Nous ne prétendons pas en avoir épuisé la série. Le droit commercial reconnaît à ces divers droits une certaine indépendance: sans doute ils ont un trait commun et sont tous relatifs au paiement d'une même somme d'argent, mais cela n'empêche pas que chacun d'eux ait son individualité propre et dépende, suivant sa nature, tantôt de la volonté des parties qui l'ont créé, tantôt des termes de la loi sous l'empire de laquelle il a pris nais

sance.

Notre objet n'est pas ici de rechercher la loi à laquelle chacun de ces rapports se trouve soumis, mais de déterminer leur effet international. La question se pose au moment de l'échéance si, la lettre n'étant point payée, les divers ayants droit se retournent les uns contre les autres. La doctrine et la jurisprudence admettent que chacun des engagements pris garde l'empreinte qu'il a reçue dès le début, et doit être mesuré suivant les lois qui ont présidé à sa formation 1. Cette solution est fort correcte sans doute, mais, si ce n'était le principe du respect des droits acquis, elle demeurerait entièrement inexplicable. Observons, en effet, que ces actions récursoires auront lieu le plus souvent dans un pays autre que celui où ces engagements ont été contractés. A quel titre invoquera-t-on l'autorité des lois en vigueur à ces diverses places? Il ne s'agit pas, à coup sûr, de la condition de la personne, et les lois dont il s'agit n'ont jamais fait partie du statut personnel. On les invoque sans doute parce qu'on y est obligé, parce qu'il serait absurde qu'une obligation ayant été construite en vue de produire un certain effet, produisît, plus tard et dans un lieu différent, un autre effet. Ce serait absurde, sans doute, mais, en doctrine, le principe du respect international du aux droits régulièrement acquis permet seul d'éviter cette absurdité.

Ainsi, soit qu'il s'agisse d'apprécier l'étendue des obli

1 En ce sens Caen, 12 décembre 1900, Cl. 1902, p. 331.

gations prises par chacun de ceux qui ont eu part à la création ou à la négociation d'une lettre de change, soit que l'on discute la valeur des exceptions qu'ils peuvent opposer aux recours dont ils sont l'objet, il faut toujours remonter à l'époque où l'obligation a pris naissance et consulter la loi qui en a régi, dès le début, la substance. Il pourra arriver ainsi que plusieurs personnes obligées au même titre (en qualité d'endosseurs, par exemple) ne soient cependant pas obligées de la même façon. C'est un inconvénient, mais il est infiniment moins grand que celui qu'il y aurait à lier arbitrairement à une règle unique des obligations contractées sous des lois différentes.

Il faut observer aussi qu'à côté de ces éléments mobiles et variés la lettre de change possède un élément fixe, la créance du tireur sur le tiré, créance qui subsiste telle qu'elle a été créée et passe de mains en mains sans subir d'altération. Cela est encore un effet de la permanence des droits acquis.

305) La théorie du respect dù aux droits acquis n'est pas moins indispensable à la construction rationnelle d'une autre matière dont l'importance croît de jour en jour, celle du régime international de la propriété intellectuelle. De grands progrès ont été accomplis sur ce terrain, on le sait, notamment par la conclusion des Unions de Paris. (20 mars 1883) et de Berne (9 septembre, 1886), mais ils ont laissé subsister de très graves difficultés, peut-être parce que ces innovations, trop exclusivement inspirées par le désir d'assurer dans la plus large mesure aux intéressés le profit pécuniaire de leurs œuvres, n'ont pas été accompagnées d'une analyse assez soigneuse des problèmes juridiques qu'elles avaient pour objet de résoudre.

Le sens de ces réformes est constant: il tend à assurer au titulaire étranger1 d'un droit de propriété littéraire ou

1 Par titulaire étranger on sait qu'il faut entendre celui qui a acquis son droit à l'étranger, car, pour l'étranger de nationalité, qui l'aurait

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