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il possède l'autorité de la chose jugée, il est exécutoire, il procure (en France) à celui qui l'a obtenu la garantie de l'hypothèque judiciaire. Considérés au point de vue de leur nature, ces trois effets n'appartiennent pas à la même catégorie. La force exécutoire et l'hypothèque qui en est parfois l'accessoire répondent à une idée, l'autorité de la chose jugée à une autre idée. La force exécutoire est la conséquence directe de l'idée de droit acquis. Pour qu'un droit soit véritablement acquis, il faut de toute nécessité supposer que la personne à laquelle le droit appartient peut, le cas échéant, appeler la force publique à son aide et obtenir ainsi par une légitime violence la satisfaction à laquelle elle prétend. Dire que les droits régulièrement acquis doivent être respectés dans le commerce entre nations, c'est dire qu'ils sont sûrs d'obtenir en tout pays l'exécution correspondante à leur objet.

La force exécutoire est l'attribut non pas précisément des jugements, mais de tous les droits acquis. Et l'on observera, en effet, qu'elle s'attache non seulement aux décisions de l'autorité judiciaire, mais à tous les actes passés par des officiers publics et constatant l'existence d'un droit. Si les jugements eux-mêmes possèdent cette force, c'est qu'ils constatent l'existence des droits des particuliers, c'est aussi parce que les juges sont au nombre des officiers à qui la loi a confié le soin de donner des ordres à la force publique.

Donc tout droit régulièrement acquis pourra réclamer en tout lieu le bénéfice de la force exécutoire. Nous disons qu'il pourra le réclamer et non pas qu'il l'aura, car la force publique est dans tous les pays à la disposition du seul État. Comme, du reste, il n'est pas douteux que l'État, en sa qualité de détenteur de la force publique, a des pouvoirs exclusivement territoriaux, c'est aux pouvoirs publics du lieu où l'exécution doit se poursuivre que l'intéressé demandera, dans chaque cas, cette permission d'exécution qui lui est nécessaire pour mettre la force publique en mouvement. Observons encore ici que cette procédure

s'impose à tout titulaire de droit acquis; que ce droit soit constaté dans un jugement étranger ou qu'il résulte d'un acte authentique ou sous seing privé, cela est de nulle importance.

L'intéressé s'adressera à cet effet aux tribunaux du pays où il veut obtenir l'exécution. Quels seront les pouvoirs de ces tribunaux? Leurs pouvoirs seront déterminés par la nature même de la question qui leur est soumise. C'est une question d'exécution et aucune contestation n'est soulevée touchant à l'existence mème du droit. Les juges exigeront du demandeur en exécution la production de l'acte d'où résulte son droit et, cet acte étant produit, ils se demanderont une seule chose, si l'exécution demandée est possible et si elle n'est pas en opposition avec l'ordre public du pays. On conçoit sans peine qu'un maître ne pourrait pas réclamer chez nous l'exécution de son droit de propriété sur son esclave.

Ces idées ne sont rien autre que la traduction pratique de l'idée de droit acquis elles s'appliqueront seules soit aux actes extrajudiciaires, soit aux jugements convenus.

301) L'autorité de la chose jugée est, au contraire, l'effet caractéristique des jugements, le résultat de la fonction. propre à l'autorité judiciaire. Le juge décide les questions de droit ou de fait susceptibles d'influer sur les rapports des parties et, entre celles-ci, la chose jugée constitue la vérité légale, établissant une présomption qu'aucune preuve ne pourra renverser. Quel doit être l'effet de la chose jugée? Ce point est évidemment beaucoup plus difficile que le précédent. On peut, pour rapprocher davantage nos deux questions, poser celle-ci sous cette forme: l'autorité de la chose jugée constitue-t-elle au profit de celui qui a triomphé dans le procès un droit acquis dont le respect s'impose à l'étranger? Un jugement allemand passé en chose jugée a proclamé Pierre créancier de Paul. Pierre pourra-t-il invoquer en France ce jugement et nos propres magistrats devront-ils demeurer sourds aux objec

tions que Paul tenterait de diriger contre la sentence étrangère?

Il faut être ici extrêmement soigneux et exact. La nature déclarative des décisions de justice pourrait porter à décider que le droit reconnu à Pierre n'est autre que celui que la loi lui accorde et que, par suite, le principe connu de nous du respect des droits acquis couvre les jugements rendus à l'étranger aussi bien que les actes qui y ont été passés. Ceci n'est pas tout à fait exact, ceci mérite au moins certaines explications. C'est l'État qui juge, de même que c'est l'État qui, par ses lois, procure aux particuliers les moyens de se constituer des droits acquis, mais ces branches de l'activité de l'État ne ressortent pas de la mème fonction. C'est, d'une part, sa fonction législative, d'autre part, sa fonction judiciaire qui lui attribue dans un intérêt de paix publique la mission de trancher définitivement les contestations entre particuliers. Nous avons vu précédemment que les États doivent respecter mutuellement leur fonction législative; doivent-ils également respecter leur fonction judiciaire? Là est la véritable et seule question.

On aperçoit immédiatement qu'il n'y a là pas autre chose qu'une question de compétence. Si tous les États s'étaient mis d'accord pour suivre dans leurs relations mutuelles certaines grandes lois de compétence, semblables à celles que l'on rencontre dans des conventions internationales particulières, la question serait aussitôt résolue que posée. Il s'agirait simplement de savoir si la juridiction qui a rendu le jugement était bien celle qui devait le rendre d'après cette loi générale de compétence. Ce point fixé, il apparaîtrait clairement que le respect que les États doivent garder pour leurs souverainetés les oblige à exécuter, s'il y échet, le jugement rendu par un tribunal étranger compétent. Exécuter, cela signifie ici tenir pour vrai ce que le jugement a décidé, car c'est en vain que notre jurisprudence tente d'introduire, au point de vue international, une distinction entre l'exécution proprement dite et l'autorité de

la chose jugée. On exécute un jugement aussi bien lorsque l'on écarte toute prétention contraire à la chose jugée que lorsqu'on ordonne la vente des biens du débiteur condamné. Mais il n'existe pas de règles de compétence communes. Cela étant, distinguons deux hypothèses :

1° L'État aux juges duquel le jugement est présenté a attribué compétence à ses propres juges pour les affaires de ce genre. Le tribunal ne tiendra pas compte de la sentence étrangère, défectueuse à ses yeux, en ce qu'elle a violé une loi intérieure d'ordre public contre laquelle les dispositions correspondantes des lois étrangères ne sauraient prévaloir.

2o Cet État ne revendique pas la compétence pour ses propres juges dans ce cas, la sentence étrangère s'impose à lui, pourvu qu'elle émane d'un juge compétent d'après la loi du pays où elle a été rendue. L'État ne peut, en effet, méconnaître le pouvoir judiciaire de cet autre État sur le territoire duquel le procès a été jugé et, ayant décliné toute compétence dans l'affaire, il a montré par le fait même qu'il n'a aucun intérêt à ce que la cause ne soit pas jugée à l'étranger. Cela suffit. On objecterait à tort que rien n'oblige l'État à s'incliner devant une justice qui n'est pas la sienne. Cet argument, présenté en faveur de la territorialité des jugements, ne vaudrait pas mieux que le raisonnement semblable proposé en faveur de la territorialité des lois. Ici et là la réponse est la même. Les exigences du commerce international ne permettent pas qu'une décision judiciaire rendue dans un État demeure sans exécution dans l'autre. Il faut qu'elle soit exécutée et qu'elle soit exécutée telle que le juge étranger l'a rendue, car, au point de vue international, il est inadmissible qu'un Etat substitue à la justice étrangère sa propre justice dans les affaires où cette dernière n'est pas compétente. Cette nouvelle compétence, basée sur la simple circonstance que l'exécution doit avoir lieu dans le pays, n'est pas autre chose que l'affirmation de la supériorité générale de la justice locale sur la justice étrangère, affirmation incompatible avec les idées d'égalité

et de déférence mutuelle qui servent de base à notre science.

Le respect de la vérité judiciairement reconnue est, en soi, différent du respect des droits acquis, mais l'un et l'autre dérivent des mêmes principes et occupent, chacun dans sa sphère, une place exactement semblable.

302) En fait, les jugements étrangers se présentent à la fois en leur double qualité d'actes exécutoires et de sentences définitivement portées: il faut donc, dans la condition qui leur est faite, tenir compte de ce double caractère. Cette remarque faite, résumons à grands traits l'effet que l'on doit reconnaître aux jugements étrangers.

1o Les jugements régulièrement rendus dans un pays doivent être respectés et exécutés dans tous les autres en vertu de la seule force qui s'attache, dans les relations internationales, aux actes juridiques accomplis conformément aux lois compétentes.

On exigera que le jugement ait acquis, dans le pays où il a été rendu, l'autorité de la chose jugée, car il n'y a un droit véritablement acquis en la matière qu'autant que la sentence est définitive entre les parties au procès. On exigera aussi que la décision émane d'une juridiction compétente et, à défaut d'une loi convenue entre les États intéressés sur cette question de compétence, on se réglera sur les lois de compétence en vigueur dans l'État sur le territoire duquel le jugement a été rendu.

Cette dernière solution imposée, à la vérité, par les principes certains du droit ne fournira pas, dans tous les cas, la solution des conflits qui peuvent se présenter. Il est possible que deux États attribuent à leurs juges, en vertu de leurs lois, la connaissance du même procès; il est possible que dans un tiers pays on prétende faire exécuter deux jugements contradictoires rendus sur la même question par les juridictions de deux États différents. L'embarras sera grand en pareil cas, il sera même sans remède. 2o C'est le jugement étranger qui devra être mis à exécution tel qu'il a été rendu par les juges étrangers. Ce

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