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Dijon, partisan déterminé des idées de Dumoulin, les explique ainsi1. Il est de la nature du contrat de produire une action personnelle, et une action personnelle étend ses effets à tous les biens en quelque lieu qu'ils soient situés. Il ne néglige pas du reste de recourir lui aussi au caractère favorable du statut établissant la communauté. Il y a encore là une pétition de principes, car pour qu'une action née sous l'empire d'une coutume dépasse son territoire, il ne suffit pas qu'elle soit personnelle, il faut encore que les rapports existant entre coutumes différentes autorisent cette extension.

Boullenois 2 paraît avoir vivement senti l'imperfection de la doctrine de Dumoulin; il la repousse, mais se rallie aux mêmes conclusions. L'effet général de la communauté coutumière résulte, d'après lui, de ce que ce statut régit l'état et la condition des personnes. On pourrait en dire autant de tous les statuts possibles. La faiblesse de cette argumentation explique de reste et la division profonde de la doctrine touchant cette question et la longue hésitation des parlements et cette circonstance, jugée à bon droit étrange par Bouhier, que la même idée de personnalité n'ait jamais été appliquée à des questions connexes, celles du remploi des propres par exemple, du douaire coutumier ou encore de la renonciation tacite des filles mariées par mariage divis.

Il est aisé de voir que nos auteurs anciens se seraient épargné toutes ces difficultés en plaçant la question sur son véritable terrain, la détermination de l'effet sur un territoire des droits acquis en vertu d'un contrat tacite sur un autre territoire.

281) Un autre exemple plus topique encore et qui suffirait à lui seul pour dénoncer l'existence d'une lacune dans la doctrine nous est fourni par les lois sur la forme

1 Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, pp. 458 et suiv., 502 et suiv., 510 et suiv.

2 Boullenois, Traité de la personnalité et de la réalité, pp. 731 et suiv.

des actes. A quelle catégorie appartiennent-elles? Cette question embarrassait fort nos anciens jurisconsultes. Les uns les considéraient comme réelles, ce sont ceux qui étaient frappés surtout par ce fait que dans un pays toute personne peut se servir des formes organisées par la loi locale. D'autres, considérant l'effet universel des actes réguliers en la forme, inclinaient à les dire personnels, d'autres enfin n'hésitaient pas à les placer hors de la distinction traditionnelle des statuts.

Boullenois, comme l'observe bien M. Lainé 1, a beaucoup hésité sur cette question. Il commence d'abord par déclarer que les statuts concernant la forme des actes ne sont pas des statuts personnels, parce qu'ils ne touchent pas à l'état et condition de la personne et parce qu'ils « ne se prennent pas » de la loi du domicile mais de celle du lieu où l'acte est passé. Plus loin, discutant l'opinion de Rodenburg au sujet des formes du testament, il s'élève à la fois contre leur personnalité et contre leur réalité, disant, en ce qui concerne cette dernière, qu'elle aboutirait à rendre un testament valable dans un lieu et nul dans un autre, et qu'aucune autre loi ne peut certifier la volonté de l'homme que celle du lieu où cette volonté a été exprimée, ce qui exclut, en matière de formes, la compétence de la loi du lieu où les biens sont situés. Dans un troisième passage enfin, Boullenois, adoptant l'opinion du scoliaste de M. François Perrier, se décide en faveur de la réalité 2. Mais les raisons qu'il en donne sont tout à fait particulières et cette réalité n'est plus du tout celle que connaissaient les statutaires. Ce n'est pas parce qu'elles ont des immeubles pour objet que ces lois sont réelles, mais, d'après le scoliaste, parce qu'elles affectent et lient toutes les personnes qui testent dans le lieu où elles sont en vigueur et plus particulièrement, d'après Boullenois (et Burgundus),

1 Lainé, Introduction, pp. 365 et suiv.

2 Boullenois, Traité des statuts réels et personnels, t. I, pp. 34, 428 et suiv., 496 et suiv.

parce qu'observées elles assurent à l'acte son effet en tout lieu. Elles sont réelles, parce qu'elles affectent plutôt le contrat que la personne.

Il est curieux d'observer que l'une des raisons qui déterminent Boullenois à pencher vers la réalité décide Bouhier à se prononcer pour la personnalité de ces mêmes statuts. De l'avis de l'auteur des Observations, ce sont des raisons d'utilité publique qui ont fait reconnaître la personnalité de semblables statuts la première de ces raisons est que les actes valables en la forme sont censés valables partout. Ainsi voici une seule et mème raison qui pour l'un sert de preuve à la réalité, pour l'autre à la personnalité d'un mème statut. N'y a-t-il pas une leçon à tirer de ces disputes? C'est que l'aptitude d'un droit acquis régulièrement à être invoqué en tout lieu appartient à tous les droits acquis sans distinction, entre ceux qui rentrent sous l'empire du statut réel et ceux qui sont du domaine du statut personnel.

Paul Voet voulut résoudre la difficulté à sa manière en ressuscitant pour les lois sur la forme des actes la vieille catégorie des statuts mixtes 2. Ces lois sont réelles en ce qu'elles obligent sur le territoire les étrangers comme les regnicoles, elles sont personnelles parce que l'acte rédigé en conformité de leurs prescriptions jouit d'une autorité extraterritoriale. Il résolvait ainsi le problème insoluble de la conciliation de la réalité et de la personnalité, mais il n'y arrivait qu'en donnant à cette dernière un sens qui n'était pas le sien.

Du rappel de ces contestations il résulte bien que nos anciens jurisconsultes n'ont jamais fait une place particulière aux questions internationales que soulève l'effet des droits acquis. Ils s'obstinaient à les confondre avec les difficultés que produit la détermination de la loi appli

1 Bouhier, Observations sur la coutume de Bourgogne, t. I, pp 460 et

550.

2 Paul Voet, De statutis, sect. IV, ch. II, no 3.

cable au moment où le droit s'acquiert et s'efforçaient en vain de les faire rentrer dans la théorie des statuts. Mais une leçon plus haute s'en dégage également. Ces perpétuelles contestations nous montrent que l'on ne confond pas impunément des questions aussi différentes, et les ressources de l'esprit le plus avisé ne réussissent pas à résoudre une question qui n'a pas été d'abord bien définie et nettement caractérisée.

que

282) Le droit moderne est sur ce point bien supérieur au droit ancien. On ne rencontre pas chez les auteurs modernes une notion bien nette du droit acquis et de ses prérogatives dans les relations internationales, mais on y trouve au moins certains indices qui nous permettent d'affirmer que ce côté de la question ne leur est pas resté totalement inconnu. Trois d'entre eux doivent être particulièrement mentionnés à ce point de vue. C'est d'abord Schaeffner. L'auteur allemand, comme Savigny et toute la grande école par lui créée, s'attache pour la solution des conflits à la nature des choses, mais ce terme, par trop vague, lui commande de soumettre chaque rapport de droit à la loi du lieu où il a pris naissance. Il y a bien dans la formule de Schaeffner cette idée sous-entendue qu'un rapport de droit créé conformément à la loi compétente (la loi du lieu de naissance du rapport d'après l'auteur) doit bénéficier d'une validité internationale perpétuelle. Cela n'est rien autre que la reconnaissance internationale des droits régulièrement acquis. Mais cette première formule est obscurcie et compromise par une

1 Après avoir dit qu'il faut s'attacher d'abord à la loi et à la coutume, Schaeffner pose le principe suivant : « In Ermangelung positiver Gesetze kann nur die Natur der Sache entscheiden. Und dieser entspricht gewiss folgender Grundsatz am meisten: Iedes Rechtsverhaeltniss ist nach den Gesetzen desjenigen Ortes zu beurtheilen, wo es existent geworden ist. Hierin liegt zugleich die Rücksicht auf diejenigen Gesetze, deren ganzer Inhalt dahin geht, ein Rechtsverhaeltniss nur dann als solches anzuerkennen, wenn es ihnen gemaess. » (Entwickelung des internationalen Privatrechts, p. 60.)

addition de sens assez douteux qui semble rapprocher la doctrine émise des idées antérieurement exprimées par Waechter; en outre, dans l'application faite aux divers rapports de droit, le principe posé d'abord ne joue plus qu'un rôle assez effacé. Schaeffner, à dire vrai, a eu le pressentiment de l'importance de ce principe, mais en prétendant en faire un instrument de solution des conflits il s'est mépris. Nous avons montré plus haut que l'idée du respect des droits acquis ne prend une valeur internationale que lorsqu'il n'y a pas eu, ou du moins lorsqu'il n'y a plus de conflit. Avant d'invoquer un droit, il faut savoir s'il a été régulièrement constitué, et tant que le conflit existe, on ne le sait pas.

Nous trouvons, au contraire, chez un auteur contemporain toute une théorie fondée sur la base du respect des droits régulièrement acquis. C'est de M. de VareillesSommières que nous parlons 1. M. de Vareilles exagère peut-être lorsqu'il s'attribue tout le mérite de la découverte, mais il n'est que juste de dire que nul n'a mieux que lui développé ce nouveau principe. L'honorable professeur est, on le sait, le dernier champion de la doctrine des statuts 2. Pour réconcilier ses opinions d'une territorialité par trop radicale avec les exigences de la vie et aussi avec celles de la raison, il a soin d'insister à

1 De Vareilles-Sommières, La synthèse du droit international privé, t. I, pp. 10 et suiv.

2 Il faut observer que M. de Vareilles-Sommières, beaucoup plus royaliste que le roi, donne à la territorialité des statuts un sens absolu et tranchant que les statutaires ne lui ont jamais reconnu. Leur territorialité était une territorialité immobilière, la compétence de la loi du lieu où sont situés les biens, objet de l'acte accompli; celle de M. de Vareilles impose l'observation des lois du pays même à l'individu qui réside sur son territoire. Aussi l'auteur embarrassé dès ses premiers pas nous parle, à propos d'aliénations d'immeubles, d'actes accomplis par-dessus la frontière, qui sont une création originale de son système. En réalité, la territorialité ainsi entendue aboutirait le plus souvent à soumettre en même temps un même acte à plusieurs lois territoriales, celle du lieu où était la personne au moment de l'acte, celle de la situation des biens, celle du for où elle débat ses intérêts. Ce serait inextricable.

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