Page images
PDF
EPUB

commis, la loi du lieu où le fait délictueux s'est accompli gouvernera la preuve de ce fait. Mais doit-on voir ici une application de la règle locus regit actum ? Nous ne le pensons pas. Les mèmes raisons d'ordre public, qui veulent que la faute et le dommage causé soient appréciés d'après la loi du lieu théâtre de l'accident, demandent aussi que la preuve de ce fait soit administrée suivant ces mêmes lois. La garantie de la victime ne serait pas complète si les exigences d'une loi étrangère pouvaient rendre impossible la preuve de son droit. La compétence de la loi locale ne répond pas ici comme dans les applications de la règle locus regit actum à une question de commodité, elle répond à une véritable nécessité sociale, et on ne saurait parler d'attribuer un caractère facultatif à cette compétence. Elle est obligatoire et exclusive.

par

Dans l'exemple de la remise du titre de la dette faite le créancier au débiteur il en sera, à notre avis, encore de même. Le sens de cette remise, les conséquences que l'on est en droit d'y attacher dépendent du droit qui régit l'obligation, lorsqu'il s'agit d'une remise établissant une présomption simple de libération (comme chez nous la remise de la grosse d'après l'art. 1283 code civ.), mais si d'après la loi du lieu où elle est faite, cette remise entraîne une présomption absolue, cette loi basée sur des motifs d'ordre public prévaudra.

271) La conséquence de ces observations est celle-ci : il ne suffit pas, en matière de preuve, de faire la distinction classique entre l'admissibilité de la preuve et son administration. Il faut distinguer en outre entre les actes juridiques et les faits purs et simples d'où résultent des conséquences juridiques. L'acte juridique, produit d'une volonté consciente de la valeur légale de l'acte accompli, bénéficie de la maxime locus regit actum, ce qui implique la faculté d'en faire la preuve suivant les lois du lieu où il est passé. Quant aux faits producteurs de conséquences juridiques, la règle locus regit actum leur demeure totale

ment étrangère; au point de vue de la preuve comme au point de vue du fond du droit ils restent sous l'empire de la loi juridiquement compétente, c'est-à-dire de la loi déterminée par le but social de l'institution juridique dont il s'agit.

272) Restreinte aux limites que nous avons essayé de préciser, la règle locus regit actum nous offre un bon exemple de réaction du droit positif sur le droit théorique. Réduite au seul secours de la théorie la science se débattrait, en matière de forme des actes, dans d'inextricables difficultés. La coutume internationale a fait prévaloir un régime plus commode et plus simple. On ne peut qu'approuver son action, mais on n'oubliera pas que cette intervention du droit positif n'a été acceptée ici que parce qu'il s'agit de lois d'un pouvoir obligatoire assez faible et entre lesquelles on peut opérer des substitutions arbitraires sans nuire sensiblement aux intérêts en présence. On s'illusionnerait en pensant qu'un travail semblable pourrait être tenté avec succès dans un autre domaine du droit1.

Par le nombre et l'importance des questions qu'elle suscite la règle locus regit actum est digne de l'examen le plus approfondi, mais ces questions appartiennent au droit positif plus qu'à la théorie. Nous nous bornerons donc à la brève analyse que nous venons de présenter.

1 Nous ne reviendrons pas ici sur le point de savoir si une personne peut être empêchée par sa loi nationale du droit d'user à l'étranger des formes reconnues par la loi locale, cette question ayant été examinée

antérieurement.

QUATRIÈME PARTIE

LES DROITS ACQUIS AU POINT DE VUE

INTERNATIONAL

CHAPITRE XVII

Théorie des droits acquis.

273. Position de la question. 274. Son aspect particulier. 275. Exemples: gens mariés, contrat, propriété mobilière corporelle. 276. Observation à laquelle ces exemples conduisent. 277. Indépendance de notre question d'avec celle des conflits; impossibilité de les confondre. Différences qui séparent la théorie des droits acquis en droit international de la même théorie en droit interne. 279. La question des droits acquis inconnue des anciens jurisconsultes statutaires; motifs. 280. Exemple tiré de

278.

la controverse sur l'effet de la communauté coutumière. 281. Exemple tiré de la discussion sur la forme des actes. 282. Auteurs modernes ayant aperçu la question des droits acquis en droit international. 283. Solution de la question; respect international des droits acquis à l'étranger. 284. Intérêt de l'État à cette solution. 285. Exception à la loi du respect des droits acquis; a) absence dans la législation de l'État d'un droit analogue au droit acquis à l'étranger. 286. b) Exécution du droit acquis contraire à l'ordre public de l'État. 287. L'ordre public en matière de droits acquis. — 288. Applications de la règle

[ocr errors]

du respect des droits acquis; droit acquis dans un pays et ramené à exécution dans un autre. 289. Du changement de domicile quant aux rapports pécuniaires des époux mariés sans contrat. 290. Difficultés relatives au statut réel. 291. Effet du changement de statut personnel. 292. Il n'a d'influence ni en matière de contrat, ni en matière d'état. 293. Ni en cas de changement prémédité. 294. La capacité est-elle un droit acquis opposable au changement de statut personnel? — 295. L'annexion et le respect des droits acquis; non-rétroactivité et ordre public. 296. Rapports éloignés entre la théorie des droits acquis et celle de la non-rétroactivité.

273) L'ordre adopté dans nos études nous conduit maintenant à étudier la troisième grande question dont le droit international privé ait à rechercher la solution, la question de l'effet international des droits acquis.

Comment se formule cette question, nous le savons déjà. Un droit étant supposé acquis régulièrement dans un pays, c'est-à-dire conformément à la loi en vigueur dans. ce pays, on se demande si l'on peut invoquer l'existence de ce droit et lui faire produire ses effets dans un autre pays. L'existence de ce droit doit-elle être considérée comme limitée à l'État sur le territoire duquel il a pris naissance, ou bien devra-t-elle être reconnue dans un autre Etat quelconque, et le gouvernement de cet État sera-t-il tenu, le cas échéant, de prêter au titulaire de ce droit l'appui de la force publique pour lui assurer la jouissance des avantages que ce droit comporte ? S'il en est ainsi, et si un droit. régulièrement acquis doit être respecté en tout lieu, dans quelles limites ce principe de respect sera-t-il contenu et par quelles justes exceptions faudra-t-il le modérer ?

Tels sont les termes exacts de cette nouvelle question. Nous avons montré dans un chapitre précédent1 combien elle diffère, soit de la question des droits des étrangers, soit des questions de conflit. Qu'il nous suffise de rappeler que ces trois problèmes se rapportent à trois moments

1 Voy. chap. II, Objet du droit international privé.

« PreviousContinue »