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reçue et qu'elle mérite de l'être pour les avantages pratiques qu'elle procure. Soumettons, de notre côté, cette idée à l'examen et essayons de dégager la part de vérité qu'elle contient.

262) Quel est le but social de cette catégorie de lois sur la forme des actes? La recherche sur ce point est difficile, parce que le but de ces lois est fort complexe. Elles intéressent à la fois l'État où l'acte est fait, celui auquel les contractants appartiennent et celui dont les juges auront à apprécier cet acte. Pour le premier, les formes à suivre dans les actes juridiques représentent un élément d'ordre. On ne concevrait pas qu'une législation se désintéressât complètement de ce point de vue et n'établit pas certaines règles quant aux formes qui devront être suivies dans les actes juridiques.

L'État auquel appartiennent les parties à l'acte a aussi son intérêt dans l'affaire. La nécessité d'observer des formes déterminées constitue pour ses sujets une protection moins accusée sans doute dans les actes non-solennels que dans les actes solennels, mais appréciable cependant. La certitude des droits particuliers en est augmentée, leur conservation mieux garantie: ce sont là des avantages que l'on ne saurait mépriser. Pour l'État, enfin, dont les juges statueront sur les droits des parties, il est d'un intérêt évident que l'emploi de formes obligées simplifie la tache de ces juges et diminue les chances d'erreur qui les entourent. Il ne saurait être question d'exiger des parties qu'elles se soumettent à la fois à ces trois lois et que leurs actes répondent, sous ce rapport, à de triples exigences. Il faut choisir et, entre ces trois législations concurrentes, faire prévaloir, conformément à notre méthode, celle dont l'intérêt est le plus direct et le plus certain.

263) Cette loi est, sans contredit, la lex fori, la loi du juge qui sera appelé à se prononcer sur les droits des parties. C'est, en effet, en vue d'une meilleure administra

tion de la justice que ces formes, qui intéressent la preuve des actes juridiques, sont d'abord organisées. Nous en avons pour garants leur nom même et cette circonstance que, lorsqu'il n'y a pas de contestation, leurs exigences perdent toute rigueur. C'est ainsi que les lois sur la nécessité d'une preuve écrite perdent toute autorité en cas d'aveu, c'est-à-dire quand les parties sont d'accord sur le fait et, en cas de serment, lorsque l'une d'elles déclare s'en rapporter à la foi jurée de l'autre.

Les principes seraient donc ici pour la compétence de la lex fori, mais les principes conduiraient alors à une solution impossible. Le for n'est connu que lorsque le procès est engagé, et, au moment où est passé l'acte juridique d'où résultent les droits des parties, celles-ci ne peuvent pas savoir devant les tribunaux de quel État elles auront à porter, le cas échéant, leur contestation. Elles ne connaissent pas la loi du for, elles ne peuvent donc pas la suivre. Que, dans de telles circonstances, la pratique ait fait prévaloir la compétence de la loi du lieu où l'acte est passé, c'est un fait auquel on ne peut qu'applaudir, mais c'est un fait, une solution de pur droit positif justifiée par sa commodité et aussi par l'impossibilité où l'on se trouve de se conformer à la loi dont la compétence correspondrait le mieux à la nature des lois sur la forme des actes 1.

264) A la vérité, d'après la jurisprudence française, la règle locus regit actum aurait une tout autre portée. Les lois sur la forme représenteraient dans chaque pays un ordre nécessaire, dont le respect s'imposerait aux étran

La pratique est allée parfois plus loin. Le tribunal supérieur de Papeete (20 septembre 1898, Cl. 99, p. 595, cf. Haute Cour de justice d'Angleterre, 26 janvier 1898, Cl. 98, p. 772) admet que dans une colonie où les lois françaises n'ont pas été promulguées et où il n'existe pas de loi locale, un testament peut être fait sous une forme quelconque et notamment suivant les formes de la loi nationale du testateur.

gers aussi bien qu'aux nationaux1. De là le caractère obligatoire de la règle que de nombreux arrêts ont affirmé contrairement à l'opinion de la majorité de la doctrine. Il y a une part de vérité et une part d'erreur dans ce sentiment. Cela est vrai des lois de procédure (ordinatoria litis) par cette raison déjà alléguée plus haut qu'il ne saurait y avoir deux procédures différentes pour une même affaire dans un même pays. La lex fori qui est, en pareil cas, la lex loci actus a ici à la fois une compétence rationnelle et une compétence nécessaire. Depuis Bartole qui a posé le principe, ce point ne fait pas de difficulté. Mais lorsqu'il s'agit d'actes juridiques ne tenant pas à la procédure, il n'en est plus de même. Les formes exigées dans un pays n'y représentent pas un principe d'ordre nécessaire. S'il en était ainsi, on ne s'expliquerait pas que les exigences de la loi ne fussent pas absolues, qu'elles admettent des tempéraments (qu'en matière de commerce, par exemple, on soit beaucoup moins rigoureux qu'en matière civile), qu'elles souffrent des équivalents, des substitutions. C'est, en réalité, le contraire du caractère absolu d'un principe d'ordre, et les obligations imposées aux parties semblent conçues bien plutôt dans leur intérêt particulier que dans l'intérêt public. Si donc des raisons d'utilité n'avaient pas fait recevoir une règle plus douce, les principes tendraient plutôt à commander l'observation de la loi nationale des. parties. Cette considération n'est pas demeurée sans influence sur la doctrine: elle a contribué à faire reconnaître le caractère facultatif de la règle locus regit actum.

265) C'est une grosse question que celle-là, et si l'on fait le compte des suffrages, il n'est pas douteux

que

la

1 Une opinion semblable a été soutenue par M. Buzzati dans sa monographie L'autorità delle leggi straniere relative alla forma degli atti civili. Cette opinion est, comme on sait, fort répandue en doctrine. Elle nous paraît avoir exagéré quelque peu la correspondance indéniable existant entre les particularités de l'état social de chaque peuple et ses lois sur la forme des actes.

grande majorité des auteurs admet les parties à se servir des formes autorisées par leur loi nationale commune ou par leurs lois respectives, si celles-ci sont assez semblables pour pouvoir être observées en même temps. Au point de vue de la législation française, cette tolérance trouve un fort argument dans la disposition de l'art. 999 code civil, qui permet au Français de faire à l'étranger son testament en la forme olographe française 1. Au regard de la science on la base, en général, sur la tradition historique qui lui était favorable et sur des raisons de convenance. Pourquoi priver les étrangers de suivre, à titre de faculté, une loi à laquelle ils seraient tenus de se soumettre s'ils étaient restés dans leur pays? N'y a-t-il pas quelque chose de contradictoire à retourner contre ces personnes un droit introduit en leur faveur, en les liant à une loi dont on leur a permis de suivre les prescriptions pour faciliter l'accomplissement des actes juridiques qu'elles passent à l'étranger? Quel est l'inconvénient de cette tolérance? Rendre un peu difficile le jugement du point de savoir si un acte est régulier en la forme. Le mal n'est pas si grand qu'il doive faire rejeter ici la compétence des lois nationales. Notre raisonnement sera un peu différent. La règle locus regit actum qui vient ici, dans un but d'utilité, créer une loi de compétence que l'on peut qualifier d'artificielle, a pour effet de dépouiller les principes de leur autorité mais non pas de leur raison d'être. A défaut de la lex fori inapplicable, la loi nationale des parties a une compétence certaine dans une matière touchant d'aussi près à la protection de leurs intérêts individuels. Les formes de la loi nationale pourront donc être employées, non pas en vertu d'une tolérance nouvelle, mais par un retour aux principes.

1 Mais la jurisprudence française, cédant une fois de plus à sa préférence pour la loi française, hésite beaucoup à admettre les étrangers à tester en France suivant leur forme olographe nationale. Cf. Cass., 29 juillet 1901, S., 1903-1-73, et la note de M. Naquet.

Il est superflu d'ajouter que ce recours à la loi nationale ne se conçoit que lorsqu'il est matériellement possible. Il y aura, en outre, pour les tribunaux une question. d'appréciation dont une espèce récente a montré la difficulté. S'il est loisible aux intéressés de se référer à leur loi nationale, ce n'est qu'autant qu'ils le veulent bien : l'un d'entre eux ne pourrait pas invoquer cette loi pour couvrir les irrégularités d'un acte fait suivant la lex loc actus. Il ne faut pas, en effet, que la facilité qui leur est, donnée soit employée à couvrir la fraude1.

266) Remarquons ici que le caractère facultatif de la règle locus regit actum a pour nous la même signification qu'il avait pour nos anciens auteurs. De même que ceuxci, lorsqu'ils validaient par faveur un testament fait à l'étranger sous l'empire d'un statut local moins exigeant que le droit commun, n'entendaient nullement priver les parties du droit d'agir en conformité de ce dernier, de même ici, en approuvant la coutume qu'exprime la règle locus regit actum, nous ne prétendons pas destituer la loi nationale des intéressés de sa compétence rationnelle. Cette compétence n'est pas, sans doute, aussi claire dans le cas présent que dans d'autres domaines de droit, mais le caractère protecteur des lois de cette sorte demeure, assez marqué pour que l'on permette au sujet de les invoquer à l'étranger. La règle locus regit actum est donc, d'après nous, facultative, et les parties gardent la res-, source d'user des formes organisées par leur législation. nationale dans la mesure où cet usage leur est matériellement possible.

1 Cf. Cass., 14 juin 1899, S., 1900-1-225. L'affaire dans laquelle cet arrêt a été rendu a bien montré les inconvénients que peut présenter le caractère facultatif de la règle locus regit actum. Ce n'est pas trop exiger, ce semble, que d'obliger les intéressés à prouver qu'ils ont voulu se servir des formes autorisées par leur loi nationale, mais cette exigence a pour conséquence de rendre la loi nationale inapplicable à la preuve des actes consistant dans une simple tradition, par exemple aux dons manuels.

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