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prévenir les fraudes, à déjouer les captations, à garantir la liberté des parties. On s'explique ainsi que la solennité soit l'attribut exclusif des actes les plus importants et, par suite, les plus dangereux.

La conséquence logique de ces idées serait de ranger les lois sur la solennité des actes dans le domaine du statut personnel. Personne cependant ne saurait aller jusque là: on rendrait impossibles la plupart d'entre eux à tout individu expatrié. Il en serait ainsi de tous ceux qui exigent le ministère d'officiers publics, car ce ministère est, en vertu d'une coutume constante, strictement territorial. Les étrangers n'auraient dans ce système d'autre ressource que de s'adresser aux agents diplomatiques et consulaires de leur nation, ressource insuffisante et qui n'a contenté personne.

L'inconvénient serait moins grave pour les actes sous seing privé (surtout parce que les actes sous seing privé solennels sont des actes unilatéraux) et la pratique a, jusqu'à un certain point, cédé, en ce qui les concerne, aux idées exposées ci-dessus. Nous faisons allusion à l'art. 999 du code civil qui permet au Français expatrié de tester en la forme olographe française et à la jurisprudence qui n'admet pas, dans le silence de cet article, qu'il puisse tester en la forme étrangère. La forme française est bien considérée ici comme remplissant un certain rôle de protection à l'égard du testateur.

259) Dans le domaine des actes authentiques une solution transactionnelle a été proposée, laissant une part à la règle locus regit actum et une part au caractère obligatoire des lois de protection. L'individu, obligé par sa loi nationale de passer en la forme authentique un certain acte juridique, ne cesserait pas d'être tenu de faire cet acte en la forme authentique, mais il pourrait se servir du ministère des officiers publics étrangers et, par une suite nécessaire, des formes prévues par la loi du lieu où ils instrumentent. C'est ainsi que Laurent prétendait exiger des

Belges à l'étranger qu'ils se mariassent civilement, sauf à les laisser contracter leur union devant l'officier de l'état civil étranger'.

Cette opinion consiste donc à réduire la règle locus regit actum au seul choix des formes à employer et à laisser sous l'empire du statut personnel la question de principe, le point de savoir si des formes sont ou ne sont pas nécessaires. Elle n'a trouvé faveur ni en doctrine ni en pratique. Il est, en effet, difficile de séparer la solennité des formes qui la constituent et on peut penser que l'emploi de formes étrangères ne répond pas suffisamment au but du législateur qui a exigé la solennité. Surtout il a paru que cette exigence diminuait dans une mesure inquiétante la liberté de l'expatrié. Aussi, d'après la doctrine et la pratique, la question de solennité comme celle des formes à employer est tranchée par la loi du lieu où l'acte est fait. Notre jurisprudence reconnait ainsi le mariage religieux célébré à l'étranger, le contrat de mariage entre Français passé sous seing privé, elle devrait reconnaître même le mariage par simple consentement, mais nous ne croyons pas qu'en fait elle soit jamais allée jusque-là 2. Une autre conséquence des mêmes idées aboutirait à permettre à toute personne de se servir des formes autorisées par sa loi nationale dans les actes solennels qu'elle accomplit à l'étranger toutes les fois où l'emploi des formes requises est matériellement possible à l'étranger. A défaut d'une obligation qui correspondrait mieux à la nature des lois

Laurent, Droit civil international, t. II, pp. 433 et suiv. L'art. 2128 du code civil ressort du même système, mais on sait que la rédaction de cet article a été due à une véritable méprise, à une confusion entre l'authenticité et la force exécutoire.

2 En Angleterre, le Juge Sterling a déclaré absolument dénué de valeur au regard de la loi anglaise le mariage contracté par un Anglais avec une indigène de la tribu des Baralougs, suivant la coutume locale (Haute Cour de justice, février 1888, Cl. 89, p. 129). La Haute Cour de justice a, au contraire, considéré comme valable le mariage d'un Anglais avec une Japonaise, parce que c'était un mariage monogamique (8 février 1890, Cl. 90, p. 713). Entre Indiens le mariage célébré suivant leurs coutumes a été reconnu régulier (Cour suprême du Michigan dans Cl. 91, p. 1023).

en question on admettrait au moins une faculté à cet égard, faculté du reste peu importante, car, dans le plus grand nombre des cas, les formes instituées par une législation pour les actes solennels ne peuvent être suivies que sur le territoire ou exceptionnellement dans les agences diplomatiques ou consulaires.

260) Il s'est présenté cependant en pratique une question intéressante qui touche à cet ordre d'idées. Des étrangers, à qui, conformément à la coutume la plus suivie, leur loi nationale permet ou ordonne la célébration religieuse. de leur mariage, pourront-ils valablement contracter en France un mariage purement religieux ? Dans leur ambassade et par le ministère du chapelain qui y est attaché, certainement, grâce au privilège d'exterritorialité. Mais si l'on suppose l'union contractée par le ministère d'un prètre dépourvu de tout caractère diplomatique, la question devient singulièrement plus délicate. La jurisprudence saisie de cette question n'a pas hésité à la trancher par la négative; elle a été suivie dans cette voie par la grande majorité de la doctrine 1.

Cette solution nous laisse des doutes fort sérieux. Le grand argument employé pour la justifier est tiré des articles 199 et 200 du code pénal, qui punissent le ministre du culte qui aurait procédé à la célébration religieuse du mariage sans s'assurer de la réception préalable de l'acte civil de mariage par l'officier de l'état civil. C'est une loi pénale, donc une loi territoriale qui sera appliquée en France sans distinction aucune, quelle que soit la nationalité du célébrant et des époux. Cet argument ne parvient pas à me convaincre. Si l'on parle de l'intention du législateur, je répondrai que rien de précis ne nous la fait connaître. Ici, comme presque partout ailleurs, le législateur s'est uniquement pré

Trib. de Toulouse, 7 mai 1890, Cl. 91, p. 223; cf. circulaire du Garde des sceaux du 11 mai 1892, Cl. 92, p. 1242; cf. Cass. roumaine, 13 septembre 1895, Cl. 96, p. 915; contrà A. Laurent dans Clunet, 1895, pp. 268 et suiv.

occupé des actes faits en France entre Français 1. Le point de vue international lui est resté entièrement étranger. Mais dans le silence de la loi le raisonnement nous dit fort clairement que la disposition de l'art. 199 a été écrite pour assurer son efficacité à cette institution du mariage civil sur laquelle repose, depuis la Révolution, la famille française. Or le législateur français n'a à se préoccuper ici que de la famille française: les mariages des étrangers lui sont indifférents, et la façon dont ils peuvent être célébrés sur son territoire ne peut compromettre en rien l'ordre qu'il a entendu établir. On n'aperçoit donc aucune raison d'annuler le mariage religieux contracté en France devant un ministre du culte étranger ou français par des étrangers à ce autorisés par leur statut personnel. Ce mariage devrait être considéré comme civilement valable, alors même que le ministre du culte tomberait sous l'application des art. 199 et 200 code pénal. Et ce second point nous paraît également fort douteux. Le prêtre n'est puni que pour avoir prêté son ministère à un acte illicite. Si le mariage qu'il a célébré est valable, les menaces de la loi pénale n'ont plus aucune raison de se réaliser 2.

261) Nous avons parcouru jusqu'ici un certain nombre de catégories de lois sur la forme des actes, dont la der

Il n'est pas inutile de faire remarquer combien est faible et insignifiante l'argumentation si souvent employée en droit international et qui consiste à spéculer sur l'intention du législateur. En règle générale, toujours, on peut le dire, le législateur pense à ses affaires intérieures et nullement aux relations internationales susceptibles de mettre en question l'application de la loi qu'il édicte. D'intention à cet égard il n'en a aucune, voilà la pure vérité. Aussi la valeur de cette méthode, déjà bien souvent douteuse en droit intérieur, est nulle dans notre science.

2 Dans une affaire de divorce récente, la Cour de Paris a décliné toute compétence parce qu'il s'agissait d'israélites russes dont le divorce ne peut être prononcé que par l'autorité religieuse (Paris, 19 mars 1902, Cl. 1903, p. 342). Elle a donc dans la circonstance fait céder la règle locus regit actum devant le statut personnel des époux au procès. La séparation des intérêts religieux et civils lui a paru entraîner cette conséquence. Cette raison est éminemment respectable, mais comment n'induit-elle pas la Cour de Paris à refuser le divorce aux époux français catholiques?

nière seule est comprise dans le domaine de la règle locus regit actum, encore, on peut le dire, en vertu d'une sorte d'exception motivée par des circonstances de fait et quoique l'empire des principes recommande plutôt ici la compétence du statut personnel.

Si nous passons de là à la dernière classe de formes, à celles qui sont requises, non point pour conférer à l'acte sa validité et aux droits des parties leur existence, mais simplement ad probationem, pour en assurer la conservation et la preuve devant les tribunaux, nous entrons dans le domaine propre et incontesté de la règle locus regit actum. Le droit positif sur ce point n'est pas douteux, et l'on cite avec raison la règle comme exemple de principe ayant acquis, par la force d'une coutume internationale constante, une autorité générale. Reste à expliquer cette autorité. Nous rencontrons ici une difficulté analogue à celle qui arrêtait nos anciens auteurs, lorsqu'ils s'efforçaient de faire rentrer les lois sur la forme des actes dans leur distinction des statuts réels et personnels.

La seule doctrine qui explique aisément ici la compétence de la loi du lieu où l'acte est fait est la doctrine de Savigny. Cette compétence est conforme à la nature des choses. Cette raison dispense de toute autre explication. Il est vrai que l'on pourrait tout aussi bien soutenir que la nature des choses commande l'application aux formes de l'acte de la loi du tribunal devant lequel sont agités les droits des parties. On peut tout soutenir en se référant à la nature des choses, et cela ne coûte rien de plus qu'une simple affirmation. S'il était possible de démontrer que tout acte juridique est soumis à la loi du lieu où il est passé, notre règle trouverait dans cette démonstration son fondement théorique, mais cette démonstration n'a jamais été faite et l'école qui avait autrefois adopté cette formule ne trouve plus aujourd'hui de partisans.

Toutes les autres théories se résignent à admettre que notre règle n'a pas de fondement rationnel, qu'elle est

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